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La levée de gourdins – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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La levée de gourdins

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Serrés sur le gradin du gymnase du lycée Mistral, nous étions nombreux hier soir à assister à la dernière pièce du duo fracassant Sophie Perez / Xavier Boussiron, au titre aussi évocateur que mystérieux : « Oncle Gourdin ». Treizième création de la compagnie du Zerep, c’est pourtant pour la première fois qu’elle est accueillie au festival d’Avignon. À croire que ces enfants terribles du théâtre et des arts plastiques ont longtemps inquiété par leur prédilection pour le mauvais goût et la mise en pièce des codes du spectacle, avant de pouvoir se creuser un nid au sein du « prestigieux festival ». Il n’est donc pas étonnant qu’« Oncle Gourdin » soit une pièce sur mesure, où une bande de lutins graveleux « jouent au théâtre » pour rompre l’ennui, taillant de beaux costards tout au long du chemin.
Sophie Perez et Xavier Boussiron sont venus au théâtre par le biais des arts plastiques. Formés respectivement à l’Ensat et aux Beaux Arts, leur première collaboration date de 1997. Depuis, en toute insolence et dans la plus grande joie, le couple infernal ne se lasse pas de recouvrir les scènes de décors extravagants, de frictionner le noble et le vulgaire pour en sortir des étincelles, de composer avec une énergie foutraque loin des modes et des attentes, le tout en offrant une critique acerbe et irreverentieuse de l’art vivant.
Leurs précédentes créations font feu de tout bois : l’adaptation d’une méthode pour apprendre à nager sans eau datant de 1930 (Mais où est donc passée Esther Williams ?), une conférence psycho-médicale (Leutti), les affres d’un cabaret passé à la moulinette (Le coup du cric andalou), une version baroque et expérimentale du Lorenzaccio d’Alfred de Musset (Laisse les gondoles à Venise), ou encore une pièce pédagogique pour les critiques (Deux masques et la plume).
Ils s’entourent d’une équipe de comédiens fidèles que Sophie Perez qualifie de « 4×4 humains ». Ces acteurs ont dans leur sac des outils issus de cursus variés allant de la formation d’acteur des plus classiques au cabaret, de la performance aux claquettes, en passant par l’athlétisme. Leur savoir faire, allié à une énergie et une inventivité débordante, leur permet de passer d’un registre à l’autre, et de pouvoir rire de codes qu’ils maîtrisent sur le bout des doigts.
Lorsque Sophie Perez et Xavier Boussiron imaginent un nouveau projet, le décor est généralement l’élément qui arrive en premier, et sur lequel ils prendront appui, avec les comédiens, pour construire la pièce. Pour « Oncle Gourdin », ce sont les arcades de pierre du cloître des Célestins qui ont été construites en carton pâte, à l’échelle 1/3. Les mythiques platanes sont également reproduits, et les champignons qui en recouvrent l’écorce donnent des allures de sous bois. En effet il s’agirait presque d’un demi sous sol, nous sommes proportionnellement un peu plus bas que ce que devrait être la véritable scène des Célestins, comme en dessous. Que va t on trouver dans les bas fonds du théâtre ? Une petite famille de lutins, et un amoncellement d’objets disparates, chaises, animaux empaillés, bassines, peluches, projetés sur scène comme autant d’accessoires oubliés par le « théâtre d’en haut ».
Cette tribu vit là, dans ce qui semble être la routine d’un joyeux bordel organisé (« il faut mettre un peu d’ordre dans le désordre ! » s’exclame l’un d’entre eux). On bricole à coup de hache, on nettoie à la brosse wc, on montre l’air de rien ses fesses à son voisin et on part à la chasse quand il n’y a plus rien à manger. Le tout sur fond de musique d’ascenseur qui n’est pas sans rappeler le sublime mauvais goût de certains sketchs des Deschiens. On comprend alors, dès les premiers minutes, que l’entreprise de la compagnie Zerep est ici de piétiner pour transformer, et de partir, armes lourdes à l’épaule, trouver de quoi se mettre sous la dent avant de dépérir, bref de « faire que le théâtre reste un chose vivante » comme le dit très simplement Sophie Perez.
Car ces lutins sont tout à notre image, ils s’ennuient et s’endorment quand on leur serine du théâtre « bourgeois ». Un des leur commence à lire Claudel et paf ! instantanément, les nains plongent dans un sommeil profond à en faire pâlir la belle au bois dormant. Un autre essai est fait avec « l’épître aux jeunes acteurs » d’Olivier Py qui a d’abord pour effet une belle séance de coussin péteur, puis les endors tout autant.
Mais c’est finalement Pasolini, récité par cœur, lors d’un moment de détente-papouillage, qui résiste à la léthargie et les éclaire sur le refus comme acte essentiel. En devenant partisan du non, les lutins mutins amorcent une révolution. Ils vont se mettre à rejouer les mythes fondateurs du théâtre, comme pour conjurer le sort et se réapproprier l’histoire. La mise en marche du théâtre s’engrange suite à deux événements concomitants : la découverte d’un enfant mort et l’aveu de l’ennui. Le cadavre comme l’âme du théâtre, la condition de l’apparition de la tragédie. On joue alors un Œdipe grossier flinguant son Elvis daddy king de père, et recouvrant amoureusement sa mère de nourriture. « Je vais être complexé maintenant » finit-il par dire avant de se crever les yeux, façon grand guignol. Puis une Médée affublée des oripeaux du théâtre, gémissant et hurlant en cantatrice sous les arcanes, tandis qu’au pied des arbres à lieu une danse burlesque et triviale entre deux lutins, une main dans la culotte sale et l’autre agitant une carotte, avec éclats de rire malicieux. Voici un bel exemple des mélanges qu’affectionnent Sophie Perez et Xavier Boussiron, à savoir émotion et bouffonnerie, culture savante et culture populaire, élégance et vulgarité.
Le dernier mythe revisité par les nains n’est autre qu’ « En atendant » d’Anne Teresa de Keersmaeker, spectacle joué l’an dernier à Avignon précisément au cloître des Célestins, et resté très présent dans les esprits et dans le lieu, comme un moment phare du festival. Reproduisant les clichés de ce que pourrait être un spectacle de fin d’année de l’atelier de contact improvisation de la MJC, les comédiens exécutent une mauvaise chorégraphie avec le sérieux d’un pape, en tenue noire, après le passage d’un d’entre eux au flutiot. Ils finissent par y ajouter des gourdins en plastique comme accessoires, symboles de la commedia dell’arte ou encore du lubrique franchouillard. Le pastiche peut faire rire jaune…
« Oncle gourdin » se finira en parfait carnage, un des lutins se livrant soudain à une tuerie au fusil à pompe. Une fin sommaire, comme expédiée sous le tapis pour ne plus en parler, mais comment finir autrement ? Le théâtre, comme les jeux d’enfants, prend fin lorsque tous meurent, avec le plaisir de savoir que les morts viendront tout de même saluer.
Xavier Boussiron et Sophie Perez jouissent d’une liberté folle. En mélangeant les genres, ils créent leur propre esthétique. Difficile donc de le rattacher à une famille de théâtre ; iconoclastes, leurs références et influences sont plutôt à chercher du coté des arts plastiques. Avec le choix des nains aux masques et costumes difformes, on pense fort aux images de Cindy Shermann ou encore à Paul Mc Carthy. Avec ces monstres, c’est tout un jeu d’attraction et répulsion qui se met en place. Venues de plus loin, les références à Bosch et Bruegel planent sur le plateau.
En proposant à leurs acteurs de 50 ans d’interpréter des lutins, Sophie Perez et Xavier Boussiron rient du comble de ce que pourrait être la carrière raté d’un acteur finissant figurant chez Disney.
« Oncle Gourdin » serait alors un psychodrame, une thérapie de groupe, à la fois pour porter un regard sur le théâtre en train de se faire, sur le théâtre au travail et pour se libérer des casseroles du passé. Crée comme un véritable clin d’œil (ou bras d’honneur, suivant la sensibilité de chacun) à Avignon, la compagnie Zerep ne veut pas être dupe de l’histoire du spectacle vivant et de ses modes de production, et s’en sert au contraire comme matière. Il se payeront donc le cadre prestigieux d’Avignon dans n’importe quelle salle de gymnase, tel le sphinx de Guizèh à Las Vegas, avec la clim. Outre De Keersmaeker, bien d’autres références sont bousculées, tel Olivier Py la tête de turc, pointant ce qui semble d’évidentes divergences artistiques et politiques. « C’est une figure recurente dans notre poubelle mythologique » dit Xavier Boussirron au micro de France Culture.
« Nous pensons, au sein de la compagnie du Zerep, et ce depuis une dizaine d’années, que le théâtre s’épuise s’il n’est qu’une catégorie culturelle ankylosée par son histoire, juste une idée bonne à être examinée comme un animal ancien qui baigne dans le formol. »[1] annonce la compagnie, comme un manifeste. Et la voie qu’elle a choisie pour creuser sa recherche singulière de vivant, tout en se purgeant d’un héritage plombant, se révèle être très saine.
« On se contrefout de l’expérimental, du rock, du pluridisciplinaire, du pseudonouveau, de la suprématie de la bêtise décomplexée, du théâtre moderne “à sa mémère”. Faire de la parodie n’est pas une obligation. Par contre, en tirer parti exige que les choses vous habitent fondamentalement. Sans parodie pas de tragédie, sans tragédie pas de théâtre…Au théâtre, compte uniquement ce qui crée des faits et liquide une anecdote. L’écriture est donc celle de la scène, pas celle des textes. »[2] Et c’est bien cette position radicale, qui rend leur travail si singulier, laissant au spectateur une sensation trouble parfois, entre mal à l’aise et fascination, comme devant un mauvais plat qui aurait goût de « reviens-y ».
Avant de mourir, les nains trinqueront à la fin de la représentation, avec un cocktail « venefice », nommé en l’honneur du théâtre qu’ils savent bien être à la fois sortilège envoûtant et poison mortel…
[1] Extrait du site de la compagnie www.cieduzerep.blogspot.com
[2] A propos de leur Gombrowiczshow, www.theatre-contemporain.net