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Monument 0 : Trans(e)danse – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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Monument 0 : Trans(e)danse

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Monument 0 : Hanté par la guerre (1913 – 2013),

Conception et chorégraphie de Eszter Salamon

Avignon 2015, Cour du lycée Saint-Joseph


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Avec Monument 0, Cour du lycée Saint Joseph, Eszter Salamon, livre une chorégraphie qui ne s’écarte jamais de l’humour. Pour autant que la guerre est en toile de fond, c’est une figure d’intimidation qu’elle propose au spectateur.


Salamon : story, body, spirit
Courant janvier 2015, le Centre Pompidou avait mis à l’affiche le travail d’Eszter Salamon qui se présente comme danseuse et chorégraphe et qui, depuis 2001, est l’artisan de plusieurs solos et créations.
Installée à Berlin depuis le début des années 2000, elle fut pendant près de dix ans, de 1992 à 2000, interprète dans les compagnies des chorégraphes contemporains de Sidonie Rochon, Mathilde Monnier et François Verret. Aujourd’hui, son travail de création la conduit parfois à travailler et à favoriser des collaborations (Giszelle, 2001, pour Xavier Le Roy) ou à répondre à des commandes (Voice Over, 2009, pour Christian Rizzo). Initiée au Ballet, bercée par les traditions hongroises (Magyar Tancok, 2005) et notamment les danses folkloriques, le travail de Salamon est régulièrement présenté en Europe et en Asie, dans divers réseaux. Prompte à s’ouvrir à des expériences renouvelées, on la retrouve assistante à la mise en scène d’opéra (Theater der Wiederholungen de Bernhard Lang, dirigé par Xavier Le Roy au Steirischer Herbst Festival, Graz, en 2003) ; mais également à la mise en scène d’une pièce de Karim Haddad dans le cadre du projet Seven attempted escapes from Silence (Staatsoper Unter den Linden, à Berlin, en 2005).
Indifférente à une forme particulière, mais résolument inscrite dans la recherche (en 2010, elle présente Dance for Nothing d’après Lecture on Nothing (1949) de John Cage. On songe encore à Tales of the Bodiless, lors du festival Agora de l’Ircam au Centre Pompidou, à Paris, en 2011) elle se nourrit de ses différents voyages pour présenter des pièces élaborées au cours d’ateliers qui peuvent aussi bien être des solos que des ballets, des performances que des « essais documentaires », voire les performances documentaires comme en 2012, avec Mélodrame, un solo crée dans le contexte Documentary Forum 2 à Berlin au Haus der Kulturen der Welt de Berlin.
« Faire danse de tout » qui serait l’équivalent de « Faire théâtre de tout »… Eszter Salamon associe son travail artistique à l’enquête, au documentaire, à l’auto-fiction… et s’aventure dans le territoire de la danse, sans se départir de son identité de femme. Comme ce fut d’ailleurs le cas pour son premier solo What a Body you Have Honey (2001), qui tranchait la question du corps en la dissimulant entièrement nue derrière une grosse couette. Trois ans plus tard, Reproduction revendiquait l’absurdité la notion de genre et neuf actrices à moustaches et slips rembourrés en finissaient avec cette catégorie en malmenant la bienséance. S’il y avait une constance dans la pratique de la performeuse, sans doute faudrait-il souligner qu’elle ouvre la danse à des constituants telle la parole, tel le témoignage et qu’elle assène qu’il faut en finir avec l’idée de « La fétichisation de la danse comme art pouvant tout dire ne me concerne pas ». D’où un recours aux mots et aux sons dans son travail. Depuis quelques années déjà, et notamment avec la pièce Tales to the bodiless, en collaboration avec Bojana Cvejic, son étude la conduit à penser la question du corps et de sa disparition. Un thème qui finalement devait l’amener aux séries Monument…
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Monument
Il est difficile de faire abstraction de ce que le cerveau convoque dans le temps de la représentation qui excède, comme chacun le sait, le temps du spectacle. Cette manière que l’esprit a d’agir seul dans le temps de la rencontre avec une œuvre qu’il découvre, puis après dans le prolongement de l’expression ce qui dure sous la forme d’impression. Regardant Monument, dans le courant de la performance qui est livrée, c’est un poème de Brecht, La légende du soldat mort, qui vient me hanter. Poème écrit par le jeune Brecht qui fait acte de pacifisme en relatant la manière dont les soldats qui sont mutilés sur le front de la guerre (14-18) sont envoyés dans les hôpitaux pour être « réparés » avant d’être réexpédiés sur le front. Mouvement infernal, mouvement stérile, en cercle fermé… ou plutôt absence de mouvement qui conduit à vivre l’éternel retour du même ou la même nuit sans horizon.
Monument ressemblera à cette nuit sans horizon d’où monte un chant de douleur, peut-être une prière ou une symphonie de larmes qui marquerait un deuil. C’est la première note qui parvient de Monument, pièce à l’ouverture funèbre où les danseurs, d’abord allongés comme sans vie apparaissent dans la pénombre, puis viennent, un à un, en front de scène défier les démons de la nuit. Et dans l’obscurité atténuée par une lumière infiniment fragile, on distingue leurs corps barriolés et leurs visages peints. Sensation de dépaysement ou de rite ancestral de la danse. L’ornement qui les habille est inconnu ou fait écho à quelques formes lointaines de masques de guerriers en passe d’aller prouver qu’ils ont franchi tous les rites initiatiques. Et c’est un rythme rapide qui s’accomplit, une danse où le visage expressif, la grimace et le rictus font partis de la démonstration de force et d’intimidation.
C’est que Monument, pour autant que la pièce concerne les guerres lointaines où l’européen n’est jamais étranger, est avant tout la forme chorégraphique qui renvoie à une iconographie tribale, cultuelle, où le corps, pris dans les sauts et les contorsions, rappellent que ce qui précéde la bataille, et relève d’un art de la guerre qui n’exclut pas l’art. Celui de la danse et de la transe, celui de la peinture qui donne au visage ses traits monstrueux et revendique les qualités du guerrier. Et tout le temps de cette chorégraphie qui n’est en définitive consacrée qu’au préliminaire de la guerre, ce qui parvient à l’écoute, c’est la percussion du talon sur le sol. Cette manière dont le talon vient taper le sol, marquant un territoire à défendre, soulignant une force audible auprès de celui auquel on va s’affronter. Salamon déclinera ce « signe » tout au long de la pièce où après les solos, la formation au complet s’accomplira dans un ballet où la danse du baton relaie encore l’idée d’un « jeter son corps dans la bataille ». C’est-à-dire, et disons-le encore, un art de l’affrontement qui commence par un art de l’intimidation.
Au final, alors que déambule dans un « cimétière » qui se livre par les dates des batailles passées, présentes et à venir, un homme au chapeau victorien, c’est un pied de nez qui vient ponctuer Monument qui ne s’est jamais départi d’un humour, voire d’un comique, lié à ces épisodes où l’intimidation est grotesque et n’évite rien.
Dans un travail fondé sur le différé, Salamon ne représente pas la guerre, mais les signes qui l’annoncent. Jouant de toutes les parties de ces interprètes, c’est le grognement, la percussion, le chant qui annonce le rapport anthropophagique que la figure du guerrier entretient à son ennemi qui, invisible sur la scène, est le destinataire de ces transes.


Entretien d’Eszter Salamon pendant la présentation de Monument 0 – Hanté par les guerres (1913-2013) au PACT Zollverein from Botschaft on Vimeo.