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Nördik épate par faits et flux électriques – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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Nördik épate par faits et flux électriques

Du 20 au 24 octobre, un peu plus tôt qu’à l’habitude, s’est tenue à Caen la onzième édition du festival de musique électronique Nördik Impakt, temps très fort de la saison musicale de la plus active salle des musiques actuelles de la Région, le Cargö.
Le menu était alléchant, témoignant de la cohérence de la démarche qui anime la dynamique épuipe du Cargö. Le festival témoigne de la diversité de la création électronique actuelle, en invitant à Caen quelques uns des représentants les plus importants du genre. Aussi la fin de semaine, les vendredi et samedi, donnaient tout leur sens au mot festival : l’affiche était insensée, les lieux adaptés à la belle ambition, Zenith et Palais des Congrès réunis pour deux fois trois scènes simultanées. Mais on n’appréciera pas seulement la générosité du geste en flattant son ambition ; il faut voir le détail, la communication soignée, l’organisation idoine, mais encore la rigueur de la programmation, qui savait faire résonner les genres entre eux et mêler stars confirmées et excentriques en devenir.
Mais ce n’est pas assez dire encore, car ce serait oublier la semaine. À partir de ce point noir et chaud, la musique électronique et la fête qu’elle a su faire revenir dans les villes, sa capacité a accueillir des expériences multiples et hétérogènes, ce goût pour la danse des corps qu’elle entretient, Nördik brode les marges et déploie ses réseaux. C’est que ce festival porte autant d’attention à ceux qui font cette musique qu’à ceux qui l’écoutent. Ainsi, côté public, Nördik ouvre et informe, en multipliant les formats de ses présentations : set inattendu de Sébastien Schuller dans le cloître de l’Hôtel de Ville, intervention de Chapelier Fou à l’ESAM, documentaires sur la musique concrète et l’un de ses pères, invité du festival, le génial et quadragénaire Pierre Henry, diffusé au Musée des Beaux-Arts par Transat Vidéo, et incontournables before dans les cafés caennais, par exemple – la plupart en entrée libre. Côté artistes, il faut voir comment se mêlaient pères fondateurs, avec le concert exceptionnel de Pierre Henry, jeunes recrues, une soirée confiée au label normand Ekelktik Records, et démarches exploratoires et marginales, Gravenhust ou Chapelier Fou à la MDE et à l’ESAM, Gablé à la prison de Caen – sans oublier deux ateliers et formations (et les concerts en appartement enfin). Le programme était complet, structuré, cohérent. Les portes, grandes ouvertes.
Ainsi le festival s’ouvrit sur une invitation à Pierre Henry, précurseur de la musique électronique actuelle, faisant le lien entre la musique concrète d’un Pierre Schaeffer ou la prise en compte de toutes les dimensions d’un son explorée par le pionnier Varèse, avec les générations des bidouilleurs électrisés actuels. Père de l’acousmatique, cette musique pour laquelle l’interprète diffuse des sons préalablement enregistrés et mixés à travers un dispositif de haut-parleurs pouvant aller de deux à plusieurs centaines selon les lieux et les œuvres, Pierre Henry fut connu du grand public avec sa Messe pour le temps présent composée en 1968 pour le chorégraphe Maurice Béjart. Mais ce jerk génial ne doit pas faire oublier la variété de ses recherches. À Caen, il avait promis son Apocalypse de Jean, pour ce concert donné en l’église baroque de la Gloriette. Il changea le programme pour diffuser Histoires Naturelles (1997) puisPierres Réfléchies (1982), deux pièces témoignant de l’ampleur de son répertoire. Composées l’une et l’autre en une série de séquences, Histoires Naturelles, la plus conceptuelle des deux, procède par série chorale prises dans un cycle finissant par se confondre. Jouant sur la symétrie de l’espace autant que son volume, elle multiplie les oppositions, passant de sons naturels (grillons) à des enregistrements plus industriels (bombardements), l’alternance menant à une relative confusion faisant douter finalement jusqu’à la nature des sons entendus, confondant les rythmes et les fréquences à l’image d’un cycle dégénérant contemplation/contradiction, repos/oppositions, qu’elle semblait suggérer, jusqu’à ce qu’un sourd tonnerre n’explose juste devant l’ange victorieux de l’autel – explosion finale ou prémonitoire. Pierre réfléchies, plus électronique, plus contemplative aussi, alterne des moments, sans lien apparent entre eux, comme des zooms sonores sur des matières ou des objets inexistants et virtuels, comme les ondes de pierres habitant un monde en devenir. Plus poétique, la pièce était jouait aussi sur une stéréo moins spectaculaire et plus complexe, laissant percevoir la variété des tonalités et la richesse du spectre sonore du compositeur. Ce dernier conclut le concert en diffusant une piste de saMesse célébrée à plein volume, ses basses profondes rejouant l’antique refrain sourd de l’orgue baroque, faisant entendre, s’il l’avait fallu, combien ses compositions forment une sorte de nœud entre l’histoire de la musique savante et les tempi électroniques modernes.
Le lendemain, rendez-vous était pris dans un lieu inattendu, le parking souterrain du château, devenu pour l’occasion une charmante cave berlinoise post-industrielle, pour une soirée confiée au label normand Eklektik Records. Dans une ambiance idoine, béton et plafond bas, on y découvrit notamment Dorian Concept, tout jeune homme autrichien adepte d’un breakbeat aussi adroit qu’audacieux, aux samples léchés et aux tessitures inouïes. On appréciait autant son adresse virtuose à dérégler les horloges du genre que sa science qu’on dirait innée de la composition et le soin qu’il met au grains de ses sons. Fulgeance le bas-normand suivait, malaxant l’autre ordre des fréquences, et montrait qu’il savait aussi bien déjouer ses références que broyer les ondes maladives des infrabasses. Nördik Impakt montrait avec cette soirée et la suivante, au Cargö, comme un revers de médaille de la première, que la musique électronique n’a pas vécue – elle sait aussi bien se renouveler que découvrir encore d’autres espaces toujours sauvages. Si le flux électrique est bien à l’image du flux nerveux, le corps de cet art est encore jeune et n’a rien du gâteux en conserve que les radios et une industrie moribonde font claudiquer en boucle. Au Cargö le jeudi, le concert de Gablé, coproduit avec les Transmusicales, charma autant pas sa générosité que par le sens musical inattendu du collectif et de son dispositif hétéroclite, et bien des oreilles vont tarder à s’en remettre.
Nördik Impakt, qui laisse la place à présent aux Boréales à venir, s’est inscrit plus que jamais comme un événement majeur de la rentrée culturelle régionale par sa programmation aussi rigoureuse qu’explosive.