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L’indestructible Madame Richard Wagner – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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L’indestructible Madame Richard Wagner


Créée en mars 2011 au Théâtre de Gennevilliers et reprise du 18 au 24 juillet au Tinel de la Chartreuse de Villeneuve Lez Avignon, L’indestructible Madame Richard Wagner, écrite et mise en scène par Christophe Fiat, retrace 150 ans d’histoire culturelle et politique à travers la figure féminine de Cosima Wagner. Entre faits historiques précis et extrapolations imaginaires, le récit propose une « théorie de l’indestructibilité ». Un théâtre minimaliste où les corps sont les principaux vecteurs d’une parole poétique.
Après plusieurs étapes de travail autour du mythe des Wagner[1], Christophe Fiat a choisi pour sa nouvelle pièce de se concentrer sur la figure de Madame Richard Wagner. De son prénom Cosima. Une femme dont le caractère bien trempé et la détermination tiraient en partie leur source de la phallocratie ambiante. Une femme qui s’est mis un point d’honneur à faire entrer l’œuvre de son mari au patrimoine national de l’Allemagne et à faire de Bayreuth un festival pérenne et international. Une femme qui s’est imposée sur le terrain de l’art et de l’argent au nez et à la barbe des hommes. Christophe Fiat traite la veuve du célèbre compositeur allemand à la manière d’une héroïne d’opéras et fait appel au personnage de Kundry dans Parsifal (dernier opéra composé par Wagner). Kundry est une femme ambigüe, ambivalente, qui s’impose dans un monde d’hommes et qui laisse planer le doute sur sa mort. Ainsi, chaque fois que Cosima rencontre une difficulté ou traverse une étape cruciale, Christophe Fiat lui fait se demander « Que ferait Kundry à ma place ? ». Une ritournelle, un refrain, qui renforce la mission que s’est fixée Cosima. La force du récit est de faire exister Cosima au-delà d’elle-même. La rendant ainsi indestructible par les mots et par la construction narratologique. Si la grande dame constitue la figure centrale du récit, la pièce se poursuit malgré tout après sa mort. L’angle thématique étant celui de l’héritage (celui dont hérite Cosima à la mort de son mari), Christophe Fiat s’intéresse à ce qu’elle-même transmettra après sa disparition en 1930. Le thème de la filiation est déroulé. Et l’auteur crée une deuxième focale sur Friedelind, la petite fille de Cosima qu’il traite également comme une héroïne. S’étant opposée à l’Allemagne nazie et en premier lieu, à sa mère Winifred – veuve de Siegried (fils de Cosima), et surtout très proche amie d’Hitler –,il fait de Friedelind une figure de résistance faisant écho au tempérament de sa grand-mère. « L’esprit Cosima » semble ainsi s’incarner chez la jeune fille que l’on suit jusqu’à un âge avancé. Christophe Fiat propose ainsi de suivre la saga des Wagner au travers de deux figures féminines qui se sont inscrites en réaction vis-à-vis de leur époque. La fresque sillonne ainsi l’Allemagne, l’Europe et les Etats-Unis.
En présentant les faits historiques sous l’angle de l’exploit, le récit prend des allures d’épopée. Celle-ci se donne au sein d’un dispositif minimaliste frontal qui fait exister avant tout la parole rhapsodique entre parlé et chanté. Quatre comédiennes se tiennent derrière leur micro et se passent la parole. Laurent Sauvage est là, aussi. Seul homme au milieu des figures féminines. C’est lui qui ouvre le récit pour retracer brièvement la vie de Cosima, depuis sa naissance jusqu’à la mort de Wagner en 1883. L’énonciation se fait à la deuxième personne du pluriel. La voix rauque, sourde et sensuelle du comédien parle ainsi depuis un « vous » durassien[2]. « Vous naissez à… vous rencontrez Richard Wagner… vous faites l’amour… vous avez une fille… ». Un « vous » qui vient chercher l‘auditoire, créant une proximité et une intimité entre le spectateur et le personnage. Et puis, c’est la rupture. Cosima devient veuve. Commence alors sa mission, son combat et son engagement artistique pour faire perdurer l’œuvre de son mari. Les comédiennes prennent ici le récit en charge et la parole se livre à la troisième personne du singulier. L’acte de dire ne se fait pas dans un rythme ping-pong et les comédiennes investissent de vrais temps de parole, des plages qui correspondent à des tranches de vie. Parmi les quatre comédiennes, l’une est au bord du personnage. Là où les trois autres sont en jean et tee-shirt, elle – Florence Janas – porte des chaussures à talon, une robe noire recouverte d’un imperméable. Et c’est celle qui, par moments, s’écarte du récit pour faire de brèves incursions du côté du dramatique jouant par exemple un dialogue entre deux personnages (Cosima et son père ou Friedelind et sa mère) ou rompant avec le ton froid et distant pour adopter un ton très confidentiel. Mais c’est le dramatique qui se montre pour mieux s’évanouir, se moquer de lui-même. Marine de Missolz, la dernière comédienne à prendre la parole entrera aussi, à la fin de la pièce, dans un dialogue avec le docteur américain. Mais un dialogue presque absent qui fait entendre ce que, du reste on appelle avec prudence, la « voix de l’auteur ». Une voix qu’on entend également quand Laurent Sauvage reparaît pour citer en boucle « ce film de Francis Ford Coppola, vu à 15 ans au cinéma ». Apocalypse Now. Cet élément disjonctif entre en résonnance avec le récit à plusieurs endroits : parce qu’il utilise la Chevauchée des Walkyries sur une des séquences, parce que c’est un film-épopée dans lequel les difficultés et les rebondissements n’ont eu de cesse d’entraver la réalisation du film (de la même manière que Cosima aura du se battre inlassablement), parce que c’est un gouffre financier (comme le festival de Bayreuth), parce que c’est un film qui regorge d’effets spéciaux (ceux-là mêmes qui faisaient rêver Cosima), parce c’est l’emblème de la culture américaine (terre de liberté gagnée par Friedelind), etc.
Ainsi les modalités du récit sont variées, nuancées, finement entrelacées. S’y ajoute le langage musical et vidéo. La musique live (basse électrique/piano) ponctue le verbe et emplit certains silences dans une relative discrétion. De même, les vidéos aux effets volontairement kitsch ou très sommaires sont seulement de deux types : il y a les extraits liés aux souvenirs – travelling avant sur un paysage urbain, découpe serrure, point de vue voiture – et les extraits liés à la vision – montage accéléré d’images hétéroclites mixées sur un bit électronique strident et finissant par l’image d’un crâne. Ces vidéos étoffent la dimension mystique du couple Wagner qui était par ailleurs sensible à la philosophie de Schopenhauer et au bouddhisme (« Wagnaer croyait au Nirvana »). Elles sont le fil conducteur entre Wagner, Cosima et Friedelind tous les trois visités par des visions, des rêves et des cauchemars. Christophe Fiat tire ainsi les ficelles du spirituel/surnaturel. Il inscrit son récit-performance dans un registre fantastique afin de prendre de la distance avec les faits purement historiques et construit le mythe de l’indestructibilité, celle-là même qui a avoir avec « la permanence de l’esprit au sens du bouddhisme »[3]. Celle-là même qui a aussi avoir avec la poésie.
[1] Quand je pense à Richard Wagner, j’entends des hélicoptères (2009), Le retour de Richard Wagner (2010), Laurent Sauvage n’est pas une Walkyrie (2010), Wagner project (2011).
[2] Cf La Maladie de la mort, Marguerite Duras.
[3] Extrait de l’entretien accordé par Christophe Fiat à Jean-François Perrier et utilisé pour le programme de salle.