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« Les estivants » au TNB …Retour vers le futur en la joyeuse compagnie d’Eric Lacascade – L'!NSENSÉ
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« Les estivants » au TNB …Retour vers le futur en la joyeuse compagnie d’Eric Lacascade

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Il est terrible le petit bruit de la conscience quand il résonne dans la tête de celui qui ne connaît pas la faim ! …dans la tête de celui qui ne connaît plus l’exploitation et la misère à l’état brut, c’est-à-dire dans cet état que l’on attribue aux classes laborieuses, qui caractérise les victimes d’un système libéral et capitaliste, qui s’organise (d’aucuns ne veulent plus le savoir) en lutte des classes ! Terrible ! Terrible donc le « bruit et la fureur » des « Estivants » montés et présentés par Eric Lacascade en ce début d’année au Théâtre National de Bretagne à Rennes. Les Estivants pièce écrite par Gorki , et traduite par Markowicz fut créée en France par Michel Dubois dans les années 75/76. C’est un « clin d’œil » de la petite histoire que de voir Eric Lacascade s’attaquer à ce classique d’un théâtre que l’on dit politique. Et de fait, on ressort de ces représentations avec la sensation d’une « interpellation » violemment politique ! On s’en prend plein la tronche ! Une sacrée claque…Difficile d’éviter les questions qui fâchent ! Du Daumier pur jus ! Bref, « pas beau à voir » (même si le spectacle est splendide) ce portrait en forme d’auto-portrait de CE QUE NOUS SOMMES.
Nous « les petits bourgeois qui ne sommes guère à la noce » pour parodier le célèbre farce/pastiche de Bertold Brecht.De la satire pur jus.
Il y a parfois des hasards qui font bien les choses ! Il se trouve que je penche mon front studieux en ce moment même, sur et dans l’admirable et peu complaisant « Retour à Reims » de Didier Eribon. Cet ouvrage distille en moi l’alcool fort de l’histoire de mes origines…Ouvrières ! (origine ouvrière d’hier, comme origine émigrée arabe d’aujourd’hui) . Ne pas trahir d’où l’on vient. Fidélité de classe. Savoir d’où l’on vient pour comprendre où l’on va : voilà le grand rendez-vous avec soi-même et les « Estivants » !
Elle (je parle ici de ma maman ; ouvrière déléguée CGT de la métallurgie dans les années 50) voulait que son fils (moi) soit mis en vacances de l’exploitation de l’homme par l’homme ! Elle était « communiste » pour moi dans le concret de sa chair de mère…Elle était cette « mère » que je devais rencontrer dans la mère de Brecht..un peu plus tard parce qu’elle avait réussi à m’émanciper, à m’affranchir de la servitude qui l’accabla sa vie durant !
Comment voulez-vous que je lise Eribon, que je voie les Estivants sans un profond frémissement de mes entrailles, sans que ma cervelle joue au yoyo dans mon étroite boîte crânienne ! Comment voulez-vous que j’oublie ?
Terrible, féroce je reste et resterai joyeusement dans la haine des nantis et des puissants …INUSABLEMENT. C’est mon secret de fabrication …Et je repense à cet admirable poème de Ginsberg : « Ô mère qu’ai-je omis, ô mère qu’ai-je oublié….Avec le parti communiste et tes bas filés…ô mère qu’ai-je omis, ô mère qu’ai-je oublié ? »
RIEN.
Alors ces estivants, c’est qui ? c’est quoi ?…Des « héritiers » comme Bourdieu a pu si bien les repérer dans le paysage social…Comme ils se retrouvent et se reproduisent de génération en génération jusqu’à remplir présentement nos salles de théâtre. Et si ceux-là qu’observe Gorki firent leurs débuts de classe …comme on dit faire ses classes, en bons petits soldats qu’ils furent du système libéralo-capitalisto-soviétique, en début du siècle, la traduction de Markowicz aura dégraissé le texte de toutes diversions exotiques et folkloriques…
L’intelligentsia
L’historicité ? C’est que ces premiers petits bourgeois ne sont pas encore devenus le personnel politique dominant d’un capitalisme qui trouve en eux des serviteurs aussi zêlés qu’inconscients des services rendus…Nouveau-nés à la conscience de classe, ils vont fournir aussi bien l’avant-garde révolutionnaire et fournir les Lénine et autres Trotski de la révolution d’octobre ; les « bolcheviks » ou les sociaux-démocrates et autres Mencheviks ; les vaincus de cette même révolution d’octobre.On voit donc les balbutiements de la conscience petite bourgeoise en train de s’élaborer…Débats et scrupules…C’est aussi le commencement d’une laborieuse oisiveté, c’est–à-dire l’apprentissage de l’oisiveté par une classe qui dispose de moyens mal assurés… C’est le Lopakhine de « la Cerisaie » transformant le domaine en résidence secondaire …Mais ce dernier ne sait pas ne rien faire …Où ils (ces oisifs d’occasion) « imitent » le savoir « ne rien faire » des classes dominantes déchues ( la noblesse, le clergé). Bref, c’est d’une insigne maladresse et mal dégrossi ! ça s’imite les uns les autres et tout ce petit monde qui fait assaut d’intelligence n’y comprend rien. Pourtant, ils passeront à la postérité sous l’appellation d’intelligentsia. La culture leur sera tasse de thé et le ciel des idées va nourrir leur idéalisme échevelé dont aujourd’hui Bernard Kouchner représente l’avatar le plus accompli…Parce que la filiation du petit bourgeois d’hier à celui d’aujourd’hui et d’une saisissante continuité ! En droite ligne, nous en descendons aussi sûrement que du singe…Les figures de l’Histoire se reproduisent à l’identique et les mêmes états d’âme, le même érotisme, la même inflation de sentimentalisme et de sensiblerie désespérée…vient là nous claquer à la gueule ! C’est effrayant et terrifiant. Difficile de s’éviter ! Le miroir tendu est cruel d’autant que la révolution d’octobre est derrière nous…Nous reste un Badiou pour insister et remettre l’ouvrage en chantier. Coup de bol, ce même Badiou vient d’investir l’amour comme processus de maintenance révolutionnaire.
L’en-je
Quand la réalité se dérobe (les contraintes et servitudes du réel), l’ange n’est pas loin. L’angélisme, le nombrilisme, la rêverie, le phantasme, le théâtre, le jeu…On se cherche un état…On n’a que le mal d’être… On se joue et on s’absorbe dans l’enjeu de soi : faire l’en-je. S’organise avec un idéalisme passionnée un ordre anarchique suprême qui se donne pour le meilleur des mondes et comme nous voyons la désastreuse mouture de ce substrat du monde, il ne nous reste aucune issue …À moins que Badiou. Comme il dirait : d’erreur en erreur la vérité de la pertinence du communisme finira bien par sourdre. Wouais. L’humour ! Voilà ce qui s’indique comme issue. Les estivants signés Eric Lacascade n’ont pas d’autres ressources que de nous donner à rire ! Elégance déjantée…Marre-toi mon frère , tu ne sais pas qui te marrera…Où te mariera ! C’est du pareil au m’aime. En joies toi ! Fous-toi de toi ! fais l’en-je ! Là pour rendre à mes sources d’inspiration ce que je leur dois, je citerais Perrier (éminent Lacanien) et Freud (éminent freudien) et j’omettrais Kafka métamorphosé en chien de compagnie.
Perrier
« « Moor om tig woug », c’est l’expérience désagréable qui consiste à s’écouter soi-même au milieu d’un long discours et à ne pas comprendre ce qu’on dit ; un accent étranger, un lion qui pète après le repas du soir ». Il y en a beaucoup comme ça. »Oumi rim tozit », c’est joli, c’est la sensation que connaît la femme quand elle ignore ses sentiments envers un homme, et « Oumi rim ou », c’est « les nouvelles dimensions qui assurent une existence illusoire quand le corps de la femme aimée se révèle pour la première fois ». « Oumi ngag bou » c’est l’amour de soi-même qui dépasse l’entendement, c’est à dire le rêve d’une machine ». Je me permets un commentaire concis : « Quel ngag ! »…À mourir de rire que ces estivants là où s’enterrer avec eux. As you want.
Freud
« The grandeur in its clear ralises the triumph of narcissism, the victorius association of eguals’invulnerability.The eguals refuse to be distressed by corrections of reality to itself be compared to suffer.Humour is not resigned, it is rebellious. » Ben, wouais je ne me résigne pas …Et j’ai le sentiment, l’intime conviction qu’eric Lacascade et quelques uns de ceux qui le suivent non plus, ne se résignent ! ILS SE MARRENT !
Bande de rebelles …mes d’rôles !
Il faut conclure
Comme tout le monde, je n’avais pas vu depuis bientôt trois ans et plus, le travail d’Eric et sa bande. Ce n’était pas une putain de saison mais une putain d’absence…Alors je ne vous dit pas Wahou ! comme ce fut bon de revoir tout ce petit monde…la sublissime Millaray Lobos Garcia dans Varvara , belle comme un ange pasolinien ( celui qui traîne dans « théorème ») , le Jérôme Bidaux en grenade dégoupillée qui menace toujours de tout faire sauter ( le lion qui pète de Perrier) Mon pot’Arnaud l’ébouriffant, Christelle (Legroux) Daria (Lippi) ..les femmes aimées (Perrier toujours)…Et le Stéphane E. Jais qui se détricote en idiot prince du monde…On n’en finirait pas de les évoquer. Ils sont là ! EN PERSONNE. C’est ça qui est épatant Eric Lacascade fait du théâtre avec des acteurs qui ne renoncent en rien à leur qualité de personne. Pour une fois un théâtre se montre art vivant effectivement. Ce n’est pas rien. Le sens circule avec le sang. Et puis arrive des nouveaux : Laure Werckmann et c’est tout en grâce charme et subtilité qu’elle traite son Olga (figure ingrate s’il en fut)… Curieusement je me ressens d’une étrange familiarité avec les habitants de cet univers. Un monde à part. Il fut un temps où c’était le cinéma de Bergman …que je dégustais assidûment qui m’offrait ce goût de l’autre. Familier, intime et énigmatique. Ce qui court de Bergman à Eric Lacascade, c’est le Persona . L’un est l’autre s’emploient à saisir cette figure tragique que Kierkegaard ausculte dans son « La Répétition». Il s’agit selon Kierkegaard de ce qui chez chacun s’exécute tous les jours de façon immuable, ce qui chez chacun fait son bruit de fond, son rythme, sa mélodie…le persona est un moi caché (l’en-je) qui –toujours selon Kierkegaard- trouve avec la scène théâtrale, sa caisse de résonance. Eric Lacascade cultive avec passion cette écoute de l’acteur qui s’ignore, qui se répète dans l’innocence de sa propre répétition. Alors s’insinue la figure du destin et le tragique prend consistance à partir de ces presque riens. L’insignifiant serait la marque de fabrique du tragique que peut et veut explorer Eric Lacascade. OUI, une connivence étroite le lie à Tchekhov. Un silence « brigand » porté par le vent. ( page 72 de « La Répétition »)
Pudeur.
Emotion.
In Fine.
« Les estivants » se joueront les mercredi 28 et jeudi 29 avril prochain à la Scène National d’Evreux.