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Les villes endormies : Réveillez-vous ! – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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Les villes endormies : Réveillez-vous !


Ecole d’Art, 23H00… Dans la vingt cinquième heure, Sylvain George propose une mise en espace de Et nous brûlerons une à une les villes endormies. Une œuvre vidéo, musicale, poétique, sur la situation des clandestins qui attendent une opportunité pour passer le Channel. Une œuvre construite sous forme fragmentaire, soutenue ponctuellement par l’harmonica d’Olivier « Diabolo » Paltsou, et la voix de Valérie Dréville en récitante. Une respiration aussi poétique que violente dans la lignée et l’influence de Ginsberg contre les barbaries légales.
« L’avenir d’un afghan c’est chez lui pour reconstruire l’afghanistan » disait le ministre de l’intérieur de 2002, à Sangate, devant les habitants d’un bourgade prise pour tête de pont de l’Eldorado que figurait la Grande Bretagne. Sans doute la métaphore de cette déclaration préélectorale pleine de « bon sens », se retrouve-t-elle dans l’image des paniers à salade du petit matin, 6H00, où une poignée de policiers coursent les clandestins engourdis par le froid de l’hiver, surpris au sommeil sous leurs bâches plastiques par ces personnels sociaux chargés de l’ordre, du bien-être national et du bonheur pour tous.
L’œuvre de Sylvain George, qui fait des films-essais-poétiques[1] ne prétend pas être un documentaire où une séquence médiatique qui montrerait les politiques à l’œuvre dans la conquête de voix d’un second tour. L’œuvre de Sylvain George est militante et politique via l’objet qu’elle saisit (la vie des clandestins, des réfugiés en attente d’un « boat people » pour l’Angleterre, les campements précaires de nomades en bordure des zones d’embarquement). Politique, dis-je, car l’œuvre plastique (vidéo, mise en espace, mise en voix et en son) rappelle qu’il y a un lien contiguë entre le politique et l’œuvre qui partagent l’esthétique. Ou l’histoire d’un duel entre l’esthétisation du politique et la politisation de l’art…
Et nous brûlerons, une à une, les villes endormies participe du second. C’est un carnet de bord de tournage (entrepris en résidence au CENTQUATRE), qui tend à rendre compte, sur un mode littéraire, poétique, sonore, visuel de portraits anonymes, de « hors corps », de personnes, de situations et de faits rencontrés. Un zoom sur les doigts brûlés à l’acide pour faire disparaître les empreintes digitales et du coup échapper au fichier FAED de la police. Le récit de la douleur que cause l’acide extrait d’une batterie de voiture. Un plan sur la vie nocturne de silhouettes ralenties qui hantent les docks. Le silence qui les entoure. Une séquence sur quelques palabres ou chants nostalgiques autour d’un feu de pacotille qui ne réchauffe qu’à peine. Image d’un nounours qui brûle. Une livraison d’infos sur les techniques que s’échangent les états pour contrer les flux migratoires de la frontière du Mexique, aux plages du Pas-de-Calais. Manière de pointer l’organisation des ordres mondiaux, leur connivence dans la concurrence, la récurrence d’un modèle d’organisation sociale qui s’incarne dans la gestion des migrations et les politiques protectionnistes…
Et nous brûlerons, une à une, les villes endormies agence ainsi une série d’images de biographies en panne. Dans un format qui propose de saisir un paysage dans le reflet d’une mare d’eau, dans le passage d’un périphérique qui borde un terrain vague, dans l’éclat d’une vitre cassée, dans un taillis, un buisson lardé de plastiques, dans un son qui rapporte le souffle d’une course égarée… en Noir et Blanc, les images montées en discontinu racontent la sortie de route d’individus en errance.
La voix de Dréville, elle, porte haut un commentaire nourrit d’une réalité informative et renseignée, mais aussi d’un écrit, un texte : un poème, qui oscille entre douceur et cruauté. Et de regarder la liasse de feuille qu’elle tient d’une main quand l’autre, tendue, montre les doigts se délier faire écho à un rythme, à un phrasé, un accent… comme le mémo et le dossier à charge de comportements politiques iniques. Voix qui se retire et silhouette qui s’absente quand le son free noise, blues, samples de l’harmonica prend le relais.
Ainsi passe ce temps court, étranger au spectaculaire, où Et nous brûlerons, une à une, les villes endormies se présente comme une performance neutre, prise dans les découpes lumières, entretenant avec l’effet, une distance nécessaire à le mise en place de cette œuvre politique. Distance, voire distanciation qui préserve de l’hypnose, que Sylvain George tient de son rapport philosophique à Benjamin lequel, de l’œuvre d’art, attend qu’elle souligne une vérité qui se donne dans un « langage pur » comme il le cherchait.
[1] Qu’ils reposent en révolte, L’Impossible – Pages Arrachées -, la série des ciné-tracts Contre-feux… des essais vidéos complémentaires qui montrent autour d’un même sujet (la clandestinité, l’immigration, les sans papiers…) les perceptions que l’on donne de cette histoire humaine, selon que l’on est d’un camp ou d’un autre.