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Die Strasse, même les chiens n’ont plus le droit d’aboyer – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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Die Strasse, même les chiens n’ont plus le droit d’aboyer

Yannick Butel – 17 juillet 2018

Par Yannick Butel. Die Strasse, Cie Boll & Roche,
avec Stéphanie Boll et Joanie Ecuyer
Gilgamesh Belleville, Avignon Off 2018.


Partir du 11 • Gilgamesh Belleville et suivre dans les rues d’Avignon Die Strasse. Suivre deux femmes dans la rue. Suivre à la trace, oui, deux performeuses en cavale comme on dirait deux prisonnières qui fuient un monde trop carcéral. Avec Die Strasse, Stéphanie Boll et Joanie Ecuyer déambulent dans la ville à la recherche d’un ailleurs, épaulées dans leur périple par Alain Roche (Perche et son), ainsi que Sébastien Ribaux. Moins d’une heure pour habiter l’espace urbain quand on a quitté une autre vie.


Dans un festival qui multiplie les rencontres imprévisibles et les offres de spectacle, Die Strasse relève d’une intervention urbaine où Stéphanie Boll et Joanie Ecuyer s’inscrivent dans une pratique performative. C’est-à-dire, une pratique qui, entre autres, déplace le rapport que l’on peut entretenir à la place de l’art et à celui qui le rencontre : le spectateur.
Dansé, théâtralisé, sonorisé… Die Strasse prend ainsi place dans les rues, dans le mouvement déambulatoire, dans les plis de la ville. Et sur le pavé avignonnais, sur le macadam, contre un mur, en coup de vent devant les vitrines endormies, sous un hall, etc. quelque chose se met en place qui ressemble à un road-movie. Celui de deux jeunes femmes qui semblent écorchées par ce qu’elles ont vécu dans des vies d’avant.
Die Strasse s’inscrit dès lors dans le temps du passage. Passer d’une vie à une autre. Passer et vivre un présent incertain que la rue rend sensible. La performance relève ainsi d’un voyage où elles se heurtent au nouveau, à l’intermédiaire, à leur mémoire qui les poursuit aussi et que l’on entend dans les casques audio distribués aux spectateurs, aux ombres des passants… Quelque chose qui, en définitive, ressemblerait à une menace qui les met en demeure d’abandonner tout domicile, tout « Domus » dont on se souvient qu’en latin, le mot à donner « domestique ». Fuir ça, fuir le « domestique » retrouver, peut-être, au bout de la rue dansée, un espace de liberté.
Et c’est bien peut-être cet espace-là qui est d’ailleurs partagé et sensible. L’espace de liberté que Die Strasse met en place dans la ville. Cette manière, aussi, que le casque a de créer un espace sonore inattendu dans un monde saturé de sons publicitaires. Espace de liberté du spectateur aussi qui, plutôt que courir après Die Strasse peut aussi faire le choix de marcher, loin derrière le cortège, de n’apercevoir qu’un bras levé, voire d’accepter de n’être en contact avec la performance qu’en suivant sans voir. Apprendre cela enfin et en finir avec cette tendance fâcheuse du « je veux tout voir ou je veux bien voir » qui justifie le prix des places et les alignements numérotés que l’on rencontre ici et là, dans les théâtres. « montre ton oseille mon pote et je t’offre le paysage ».
Die Strasse est ainsi une invitation à rompre avec le regard absolu, avec le voir absolu… avec la condition de spectateur qui paie pour tout voir. Et peut-être, à partir de là, à partir aussi du regard qu’il peut exercer sur autre chose (la vie et la nuit de la ville), à partir de ce qu’il entend et que lui livre la bande son, faire l’expérience du monde qu’il habite pour le découvrir autrement.
Et soudain, marchant ainsi sur la trace de Die Strasse, au détour d’un porche où se masse le public, un type : SDF, allongé, son chien à côté de lui, ses fringues dans des plastiques… est réveillé par la bande de zombie que forment les spectateurs. Et comme inquiet d’être chassé de cet « abri » si son chien aboie (parce qu’il voit arriver les zombies), le type tient fermement le museau de son chien pour qu’il reste muet.
Même les chiens n’ont plus le droit d’aboyer.