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Farm Fatale ou un tendre cynisme – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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Farm Fatale ou un tendre cynisme

Farm Fatale est repris à La Commune du 29 septembre au 3 octobre 2021. Avec une grande douceur nous naviguons entre le risible et le nécessaire de nos actions dans un monde d’après mort. Par Malte Schwind


Quatre bonhommes, des sortes de clowns, avec des masques en tissus, des mouvements grossiers et brusques, des sortes d’idiots touchants, écoutent les oiseaux. L’une d’eux dit : « Oh comme cela me rend mélancolique. Vous pouvez éteindre ? » On éteint les oiseaux et le silence se fait. Après, elle propose de sortir un instant pour que les autres puissent quand même continuer à écouter les oiseaux.

Farm Fatale nous met devant une communauté autonome d’épouvantails qui semblent être parmi les derniers survivants dans un monde post-apocalyptique. Il n’y a plus d’oiseaux (à moins qu’ils ne les chasses étant des épouvantails?), tous les paysans pour lesquels ils travaillaient auparavant semblent morts. Il arrive par miracle une dernière abeille, une reine, a bee (nos épouvantails parlent beaucoup anglais, mais aussi parfois français et allemand). Pour une émission de radio qu’ils ont fondé, on interview cette bee. Elle répond à divers questions, que la vie a été très dure ces derniers temps, notamment la solitude, etc. Mais quand il s’agit d’aborder la question de sa bee-sexualité, elle se tait. Culpabilité ! Ils sont allé trop loin. Oh, sorry, sorry. Et on chante en consolation Stay by me.

C’est ainsi que des chansons pop ou rock rythment de temps en temps les élucubrations de nos épouvantails, évidemment réécrit pour la situation. Tom Waits, Beatles, et d’autres y ont droit. Un nouveau membre vient de les rejoindre, un activiste, qui écoutait la radio de loin.

Alors bien que nous sommes devant les stéréotypes risibles d’écologistes, bien qu’ils parlent parfois comme des hippies new age ou autres ésotériques, bien que nous rions des sujets de cette radio et les enjeux moraux généraux que cette communauté traverse (Par exemple de faire une émission sur les carottes OGM, mais de la carotte-perspective, étant donné qu’on a toujours traité les carottes OGM de la perspective dominante, et qu’ainsi on pourrait faire des émission à partir de la perspective des patates OGM, du lait OGM, etc.), bien qu’on rit de leur manière de produire une pensée par des sententiae bien-pensants, nous sommes devant un endroit très étrange où le rire n’est jamais un cynisme condescendant et complaisant, mais peut-être un certain cynisme qui maintient une tension avec une énorme tendresse envers ces bonhommes, ces clowns, ces épouvantails. Nous ne pouvons ne pas les aimer, alors bien que ce qu’ils disent et font pourrait nous agacer profondément.

Le monde qu’ils habitent n’est pas un ailleurs de ce plateau devant nous. La fausseté du théâtre est devenu dans ce monde post-apocalyptique la fausseté du monde. Et c’est ainsi que Philippe Quesne construit un théâtre immanent à partir des éléments théâtraux. Il y a les tapis de danse, il y a les tours de régie. Et même les œufs avec les LED de couleur changeant qui pourraient sortir d’un catalogue IKEA, on leur dit oui ! L’altérité et l’ailleurs est construit devant nous sans qu’on doit nous faire croire qu’on est ailleurs. On plie les tapis de danse, on roule dessus comme quand on travaille dans un théâtre, et cela n’enlève rien à un image qui aurait voulu être propre.

Dans ces œufs, il y a le grand projet sinon transhumaniste (?), du moins encyclopédiste d’un genre nouveau, de nos épouvantails, enfin, un rêve quelque part totalitaire où serait réuni dans chaque œuf tout ce qui existe. Vers la fin, ils aperçoivent un voisin qui émet des pesticides, herbicides, insecticides. L’ancien activiste appelle à l’assassinat, on s’apprête déjà à tirer sur lui qu’une autre épouvantail a une meilleur idée : lui faire peur avec de la musique. Ça marche. Il s’enfuit et il pleure. C’est la victoire. Là encore, on ne peut pas dire où on est exactement. On rit d’une naïveté, mais les naïvetés semblent être des deux côtés. D’ailleurs, on rit des deux. Il est impossible de dire que la morale de l’histoire serait d’être des pacifistes à faire peur avec de la musique, on est plutôt suspendu avec ces être étranges, moches et attachants dans leurs tendresses au milieu d’un monde mort sans aucune certitude de ce qui faudrait faire de nos vies et de ce monde.