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Sastre : entendre une douceur, in fine – L'!NSENSÉ
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Sastre : entendre une douceur, in fine

Malte Schwind – 18 juillet 2018

La France contre les robots et autres textes de Bernanos,
de et avec Jean-Baptiste Sastre et Hiam Abbass,
Théâtre des Halles, Avignon Off 2018


La France contre les robots se joue du 6 au 29 juillet au Théâtre des Halles à Avignon. Jean-Baptiste Sastre est seul en scène. Il traverse une adaptation de textes de Georges Bernanos. Textes qui résonnent puissamment avec cette XXIe siècle bien enclenchée.

« Georges Bernanos est un fasciste. » C’est cela que j’entends avant d’entrer en salle et dès lors, cette injonction ne cesse de travailler mon oreille pour ne plus rien entendre à force d’être à l’affût de déceler le fascisme qui y régnerait. Des murs devant les oreilles et entendre ce qui n’est pas dit. Ne plus entendre avec ses oreilles propres, son propre entendement, et y perdre tout. Entendre l’anti-fascisme pour un fascisme. À force de ne pas vouloir en être dupe, se duper soi-même. Spectateur paranoïaque que je suis. Projet radicalement opposé à celui de Bernanos, c’est-à-dire de penser librement, contre les bien-pensants et idées toutes faites. Sapere aude. Et voir qu’il faut une heure et demi et plus pour défaire ce délire et commencer à entendre ce qui voulait être dit. Commencer à entendre une singularité rare. Il faudrait y retourner.
« La douceur a raison de tout ». Et c’est ainsi, c’est à partir de là, de cet endroit que Jean-Baptiste Sastre traverse ce texte. Cela n’empêche d’ailleurs pas des accès de colère et une violence, ou mieux, une cruauté d’une pensée qui ne laisse rien échapper à un regard qui cherche sa liberté. C’est ainsi (à peu près) qu’il dit, Bernanos : ne vous croyez pas libre. La liberté est une conquête incessante. Et Jean-Baptiste Sastre qui nous regarde de biais, penché en avant, déplaçant l’ampoule dans cette petite chapelle, une des trois salles dans le Théâtre des Halles, comme s’il s’agissait d’éclairer différemment les choses pour mieux penser. Avec parfois des larmes qui coulent autour des yeux, puis des rires, il trouve dans cet une heure et demi à la fin une certaine frontalité, une certaine adresse directe, comme s’il s’agissait d’un travail contre l’angoisse.
Et ce texte écrit il y a 70 ans résonne alors avec une évidence inquiétante avec l’actualité. Les machines qui demandent d’autres machines qui créent des besoins et des désirs satisfaits par d’autres machines, et qui ne font, au final, qu’augmenter notre capacité destructrice. Bombe atomique. Les politiques technocrates. Les masses à la recherche d’un tyran. Le désordre de l’ordre.
« L’anarchie, le désordre du désordre, vaut mieux que le désordre de l’ordre. »
C’est un chrétien qui parle. Mais un chrétien hors de la doxa aliénante. Il dit encore : surtout fichez-vous en de ce que je dis.
Lundi soir des centaine de milliers de personne attendaient depuis des heures à Paris afin de voir défiler un bus. Ils étaient parqués sur la moitié des Champs-Élysées, encadrés par des barrières et des centaines de forces de l’ordre. Une masse là, en attente, pour célébrer une victoire de foot de leur nation. Une autre masse devant les télés à regarder la masse. Masses. Et inquiétudes de leurs devenirs. Inquiétudes de Bernanos et Jean-Baptiste Sastre et Hiam Abbass qui se forment comme une douleur de ce monde et la vision de l’avenir. La destruction de toute vie intérieure, la perte de tout rapport à une vérité, la soumission de tout à la logique de la rentabilité, donc la possibilité ou même le besoin d’envoyer des masses aux charniers. Et le besoin de reconstruire une société où « l’homme du peuple » (re)gagnerait sa grandeur contre la masse et affirmerait sa souveraine liberté.
« La douceur a raison de tout. » C’est de là qu’on regarde…