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Quand la subtilité fait un tabac : Dom Juan par Olivier Maurin – L'!NSENSÉ
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Quand la subtilité fait un tabac : Dom Juan par Olivier Maurin

Dom Juan de Molière, mis en scène par Olivier Maurin, TNP de Villeurbanne, 13 novembre-7 décembre 2019.
C’est la première fois qu’Olivier Maurin monte un classique du répertoire, lui dont Illusions d’Ivan Viripaev est le dernier spectacle en date. Un fil se tisse de l’un à l’autre, par où mettre en scène Dom Juan relève ici plus d’une nécessité poétique que d’un passage obligé : le retour du quatuor Clémentine Allain (Elvire), Fanny Chiressi (Mathurine, M. Dimanche), Arthur Fourcade (Dom Juan) et Mickaël Pinelli (Sganarelle), auxquels s’ajointent Héloïse Lecointre (Charlotte), Matthieu Loos (Dom Carlos, La Statue du Commandeur), Rémi Rauzier (Gusman, Dom Louis et Francisque) et Arthur Vandepoel (Pierrot, Dom Alonse) ; une fascination intacte pour le pouvoir de la parole, du récit, ceux qu’on aimerait entendre, les « gages » données à la parole de l’autre, les « illusions » emboîtées comme des poupées gigognes, vertigineuses, que la parole peut susciter, ouvrir, et la puissance d’(auto)entraînement de ces « illusions » qui n’en sont peut-être pas, au cœur de la servitude, de l’amitié et de l’amour ; enfin une subtilité non moindre, une finesse, un art de la nuance qui guide de part en part le geste de mise en scène, où une émotion d’autant plus poignante peut venir vous cueillir au beau milieu d’une farce.
Dom Juan n’est pas ici un DSK avant la lettre, fût-il « pourceau d’Épicure », et aucun acteur ne se retrouve nu, tout ou partie, à quelque moment que ce soit. Il est laissé au spectateur la possibilité de frayer son propre cheminement, de considérer ici Dom Juan non pas comme un libertin au sens moral mais philosophique du terme, un athée conséquent, dont la vraie cible, visée à travers les femmes qu’il berne, est le sacrement du mariage, et par extension la théocratie ‒ son hypocrisie et son pouvoir, sa nuisance drapée de légitimité. Qu’il ne tienne pas ses promesses de mariage, qu’il ne tienne pas au mariage tout court, et qu’Elvire de son côté opte pour le cloître, chaperonnée par ses deux frères, sont l’avers et le revers d’une même emprise du théologique sur les paroles et les actes, emprise d’autant plus insidieuse qu’elle s’effectue en douceur, à l’image de cette immense toile déployée au lointain représentant un ciel bleu, celui des peintres italiens de la Renaissance, d’un bout à l’autre du spectacle.
Dom Juan est défait par un gant de velours dans une main de fer, le geste charitable d’une statue, qui le convie à passer derrière cette gaze légère, le prend dans ses bras, lui murmure des mots simples. Autour de la grande table blanche déployée pour le souper, rappel là aussi d’Illusions, Dom Juan ne peut pas payer de mots La Statue du Commandeur comme il le fait avec M. Dimanche. Quant à Sganarelle, il ne le paie pas de mots mais lui réserve ses silences, jusqu’à la fin, ce qui embarrasse bien son valet, car il est difficile de dialoguer ainsi, ou de tenir un discours. La mort de Dom Juan est celle d’un homme qui ne parvient plus à articuler une seule phrase sensée, et qui tombe avachi sur une chaise d’église ‒ on pense à Depardieu dans Sous le soleil de Satan (1987) de Pialat. Extinction des Lumières, trop prématurées à cette heure.
Ce n’est pas la mort d’un scélérat mais celle d’un homme qui peut aussi bien mépriser un paysan qui vient pourtant de le sauver de la noyade que voler au secours lui aussi d’un des deux frères d’Elvire, assailli par des brigands. Il ne manque jamais à sa parole quand celle-ci relève d’un code d’honneur qui tend à se délier du religieux.
Il faut voir la manière avec laquelle l’affection de Dom Juan pour son valet est suggérée, affection réciproque, notamment lorsqu’il s’aperçoit que Sganarelle a dérobé un morceau de son plat, ou que Sganarelle tente de l’empêcher de rejoindre La Statue du Commandeur, ou que Sganarelle développe un raisonnement qui tient enfin debout. De même, Dom Juan apparaît plus touché par l’effusion mystique d’Elvire voilée qu’il ne veut bien le reconnaître. Grande subtilité là encore des comédiens, dont certains naviguent avec une aisance toute brechtienne entre deux rôles ou deux pôles opposés.
La mise en scène d’Olivier Maurin, un tel jeu d’acteurs, la scénographie d’Emily Cauwet-Lafont, c’est une clairière dans la forêt des spectacles.