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Matter… – L'!NSENSÉ
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Matter…

Matter, chorégraphie de Julien Nioche — Festival d’Avignon 2014

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Matter… pièce qui, explique Julie Nioche, serait davantage une chorégraphie qui interroge la notion de construction identitaire que l’identité féminine. Matter, comme la matrice (ajoute-t-elle), mais aussi en anglais “problème”, “affaire”… Un spectacle qui réunit quatre interprètes de nationalités différentes. La norvègienne Mia habib, la turque Filiz Sizanli, la marocaine Bouchra Ouizguen et la suèdoise Rani Nair… toutes ayant eu à constituer leur identité de femmes chorégraphes et danseuses en réaction ou en lien avec leur contexte de vie.


Avant Matter… et tous les jours dans le festival
C’est au terme de Matter que les interprètes venus de différents pays formuleront une demande à destination du public. Il s’agit de participer à une action pour soutenir les salariés fragilisés par la remise en cause du statut des travailleurs précaires. Et de voir une salle entière se donner la main et lever les bras… Avant, vers 18H00, rue des Teinturiers qui abrite le théâtre Benoit XII où sera donnée la pièce chorégraphique de Julie Noche, une annonce faite par haut-parleur prévient que “Si un membre du gouvernement est dans la salle le spectacle sera interrompu jusqu’à ce qu’il sorte…”. La rue applaudira fortement.
Interdits de salle jusqu’à quand les élus de la nation ? L’automne, l’hiver, le printemps… jusqu’au prochain festival… le temps risque de paraître long et hostile, aux uns et aux autres qui, au prétexte du “pacte de responsabilité” oublient Gramsci : “gouverner ce n’est pas mutualiser les pertes et privatiser les profits”… Que le MEDEF feigne de l’ignorer au prétexte de faire miroiter la sauvegarde des emplois passe encore, mais pas un salarié, pas un “travailleur” (au risque de passer pour un rouge réac et arriéré) ne l’a oublié. Ce ne sont pas les élections que vous perdrez et que vous avez perdu… ce sont les électeurs. Et c’est un point de non-retour : une fracture et une rupture.
Le patron… de Matter
En couture, dans les ateliers de confection ou sur la table de la cuisine des maisons modestes pour les particuliers, préalablement à l’assemblage des étoffes et des tissus, puis aux finitions, il y a une phase de dessin sur un papier calque. C’est le moment où chaque pièce du vêtement est reproduite, en pointillet, avec une craie, le plus souvent blanche. Tout le vêtement y figure sous une forme insoupçonnable pour un œil non averti. C’est ce que la couturière nomme un “patron”, et c’est en soi le spectre du vêtement qui sera porté. Et rien n’est imaginable sans ce dessin, car il est comme les diagrammes de Duchamps. C’est la première étape, l’origine, la fondation… d’un vêtement à venir. C’est en soi une esquisse et le patron peut ainsi être considéré comme le premier geste d’un mouvement qui s’accomplira dans le vêtement porté. Geste qui disparaît mais qui est dans le vêtement fini. Geste inesthétique en soi, il est pourtant un geste technique indépassable. Ces “lambeaux” découpés, avant d’être cousus, sont souvent agrafés sur un mannequin humain. Bien avant le file et la main experte de la couturière, c’est une série d’épingle qui sert à tenir ensemble ce qui n’est que pièces détachées.
Dans la salle Benoit XII, le plateau de Virginie Mira qui signe la scénographie de la pièce chorégraphique de Matter de Julie Nioche s’apparente à ce “patron”. De couleur verdâtre, la surface lisse et brillante offre ici et là quelques bourrelets/ourlets. “S’apparente” seulement, dis-je, mais l’image est persistante et les interprètes en costume de papier suspendent toutes autres représentations. Sur le plateau, une puis deux puis trois, puis quatre interprètes féminines viendront tour à tour exécuter un solo convulsif. Habillées dans des feuilles de papier, elles semblent se débattre dans ces cocons informes et s’affrontent à l’eau qui vient tout d’abord plaquer ces matières sur leur peau, avant que leurs corps, leurs muscles et une énergie physique rageuse ne parviennent à s’en débarrasser. Moment de libération, de mue et de métamorphose où leur corps nu finit par sortir de ces chrysalides et s’immobiliser dans des formes de prostration. Le corps sculpté est né de ce premier temps physique et violent, où par soubresauts, par percussions, par chutes glissées… le corps a fini par gagner, épuisé ou calmé, un état de quiétude. Et de souligner que l’eau projetée par aspersion fine ou s’échappant mystérieusement en marée noire se répand sur la scène devenue glissante. Territoire hostile qui rendait le pas et le geste fragiles, incertains…
Puis, et c’est le second de Matter, les quatres danseuses sont à nouveau habillées par une “couturière” tout en noir qui, munie d’une agrafeuse, vient assembler ce qui ressemble à des robes futuristes (Nino Chubinishvili conceptrice des robes). À genoux, comme suppliciés, les quatre modèles se laissent à nouveau enfermer dans des costumes travaillés, aux formes cyclindriques qui vient, de la tête aux pieds, les figer. Jusqu’à ce que sur une musique brutale, aux sons rock, elles reprennent pied avec la violence et l’énergie indestructible qui semblent les innerver. Au solo s’est substitué un “ballet” brisé et chaotique où les masses musculaires finissent par s’échapper et avoir raison de ces vêtements sociaux qui avouent leur rapport aux états domestiques.
La liberté ou rien
Point de trace de sens ou de signification dans Matter. Rien qui ne permette, au prétexte d’un code commun entre la scène et la salle, de lire cette chorégraphie. Julie Nioche a écrit Matter comme un poème surréaliste où le geste énigmatique, la projection de couleur et l’organisation de matériaux relèvent d’une impulsion psychique. C’est avant tout une œuvre plastique qui s’organise selon les règles de l’improvisation et de l’impulsion organique. C’est une vibration sonore et corporelle qui se compose presque selon les lois de l’épuisement de ces athlètes que sont les quatre danseuses. Dans cet intervalle temporel, c’est le mouvement qui règle la sculpture de cette forme secrète. Et de regarder Matter comme une pièce où, de toutes les manières, une lutte était engagée entre l’immobilité et le mouvement, le silence et le sonore, le domestique et la liberté, la solitude et la communauté.
Dans Matter, c’est peut-être juste un “état” qui était à observer. Quelque chose qui relèverait de l’instant où le corps est pris dans les énergies du passage. Passer d’un état à un autre, d’une transe à une méditation, d’une explosion à une inertie… soit un temps où Matter donnait à voir, en lieu et place des corps, un amalgame qui reposerait sur le jeu entre équilibre et déséquilibre. Matter… où, disons-le avec prudence, il était donné à “mater” (regarder) ce qui ne peut être “maté” (soumis).