Cette page requiert que JavaScript soit activé pour fonctionner correctement. / This web page requires JavaScript to be enabled.

JavaScript is an object-oriented computer programming language commonly used to create interactive effects within web browsers.

How to enable JavaScript?

Antonio E Cleopatra, Inspire/expire – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
illustration article

Antonio E Cleopatra, Inspire/expire

« Mundo Perfeito » combat les forces du mal depuis 2003, année où il est né dans la cuisine d’un petit appartement à Amadora. Son nom traduit l’ironie d’un regard critique sur le présent, mais aussi l’idéalisme d’un regard optimiste sur l’avenir. Organisée autour du travail artistique de Tiago Rodrigues, qui partage la direction avec Magda Bizarro, la compagnie Mundo Perfeito est reconnue pour sa constante volonté d’innover et de réinventer. Avec Antoine Et Cléopatre, présenté au Festival d’Avignon, salle Benoit XII, passé le premier sentiment de surprise, il peut y avoir un sentiment partagé… quelque chose qui relèverait du compromis.

Une appropriation
« Qu’est-ce que ça peut bien être que ça ? » se demande-t-on d’emblée dans ce qui se présente à vue comme un décor psychédélique qui aurait tout aussi bien pu servir à un épisode de Cosmos 99. De fait, l’immense toile peinte recourbée, qui part de la rampe du plateau, le recouvre, pour remonter en fond de scène, et le mobile suspendu composé de quatre grandes surfaces circulaires qui se coloreront au gré du travail lumière… forment un décor pour le moins énigmatique. Sentiment de mystère qui ne disparaîtra pas quand Sofia Dias (Cléopatre) et Vitor Roriz (Antoine) se produiront dans une chorégraphie minimaliste. Sentiment ténu quand ils s’approprient la pièce de Shakespeare, ou ce qu’il en reste, via un travail sur la langue et un agencement réthorique qui privilégie le discours direct. Exemple : Antoine dit : « expire », ou Cleopatre dit : « inspire »… qui est la « phrase » dite, redite, re-redite tout au long de la grosse heure que dure ce travail. Au vrai, qui serait venu afin d’assister à une énième adaptation de l’une des œuvres de Shakespeare pourrait avoir la sensation qu’il s’est trompé de salle ou que le programme a été changé au dernier instant. C’est qu’ici, Tiago Rodrigues, qui a des idées bien arrêtées sur ce qu’il attend de l’acte théâtral, nous aura prévenu : « Je pense que l’on ne peut plus jouer les grands sentiments, jouer plus large que la vie, jouer la monumentalité d’Antoine et Cléopatre. Mais on peut continuer à chercher comment évoquer cette histoire » (cf. le programme).
Et de fait, il s’agira bien ici d’une évocation. C’est-à-dire non pas une restitution du texte ou de l’action, mais une succession de « traces » sonores, d’empreintes « physiques », de signes plastiques qui forment cet Antoine et Cléopâtre. Soit une manière, dans le rapport à l’interprétation, de s’approprier une matière en privilégiant le lien spirituel et émotionnel qu’une œuvre peut avoir sur soi. Par là, Tiago Rodrigues n’est pas là pour développer une thèse, s’inscrire dans un processus didactique ou prétendre à un enjeu de signification problématiséé au regard d’une époque. Non, il est là, vraisemblablement, pour rendre sensible une approche radicalement subjective qui s’inscrit dans la volonté de rendre manifeste le présent du théâtre. C’est-à-dire de donner à la rencontre avec l’œuvre une actualité, ou une force poétique qui ne peut tenir qu’à l’instant présent. En soi, et dès lors que ce point est précisé, son Antoine et Cléopatre, pour autant qu’il restitue furtivement quelques éléments de la fable shakespearienne, est avant tout une sorte de forme performative.
Shakespeare à distance
La distance plus que l’incarnation… pourrait être le principe qui structure cette forme à la théâtralité singulière. Sur le plateau, le comédien et la comédienne, s’inscrivent dans une sorte de mouvement chorégraphique où ce qui les relie c’est la langue. Juste la langue ou la parole qui fait l’objet d’un traitement singulier de reprise et de répétition. Dans cette entreprise purement sonore, le corps de l’un et de l’autre n’est plus à proprement parler mis en demeure de trouver le geste qui reprendrait la parole. Le corps est davantage là pour guider le rythme du récit qu’ils font d’Antoine et Cléopatre. A la manière de marionnettistes qui tiendraient les fils de la parole, l’un et l’autre développent un rapport de réciprocité qui les amène à jouer l’un pour l’autre. L’un Antoine, l’autre Cléopatre donnent ainsi à voir et à entendre une partition partagée, un peu comme si le texte (ramené à quelques fragments) était le territoire commun d’une idée qu’ils s’échangent, se donnent, se reprennent… Et de les regarder « poser des gestes » dans l’espace, sans aucun artifice, comme s’ils dirigeaient le récit en ayant trouvé une forme organique immatérielle qui les lie tout en les maintenant à distance. Au cœur de ce mouvement, dans l’intervalle de ce mouvement, ce qui est mis en avant, c’est sans doute le thème amoureux qui vaut à Antoine et Cléopatre d’être l’une des plus grandes et tragiques histoire d’amour, sur fond de guerre.
L’action ou la situation de jeu est ainsi a priori mineure, et ce qui est mis en avant c’est un jeu sonore où le rythme de la parole comme la hauteur de timbre forment l’essentiel du propos dramaturgique. Jeux de mots, jeux de sons, jeux d’articulations, jeux amoureux… Tout relève d’une subtilité, d’une dentelle linguistique où Antoine et Cléopatre est là dans son entier, ponctué de pauses (Sofia avance un ventre de future maman) où l’attention et l’affection de l’un et de l’autre, de Sofia pour Victor, d’Antoine et de Cléopatre, sont élevées au carré. Une attention qui va jusqu’à l’épuisement du souffle de la parole qui marque la mort d’Antoine, après que dans un exercice lexical où le voisinage des mots permettait de relancer leur dialogue, l’épuisement des sonorités similaires conduit alors Antoine et cléopatre à être séparé par la mort.
Bien sûr cet Antoine et Cléopatre joue de la référence au film de Mankiewicz (1963) avec Elizabeth Taylor et Richard Burton. Le tourne disque sur le plateau donne même à entendre quelques mesures de la bande son réalisée par Alex North. Mais on est loin, très loin du décorum du film le plus somptueux d’hollywood. Loin, et pourtant si près puisqu’à l’image des protagonistes du film américain -l’amour de Burton et Taylor, à l’écran comme dans la vie- c’est une affection presque similaire qui semble animer les interprètes de l’Antonio E Cleopatra de Tiago Rodrigues.