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Le Radeau – par ce vent qui est le nôtre – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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Le Radeau – par ce vent qui est le nôtre

Le Théâtre du Radeau a créé Par Autan, ce 17 mai 2022 au Théâtre des 13 vents à Montpellier. Une tournée est prévue pour la saison prochaine.

Oh si les humains, tous les humains, voulaient ne rien reprocher qu’à eux-mêmes, et uniquement à eux ! était la phrase qui frappa mes oreilles et comme la porte qui m’ouvrait au labyrinthe du minotaure (mais ce serait se tromper de spectacle ; de spectacle sans doute, mais pas de travail, pour celles et ceux qui se rappelle Item). Non, ç’aurait plutôt été un souffle, et les rafales du « vent du diable » m’emportèrent. C’était Walser, le bon vieil ami. Il n’y a que Walser qui peut avoir ce genre de souhaits si beaux et si simples qui renversent un monde.

Trois fois, au moins, il souffle. Et cette figure, une fois, qui s’y affronte avec un tableau dans la main droite, contre les vents de l’histoire. Ce n’est pas pour rien que l’autan est surnommé le « vent du diable ». Ainsi rodèrent les figures assassines, à cloche-pied, pour abattre ou ne pas abattre. On voudrait bien se déchausser d’un soulier pénible. Il y a alors encore ce particulier-là. Cette dame, avec un parasol dans la main gauche, le tableau dans la main droite, le vent d’en face. On se demande qu’est-ce qui la lie à cette vieille croûte. Et apparemment sans utilité, sans un sens intelligible, elle se bat contre ces forces. Autant que ce vent d’autan est emplie de désir, comme pour répondre à cette chanteuse qui étouffe dans le texte de Tchekhov : « Donnez-moi de l’atmosphère ! Auprès de vous, j’étouffe ! », autant qu’il est emplie de désir, dis-je, autant on dirait que ç’aurait été mieux pour eux et pour nous qu’il souffle de l’autre côté. On l’aurait eu dans le dos. Ç’aurait été plus simple d’avancer. Mais l’histoire n’est pas faite ainsi. On porte un tableau contre vent et marais, un tableau d’art ou une croûte sans intérêt (il ne s’agit ici évidemment pas de patrimoine, on l’aura compris), quelque part, contre vents et marrés (les rideaux y voguaient comme la mer) pour qu’il finisse accroché sur un pauvre mur minable. Mais on l’aura porté. Ç’aura été notre fardeau et notre ardeur.

Souvent je dois penser, mais cela vaut depuis longtemps chez le Théâtre du Radeau, aux bouffonneries de Till Eulenspiegel et ses camarades. Un de ses ressorts est prendre les choses à la lettre. La moitié de l’inventivité du Théâtre du Radeau vient de cette chose bête qui est de prendre les choses à la lettre et de faire ce qui est écrit. Il porte des bottes impeccablement cirées qui lui montent à mi-hauteur des jambes, qu’il tient bien écartées… et Frode BjØrnstad écarte un peu plus les jambes. Mais à travers cette bêtise, il vaudrait mieux dire, cette idiotie, se construit une pensée et une nouvelle intelligence qui tourne au ridicule ce qui prétend être intelligent en « comprenant » les mots. C’est là le propre du Théâtre du Radeau qui construit une pensée par la matière, en laissant les choses un peu tranquilles avec les mots. Et les mots tranquilles avec les choses. Il n’y a pas de subordination de signification. Mais tout le monde qui a déjà fait du théâtre ou a vécu quelconque processus de création, connaît cette instant où la matière mis en mouvement produit ses propres liens, associations, trouvailles. Souvent, on ne laisse pas grand place à l’autonomie de la matière, ici, au Radeau, c’est la seule chose à laquelle on aspire. Tout le reste serait de la triche, une fixation arbitraire, morbide, arrogante, dogmatique. Et dès lors on comprends pourquoi François Tanguy a absolument besoin de cet espace, ce décors emblématique. Il doit y avoir un plan de la matière qui puisse déployer sa pensée. Dans un « espace vide » comment serait-ce possible de se défaire du surplomb du mot et de sa signification ? Non, il faut des costumes, des tables, des bancs, des cadres, des profondeurs, des lumières, des canapés, des rideaux, des fenêtres. Et il faut des bruits et de la musique (un énième chapeau à Éric Goudard) pour que le costume tombé ici peut nous montrer le « général » que « La Noce » nous indiquait de chercher, depuis des mois. Et à croire, malheureusement, entre les vents de notre histoire, par ce vent de diable de notre temps, que le seul « générale » que ce monde puisse trouver soit un général, qui d’ailleurs n’en est même pas un pour de vrai, mais peu importe. Restent les épées qui rodent et peut-être la beauté de la chute de la lune et de la rouge étoile. C’est une parure éblouissante. Et reste cette bêtise et cette beauté, on pourrait peut-être dire cette bêautise, du théâtre qui n’a pas encore fini avec l’enjeu de Till : décontenancer, désarmer, défaire toutes sortes de transcendances possibles.

Pour finir, François Tanguy pose devant un rideau qui cache mal, voire pas du tout, la scène, comme pour « tirer rideau », un bouquet de fleurs devant la salle réunie. Certains penseront aux obsèques. Et si c’était seulement un geste pour célébrer cette aventure du Radeau qui a écrit un bout d’histoire et remercier celles et ceux qui l’accompagnent, qu’on reconnaît de loin en loin dans la tempête ?