Cette page requiert que JavaScript soit activé pour fonctionner correctement. / This web page requires JavaScript to be enabled.

JavaScript is an object-oriented computer programming language commonly used to create interactive effects within web browsers.

How to enable JavaScript?

« This is how you will disappear » de Gisèle Vienne. Quand ca disparait ca existe encore ! – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
illustration article

« This is how you will disappear » de Gisèle Vienne. Quand ca disparait ca existe encore !

—–
La chaleur nous accable pour cette 64ème édition du festival d’Avignon. Nous entrons dans le gymnase Aubanel où nous accueille la fraîcheur de la performance de Gisèle Vienne : « This is how you will disappear ». Malgré un titre inquiétant, c’est le lieu où nous nous sentons revivre. Cette fraîcheur est sans doute liée à la scénographie que nous propose ce spectacle : une forêt. Nous sommes face à un paysage qui nous invite à la contemplation. Les quatre premiers mètres devant les gradins laisse apparaître un espace vide qui renforce ce dispositif. Ce proscenium, ce vide entre les spectateurs et le spectacle enjoint le public à observer à distance. Après cette distanciation, après cet espace sombre et vide apparaît la forêt. C’est une forêt dense. C’est dans cet espace à taille réelle que la représentation se déroule. Nous pouvons y voir le cadre d’un tableau ou bien un plan de cinéma avec dans les deux cas le choix d’une courte focale. Dans cet espace concret, le cadre ne nous laisse pas entrevoir la cime des arbres mais comme en peinture, en photo ou au cinéma, le cadre donne à voir au-delà de ce qu’il montre. Cette impression d’un espace réaliste dont la scène ne nous permet pas d’entrevoir tout est confortée par l’absence de profondeur et de perspective. Tout ce qui n’est pas là sous nos yeux est hors-cadre mais existe inexorablement. La cime des arbres par exemple est le premier élément qui a disparu. ça disparaît et ça existe encore.
Cette forêt à laquelle il manque une totalité est accentuée par l’omniprésence de brume, de brouillard et de fumée sur scène qui découpent, recoupent, re-découpent l’espace et le cadre. L’élément aérien permet avec la lumière de faire disparaître une partie de la forêt, de faire surgir un personnage. Tous les personnages qui se retrouvent sur scène semblent arriver de nulle part. Ils apparaissent, c’est tout. Ils sont là. Que cherchent-ils ? Pourquoi sont-ils ici ? Ce sont des questions que le spectacle ne cherche pas à éclaircir même si le montage permet aux spectateurs de construire des hypothèses.
Nous sommes des observateurs de ce coin de forêt. Giselle Vienne propose un montage de différentes séquences qui se sont déroulées à cet endroit du bois. Nous assistons alors à une série de micro histoires, de micro événements qui sans être liés narrativement participent à la construction d’une histoire complexe. Une histoire de trois figures, trois personnages qui naviguent entre quête et envie de disparition. C’est une recherche d’absolu qui guide ces personnages. La gymnaste se construit un corps exemplaire, recherche une perfection. Le coach tente d’assouvir le fantasme de la fabrication d’un modèle. La rock-star cherche dans la forêt un lieu expiatoire et un lieu de désexposition.
La forêt surtout qui, témoin de ça, en est aussi le déclencheur. C’est elle qui travaille les personnages dans plusieurs directions, qui les guides à la fois vers une beauté, vers un chaos, vers un précipice et vers une harmonie. Elle les tiraille à la fois vers des pulsions primaires et vers une quête d’absolu. Ce sont aussi les spectateurs qui regardant ce spectacle développent à travers l’imaginaire de la forêt, une forte charge émotive. Nous naviguons de la beauté de l’espace à une inquiétante étrangeté due à sa charge symbolique. La forêt est à la fois lieu de refuge et lieu de disparition. Dans cette forêt embrumée, nous pouvons faire surgir de notre imaginaire en fonction des ombres fabriquées par la lumière : des cerfs, des spectres, des samouraïs ou une niche à prière. Il faut sans doute beaucoup d’imagination, mais il me semble que Gisèle Vienne nous laisse le temps et le loisir de voir son travail avec nos projections.
À la manière de David Lynch qui dans Lost Highway nous plonge dans une atmosphère, Gisèle Vienne sans spectacularisme outrancier trouve le moyen de nous faire traverser toutes les forêts ; passant de la ballade paisible à celle d’Hansel et Gretel, rencontrant nos démons et des monstres insoupçonnés. Gisèle Vienne nous emmène avec une scénographie de la nature dans un univers de la culture, du culturel en nous promenant à travers nos inconscients collectifs et particuliers. Elle pose aussi la question de ce qui disparaît dans le spectacle vivant. En effet, elle fait émerger du vivant quand des faiseurs de spectacles s’enferment à retrouver une authenticité passéiste. En cela, cette proposition participe d’un renouvellement des formes et des procédés.

— –