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Ludwig le simple et ses frères et soeurs… – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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Ludwig le simple et ses frères et soeurs…

Loin de reprendre le décorum des Sissi de la jeune Schneider et autres bricolettes du cinéma des années 50-60, sauf à avoir en mémoire le regard triste, illuminé, vorace, inquiet d’Helmut Berger dans le Ludwig ou le crépusucle des dieux, Le Ludwig, un roi sur la lune de Madeleine Louarn, joué par les acteurs de Catalyse (groupe de comédiens handicapés), relève d’une rêverie aux mouvements oniriques où l’adaptation du journal de Louis II de Bavière fait l’objet d’un travail sonore à l’égal de celui de la poésie du même nom…

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Dans la tourmente et la recherche du sublime…
Au dernier chapitre de La Faculté de Juger, Kant introduisait la notion de « Sublime ». Façon de marquer le territoire inexplorable d’un monde dont l’agencement demeurerait secret. Façon encore de donner à l’homme une perspective qui l’écarterait des horizons trop fermés. Je me souviens partiellement de l’une des belles phrases du philosophe allemand où il essaie de définir l’instant où l’esprit vacille devant ce qui est plus grand que lui. De mémoire, c’était quelque chose comme « devant le sublime, on a le sentiment que le cœur s’arrête brusquement, puis reprend son battement ». Et, dois-je l’avouer, j’ai souri à l’idée de voir l’auteur de la Critique de la Raison conclure sur un constat qui soulignait une altération du corps, une mise en danger de la vie qui finissait par mêler le souffle et l’esprit… ce que l’on nomme encore en allemand le Geist
Quelque chose que Derrida, joueur amusé des mots, commentait en rappelant que le Geist n’était pas sans parenté sonore avec le Ghost (« fantôme » en anglais), et qu’en définitive, parfois chez les êtres atteint d’une acuité et d’une sensibilité hors norme, Geist et Ghost formaient un couple infernal où la pensée ne peut plus être que meurtrie, prise au piège des réalités oppressantes et simultanément happée par les formes illimitées de la fantasia benjaminienne.
Endossant le rôle politique, l’héritier Louis II de Bavière fut sans doute l’un de ceux-là, pris entre devoir politique et liberté d’être. Greffé d’une part à l’exercice du pouvoir auquel il était étranger, et étranger à lui-même dans la contemplation des formes du monde. Ergo, Louis II (le II renverrait ici à cette dualité) fut en dialogue avec lui-même, parallèlement en dialogue avec ses ministres, simultanément en dialogue avec les êtres transparents qui peuplent d’autres univers. Découvrant le monde budgétaire et celui des affaires d’État, préférant à l’Art militaire, l’art et notamment celui de Wagner ; se devant de copuler pour la couronne, n’aspirant qu’à vivre une sexualité qui le guidait vers d’autres hommes… la servitude fut irréductiblement le mot thème du journal de ce Louis. Prince fou de l’espèce des Michkine et autres simples, Prince sans goût pour la chose politique, symptôme freudien d’une vie cachée… Louis II marque, dans l’histoire politique de l’empire germanique, une parenthèse poétique et existentielle ouverte sur les mondes intérieurs, avant que ne se profile le Reich des damnés qui, de Wagner, aimera le son des cuivres et la mythologie.
Frères et soeurs
Au plateau, devant une toile peinte représentant un château de Bavière perché sur quelques escarpes rocheuses en surplomb du Rhin, deux musiciens donnent le rythme rock de Ludwig, un roi sur la lune. Rien de wagnérien dans les sons que produit la guitare électrique, et le synthétiseur qui accompagnent la voix rauque du chanteur. Eux sont là, à la manière de guide ou de cannes blanches pour guider le groupe de comédiens de Catalyse. Et ceux-là, dans un geste humble et dénué d’horizon, viennent au plateau dire leurs partitions. Parfois aux prises avec l’articulation, parfois victimes d’un trou, parfois perdus dans un texte à la syntaxe déconstruite, ceux que l’on pourrait regarder comme des acteurs handicapés sont à leur affaire avec ce poème sonore. Avec ces mots qui renvoient à des espaces sensibles où pêle-mêle quelques considérations sur la sexualité et l’usage du pénis voisinent avec le souci des fleurs, le goût des arbres, les conjectures amères sur la vie politique, la beauté du ciel et de ses nuages… Moins communauté assemblée que bande à part, ils se livrent chorégraphiquement et vocalement à l’exercice pour lequel ils ont été convoqués.
C’est un rien naïf, entre phrases répétées et texte qui vient à se dérober, geste attendus et situations imprévisibles, c’est en soi professionnel et simultanément improvisé quand le « trou » apparaît. Mais, et c’est sans doute l’une des réussites incroyables de ce travail, leur présence au plateau participe d’une intensité qui tient au travail autant qu’au plaisir d’être-là. Intensité de la parole proférée sur le mode des performances sonores qui fit évoluer la poésie vers le territoire des rythmes, du corps, de l’écoute affolée. Ou quand la parole ne se dissocie plus du lieu de son émission : le corps, qui lui donne une légitimité.
Manière, dans l’ équilibre précaire où ces « frères et sœurs » se trouvent, de faire naître une fragilité vraie, sans doute au plus proche de celle du Ludwig qu’il servait avec l’amour de simples.