Cette page requiert que JavaScript soit activé pour fonctionner correctement. / This web page requires JavaScript to be enabled.

JavaScript is an object-oriented computer programming language commonly used to create interactive effects within web browsers.

How to enable JavaScript?

Girls bandent – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
illustration article

Girls bandent

Jérémie Majorel – 17 juillet 2018

Taken for Granted, chorégraphie de Paola Stella Minni, Konstantinos Rizos,
mis en scène Ondina Quadri,
La Scierie, Avignon Off 2018.


« La pièce est inspirée par l’histoire d’Agnès […] une jeune américaine qui en 1959 réussit à obtenir une opération pour transformer ses parties génitales et ainsi accéder à la reconnaissance officielle en tant que femme […] sans avoir à passer par les protocoles juridiques et psychiatriques de la transsexualité, adoptant une fiction somatique grâce à l’invention, la performativité et la prise d’hormones, de laquelle, même les médecins qui l’analysent, ne peuvent pas se rendre compte », ce qui n’apparaît explicitement qu’à la toute fin de ce spectacle qui n’emprunte rien au théâtre documentaire ou biographique mais à la performance.


Ce n’est vraiment pas un terme galvaudé en ce qui concerne Paola Stella Minni, Konstantinos Rizos et Ondina Quadri. Il recouvre au moins deux acceptions : théâtrale et féministe. Le trio puise ses forces du côté d’un courant issu de Judith Butler, qui souligne dans Gender Trouble (1990) la « performativité » des identités sexuelles, ou de Paul B. Preciado (anciennement Beatriz Preciado), qui signe un Manifeste contra-sexuel (2000) où sont prônés anus et gode au lieu de pénis et vagin pour mieux déjouer les réflexes hétéronormés, où est démonté le contrat tacite qui sous-tend genres et sexualités, et qui relate dans Testo Junkie(2008) les effets de l’administration régulière de testostérone en gel sur son propre corps, prenant acte de l’ère « pharmacopornographique » du capitalisme tardif.
Les plugs anaux, analogues à la sculpture gonflable Tree que Paul McCarthy avait dressée sur la place Vendôme, retirée après agression de l’artiste et vandalisme en 2014, servent ici de prises et d’implants à partir desquels refaire un monde où les identités de genre ne soient plus « taken for granted », allant de soi, mais de part en part sociales, contractuelles, artificielles, technologiques. Le geste décapant du trio sur scène tient de la robinsonnade, ne pose une île déserte que pour concevoir un type alternatif de société. Mais cette robinsonnade se situe hors du mythe d’un retour à la nature puisque le naturel n’est que du social non explicité. Dans le terreau, un vrai monticule de terreau versé sur le plateau, sont donc plantés des plugs anaux, modèles réduits du gros sapin de McCarthy.
Côté théâtral, la performance compose un alliage détonant entre d’un côté Philippe Quesne (La Nuit des taupes), via musique live style garage rock et costumes d’animaux où le corps est lové, jusqu’à produire une sensation d’inquiétante étrangeté, où les matières textiles accumulées, empilées sur la tête ou le reste du corps, acquièrent quelque chose d’organique, de viscéral, de fœtal, tissus à la fois textiles et biologiques, dans une indétermination troublante entre nature et artifice, de l’autre Bruno Meyssat (15%), par le détournement d’appareils comme une tronçonneuse ou un souffleur à feuilles, tout en se gardant néanmoins d’agresser frontalement le public, et l’utilisation parcimonieuse de la parole au profit d’actions, de maniement d’objets, de processus muets au sens non prémâché.
Car telle est la force de cette performance : Paola Stella Minni, Konstantinos Rizos et Ondina Quadri ne jouent pas pour nous mais devant nous. Que le public soit là ou pas, et c’était à 22h15 le soir même de la finale, on pouvait être persuadé que le spectacle aurait lieu, qu’il était raccordé à une nécessité interne. Et que l’adresse au public ne soit pas « taken for granted » justement, la bande n’hésitant pas à jouer de dos là même où une intensité facile aurait pu être produite en pleine face, lui redonnait paradoxalement toute sa puissance de convocation, jusqu’à réussir même la prouesse de reléguer le joyeux bordel alentour, ou plutôt de résonner avec lui, de se mettre sur la même longueur d’onde que le dehors, à la Scierie, zone poreuse entre intra et extra muros, in et off du Festival (son directeur y a programmé Pur Présent et Antigone). Sans doute le « trans- », une des thématiques du in cette année, a trouvé là une poche de résistance contre les récupérations culturelles et cultuelles en tous genres.