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20 november… Sébastien le cabossé… – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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20 november… Sébastien le cabossé…

Dans un monologue sans relief, sur le plateau de la salle Benoit XII, Sofia Jupither met en scène 20 November de Lars Noren. Un texte qui développe les coulisses de l’ultime moment où un type de 19 ans va se suicider juste après avoir « arrosé » son lycée. Jeu uniforme et plat que le comédien en service commandé pour ce 20 November.

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Presque immuablement revient au 325ème jour de l’année, à la 46ème semaine… le 20 novembre. Date aussi anonyme que les autres, sauf à la distinguer par la fête d’un Saint (Edmond) ou une loi. « Rien n’est plus important que de bâtir un monde dans lequel tous nos enfants auront la possibilité de réaliser pleinement leur potentiel et de grandir en bonne santé, dans la paix et dans la dignité » disait Kofi A. Annan, secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, lors de la ratification de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (un texte de 54 articles), adoptée par les Nations Unies le 20 novembre 1989. Texte rejeté par deux Etats (la Somalie et les Etats-Unis) sur 193. Texte et loi, votés le 9 avril 1996 par le Parlement français qui a décidé de faire du 20 novembre « la journée Mondiale de défense et de promotion des droits de l’enfant ».
Si Lars Noren a peut-être cette histoire du droit international en tête lorsqu’il écrit 20 November ; il la mêle à celle de Sebastian Bosse, 18 ans – lequel n’a peut-être pas choisi ce jour par hasard – alors que le jeune garçon, à Emsdetten, petite ville d’Allemagne, décide de se suicider après avoir mitraillé les membres de la communauté de son lycée sans faire de victime.
Du Fait Divers
Toute une tradition théâtrale, du théâtre historique en passant par le théâtre documentaire, jusqu’aux écritures du réel… n’a de cesse de se saisir du « fait divers » comme élément et dynamisant dramaturgique. Manière d’augmenter l’effet de réel ou de diminuer l’écart qui sépare le théâtre de la vie, de ses réalités complexes. Chez Lars Noren, entre autres, il en rappelle les raisons :
« Je m’ennuie tellement au théâtre, en le regardant. J’essaie de prendre le langage dans la rue, ces choses que l’on ne voit pas normalement au théâtre. Je veux casser le mur entre le théâtre et le monde parce qu’au théâtre vous pouvez trouver des solutions aux problèmes sociaux […] La réalité de la scène peut être aussi intense qu’une séance de psychanalyse. Sur scène, vous pouvez créer une catharsis, une intense vérité. Mais cela ne veut rien dire si cela ne donne pas au public le sentiment que l’on peut changer sa manière de vivre. Si vous parvenez à « un vrai théâtre intense », vous pouvez donner au public des outils pour changer, parce qu’on voit de vraies personnes jouer et exprimer ses propres traumatismes ou ses propres désirs. Vous devez prendre le public par la main et le faire monter sur scène, le faire participer à la pièce. Je dis toujours à mes acteurs de sortir et de regarder les gens dans la rue, dans les bus, dans le train. ».
Et ailleurs, Noren ajoute :
« le public et les acteurs doivent respirer ensemble, écouter ensemble. Dire les choses en même temps. Je préfère un théâtre où le public se penche en avant pour écouter à celui qui se penche en arrière parce que c’est trop fort ».
Propos chez Noren qui conforte l’idée, comme il le martèle lui-même, qu’il est « sur le chemin d’un théâtre sociologique », là où l’environnement social n’est pas étranger aux problématiques individuelles. Là où les détails de la vie socialisée et publique forment comme l’arrière-salle ou l’antichambre conscient et/ou inconscient de la vie privée de l’être.
Norens, dans la lignée d’Ibsen et de Strindberg (on lui prête cette parenté) s’inscrit dans la topique du « Théâtre Intime » qu’il ne sépare pas de la théâtralité du jeu social comme la théorisait Jean Duvignaud. D’une certaine manière, les frontières entre les espaces de ritualisation du champ social et les conventions des territoires artistiques s’entremêlent, s’interpénètrent. Ainsi, dans l’espace dialectique ouvert entre « vie sociale » et « existence privée » qui forment la communauté, Noren observe, à des échelles variables, la manière dont la complémentarité indépassable de ces deux sphères produit des déséquilibres et des situations de crise qui relèvent, soit de l’absorption du sujet par la société, soit de l’exclusion de celui-ci par le fonctionnement social.
C’est à cet endroit d’intersection que se forme la tension dramatique et que l’écriture de Noren, in fine, se regarde comme un travail d’auteur qui rend compte, via les motifs dont il se saisit pour organiser « ses » personnages, d’une « écriture de soi ». Marginalisation, fragilisation, disparition, résistance, autodéfense… du sujet valent alors pour l’un des motifs récurrents de son œuvre théâtrale qui autopsie les modes de déséquilibre inhérent à l’inscription du sujet dans la société. Dans des périmètres aussi différents que la famille, la rue, le champ de bataille, etc. c’est cela qui est « observé » et « remodelé » dans l’écriture dramatique.
Les bosses de Sebastien


A partir du journal de Sébastien Bosse, travaillant sur l’histoire vraie de ce jeune allemand de 18 ans qui organise un raid contre son lycée afin de détruire ce qui l’a privé de la représentation qu’il avait de lui-même, Lars Noren donne à entendre les méandres d’un esprit révolté et vengeur. Loin de figurer un coureur de Amok, les mobiles du crime à venir sont ainsi fondés par une critique radicale de tout ce qui concerne la vie sociale : l’intégration, la reconnaissance, l’appartenance… Au revers de laquelle figurent aussi l’exclusion, le mépris, la jalousie, la reconnaissance, le mépris… Dans cet ensemble, c’est le déséquilibre du jeune homme qui vient à être exposé, lui qui s’estime en droit d’avoir mieux et qui revendique un droit d’arbitrage. La violence du texte de Noren est radicale, met en perspective une violence contre soi autant que dirigée vers les autres. Et le seul comédien sur scène, David Fukamachi Regnfors en rend partiellement la vitalité. C’est par la détermination que cette violence parvient, la plupart du temps de manière « froide », et parfois nourrie de quelques écarts quand il s’adresse à la salle qui devient le témoin actif de son deuil. Deuil d’une vie, deuil de l’espoir, deuil de l’avenir… Bosse le cabossé a, chevillé au corps et à l’esprit, l’idée que ce monde à qu’il doit ses « misères », ses infamies, ses injustices… doit payer le prix fort de la maltraitance. Ça sera un feu d’artifice au sein de l’école : le lieu de la fabrication des inégalités, la gare de triage entre le bon et le mauvais, la cour de récréation des petites ignominies, le terrain de jeu des conflits larvés…
Bosse fera la fête à tous…

Scène et net.
Sur le plateau, devant sa webcam ramenée ici à un matériel vidéo, l’acteur s’enregistre de profile. Son image, captée est renvoyée sur un écran : un mur en arrière-fond. Mur identique à celui de Tigern qui suggère un lien de cause à effet entre les deux spectacles, où si Tigern mettait en avant des « adultes » déglingués pscyhologiquement, dans 20 november et l’histoire de Sebastien Bosse, ce sont les enfants qui sont victimes de l’échec de leurs parents. Enfin, on peut le lire comme ça.
Dans 20 november, on assiste alors à une succession de gros plans sur le regard, le rictus, la bouche qui accable le monde.
C’est l’unique principe de jeu qu’a mis en place Sofia Jupither. Et l’on comprend que si au théâtre la vidéo est un constituant de ce que l’on nomme l’intermédialité, ici c’est aussi la trace archéologique d’un travail documentaire puisque Bosse se « postait » sur le net. Genre « Selfie » testamentaire et posthume en quelque sorte.
Sur la plateau vide, dans une chorégraphie de « fauve » qui tourne en rond comme dans une cage, ce qu’il filme relève de l’intimité et du procès. C’est un réquisitoire où lui se voit comme un ange, quand il est un ange noir (petit image fixe balancée à mi parcours de la pièce qui dure 1H15).
Reste que Sofia Jupither, dirigeant son acteur, en fait une menace que l’époque a tôt fait de renvoyer à une forme de terrorisme. Qu’elle l’inscrit dans une gravité dont l’acteur ne se départ pas. Soit, mais comment dire… que faire alors du vœu de Lars Noren qui souhaite que son théâtre puisse être conçu comme un espace léger. Et comment faire de 20 November quelque chose qui nous rappellerait qu’une « tragédie n’est jamais qu’une comédie vue de dos » comme l’écrivait Muller.