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Le théâtre populaire et ravi de Bussang, Vosges, ou le déjeu de l’identitaire – L'!NSENSÉ
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Le théâtre populaire et ravi de Bussang, Vosges, ou le déjeu de l’identitaire

 
Depuis un siècle, chaque été, amateurs et professionnels se retrouvent dans un théâtre des Vosges, sur un site exceptionnel, pour des représentations qui déjouent tout folklore et toute complaisance.

 

Le Théâtre du Peuple de Bussang, un village des Vosges entre Alsace, Lorraine et Franche-Comté, a été créé en 1895 par le fils du principal industriel et maire du village, Maurice Pottecher. Son ambition artistique personnelle croisait alors les débats naissants autour d’un théâtre populaire, ouvert à tous et socialement responsable (notamment avec Antoine et son Théâtre Libre à Paris), mais également les velléités pédagogiques et intéressées du paternalisme industriel de l’époque et les promesses d’un tourisme thermal encore à ses débuts grâce auquel on espérait attirer et divertir les bourgeois fortunés.
Le Théâtre du Peuple de Bussang, fondé par Maurice Pottecher
Pottecher fit jouer, une fois l’an, Molière adapté en partie en patois local, puis ses propres textes, qu’il situait dans un contexte proche du lieu ou qui interpellaient, à travers des situations choisies, les habitants. Les spectacles mobilisait l’ensemble du village, pour les répétitions, les représentations, mais également le jeu en scène, où chacun pouvait tenir, selon la situation dramatique, son propre rôle, offrant un arrière plan réaliste aux premiers rôles tenus par des notables ou, le plus souvent, des acteurs professionnels venus spécialement de Paris. Il fit construire au fil des années un théâtre en bois à la lisière de la forêt, répondant à ses conceptions du théâtre : un lieu convivial, pour que le théâtre soit une fête, et dans lequel le merveilleux puisse advenir – aussi fit-il aménager trappes, coulisses et cintres, muret de pierre séparant clairement salle et scène, et surtout, intuition géniale, l’ouverture du fond du théâtre sur la forêt. Depuis plus d’un siècle on vient l’applaudir, cette ouverture.
Cela pourrait paraître idyllique, ce théâtre attentif à son territoire, responsable dans sa présence géographique et sociale, cette conception de la représentation comme une fête et un avènement du merveilleux au sein du social, cette rencontre entre artistes et habitants, cette participation de tous aux créations. On en ferait vite un modèle exemplaire si on omettait les détails du paternalisme étendu à l’art, du rôle attribué finalement à chacun, des tentations populistes et des ambitions cachées des uns et des autres… et c’est bien ces détails que les profiteurs de mythes et les partisans des folklores régionalistes et patrimoniaux voudraient faire oublier, nouveaux ambitieux si souvent sûrs de leur “bon droit” identitaire. Pourtant, incontestablement, cela fait plus d’un siècle que dans cette bâtisse hors du commun au bois poli par le temps, des générations d’acteurs en herbe et de spectateurs – les uns et les autres “amateurs de théâtre” au sens large – viennent partager des fables et du théâtre avec des artistes dont c’est le métier. Aujourd’hui comme hier, tous les étés, on donne des spectacles mêlant amateurs et professionnels et tirant profit de l’ambiance sympathique des après-midi d’été à la campagne et d’une scène en bois qui n’a pas son pareil.
Aujourd’hui, l’association qui gère le lieu nomme un metteur en scène pour trois ans, prenant en charge cette programmation estivale. Après Jean-Claude Berutti et Christophe Rauck, c’est Pierre Guillois qui assure cette année la mise en scène du spectacle de l’après-midi, propose la programmation du soir et veille à l’organisation de lectures et autres stages durant l’été comme durant l’année.
Certes, les “amateurs” sont devenus des professionnels du genre – pour qui fréquente le lieu chaque année, les visages sont connus, mêlés aux nouvelles têtes de jeunes acteurs venus ici faire leurs premières armes après quelqu’école. Certes, le public dépasse largement les seuls habitants du village, et la salle de 800 places est largement remplie par des spectateurs amateurs venus de bien plus loin pour assister à l’une des trente représentations. Mais le rendez-vous théâtral vosgien garde un charme inédit, et si les rencontres et croisements ne sont plus exactement ceux imaginés par Pottecher, il se noue là, dans la tiédeur des après-midi vosgiens, dans cette salle qui tient autant de la grange que du petit opéra, entre t-shirt, laine polaire et appareil photo numérique, groupes d’amis et fidèles du lieu, un type de représentation théâtrale aux saveurs singulières.
Cette année, Pierre Guillois a commandé à l’auteur Rémi de Vos le texte d’une création pour ce lieu et cette troupe mêlant amateurs assurés et quatre acteurs professionnels. Sous le titre “Le ravissement d’Adèle”, la fable se déroule dans un village ou un petit bourg, et l’on croise le boucher et sa bouchère, l’institutrice et sa fille adolescente, Jean-Guy le cantonnier, quelques employés de mairie fréquentant le bistrot du coin, un couple à la retraite, un inspecteur de police classé 4e (sur 4) au concours de recrutement, le père d’Adèle, sa seconde femme nymphomane convaincue et la belle-mère – Adèle ayant disparue. Rémi de Vos tire une comédie de tous les travers attendus de cette ambiance de province paisible, commérages, suspicion générale, dénigrement généralisé du service public et frustrations des uns et des autres. Adèle n’est sans doute pas loin, mais battues en forêt et enquête entre soi seront une trop belle occasion pour le boucher de faire ses commentaires, la belle-mère de se mêler de tout, le flic et l’institutrice de se découvrir un idylle, la jeune ado de tenter sa fugue, les retraités de s’avouer l’inavouable (ta soeur de la Bourboule est une salope finie) et de méditer sur les tentations de meurtre, la nympho de visiter l’ensemble de la gent masculine et le père de se faire plaindre. Le ton est enjoué, le jeu rapide, la comédie efficace – les archétypes provinciaux fonctionnent à plein dans un décor éclaté où les espaces se mêlent. On moque les travers des uns et des autres, on pointe les frustrations personnelles et les hystéries collectives. Le théâtre est une fête où l’on rit des apparentes banalités qu’on ignore, peut-être, dans la vie quotidienne, mais qui témoignent des angoisses et insatisfactions de chacun. La salle ne boude pas son plaisir, conquise par le jeu entraînant de la petite troupe dans laquelle les personnalités de chacun, les voix et les petites astuces d’acteur procure une épaisseur sensible aux caricatures. La fête conviviale attendue dans la bâtisse centenaire, qui relève d’un rite auquel on se découvre le plaisir tranquille de participer, est comme redoublée par l’empathie collective pour des acteurs tout à leur affaire, et la gentille critique sociale, ainsi que toute considération sur l’avenir du théâtre comme art et comme événement social et culturel, sont emportées dans le flot des rires et la sympathie générale, alimentant s’il en était besoin des discussions détendues durant l’apéro dans le jardin.
Le spectacle du soir, quant à lui, revêt à présent d’autre enjeux. Depuis un remarquable et sans parole “Pupille veut être tuteur” de Peter Handke monté par Berutti, qui, s’il ne tirait pas profit de l’ouverture sur la forêt, emplissait le théâtre d’un silence pesant peuplé des bruits de la forêt et du village, la soirée est consacrée à la rencontre avec des pratiques scéniques nouvelles. C’est bien l’idée de cette année, puisque le théâtre se transforme en cabaret et que les compagnies Le Cheptel Aleïkoum, Les Octavio et Les Possédés proposent une création mêlant théâtre, cirque et musique.