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Barbarians ou l’appauvrissement du langage – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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Barbarians ou l’appauvrissement du langage

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Barbarians de Hofesh Shechter

Avignon 2015, La FabricA


Présenté à la Fabrica, Barbarians est une pièce chorégraphique (1H45) de Hofesh Shechter composée de trois volets. Aux titres évocateurs jusque dans la typographie, le n°1 « the barbarians in love » précède le n°2 « tHE bAD », qui jouxte le n°3 « Two completly different angles of the same fucking thing. »


Mon voisin de droite, qui se présente comme un danseur, fait deux mètres et sa portance sur la banquette (dernier rang du fond de la salle) m’oblige à me priver d’une partie de la surface à laquelle me donne droit ma place. De fait, le cabarit du spectateur fait que l’écart (normal pour tous, mais insuffisant pour lui) avec le rang de devant l’oblige à augmenter l’angle d’ouverture des cuisses au détriment de l’espace qui me revient et subit dès lors un empiétement. La taille du spectateur (et parfois son volume) n’est jamais sans conséquence sur le spectateur voisin. Ma voisine de gauche, relativement avancée en âge est arrivée à l’heure. Mais comme Barbarians commencera en retard (15 minutes), elle s’est endormie et rien ne semble pouvoir la priver de cet état intense qui la conduit vers une écoute flottante. Sa respiration me parvient et je diagnostique une légère insuffisance respiratoire liée vraisemblablement à un tabagisme précoce qui affecte désormais les bronches. N’ayant aucune compétence en médecine, son index jauni me permet cette déduction digne de Docteur House ou Holmes. La « vieille » finit par s’affaisser légèrement vers moi ce qui m’oblige à une petite inclinaison vers mon voisin double mètre. En soi, cela aurait pu n’avoir aucune conséquence, mais mon regard croise alors le chignon de ma voisine du rang de devant. Les chaleurs estivales invitant la gente féminine à ramasser les cheveux sur le haut de la tête afin que la nuque soit ventilée, elle conserve cette coiffure en salle sans se soucier de l’effet désastreux que cet ornement a sur la perception pour l’environnement. Deux baguettes chinoises viennent clouer la masse capilaire. Je me résous à faire de l’une d’entre elles une ligne de mire pour regarder ce qu’il me sera possible d’apercevoir.
Au regard de cet encadrement « double mètre à droite, la vieille dame à gauche, le chignon de la coquette aux baguettes devant), il me faut alors commencer à lutter contre une pensée durable ou le sentiment que le mythe de la communauté assemblée – ce fameux « être ensemble » – n’est pas toujours aussi souhaitable qu’on le théorise. L’idéalisme est aveugle.
L’inconfort dont je suis le siège est alors total, intérieur autant qu’extérieur, et je n’ai plus d’espoir qu’en le début du spectacle qui devrait balayer ces « désagréments » grace à la puissance poétique, plastique, etc qui sollicitera mon imaginaire que je tiens désormais pour une porte de sortie à cette situation…
Et alors que la trotteuse de ma montre commence à rogner le début de la seizième minute, que le brouillard/fumigène ne s’est toujours pas dissipé dans le grand espace de la Fabrica, Barbarians commence enfin. Et j’accueille avec joie l’idée que ma pensée sera distraite, car les conditions regrettables que je viens d’exposer peuvent sans doute être dépassées et ne résisteront pas à la force poétique et plastique de Barbarians.
Du moins je l’espère, car pour autant que j’ai réussi à lire le programme dans les conditions difficiles évoquées ci-dessus, il me faut avouer que les propos de Shechter ne me rassurent pas sur l’avancée de son rapport à la pensée mise au service de son geste chorégraphique. S’intéresser au Beau, au Laid, au Bon, au Mauvais, envisager Barbarians comme « une classe de la vie » en soulignant qu’il s’agira « d’une pièce plus intérieure » ne me rassurent guère. Je n’ai aucun doute là-dessus puisqu’évoquer un travail plus « intérieur », c’est généralement annoncer une énigme dont la livraison au spectateur n’induit aucun partage. Quant à recourir à l’idée de « classe de vie », il convoque de facto le régime scolaire et, peut-être déjà, son corollaire d’emmerdements pubères.
La suite validera cette intuition. Au commencement de Barbarians, il y aura principalement deux effets mis en place qui structureront le premier volet (durée 30 minutes, entracte au bout).
Le premier, chromatique, consiste en une agression récurrente qui s’applique à la pupille. Une alternance brutale entre noir scénique et flashs lumières intenses réduit ainsi l’activité rétinienne. Façon « plein phare dans la gueule », les projos balaient la salle puis reviennent sur la scène sous la forme d’un jeu de découpes lumières géométrisées.
Le second, sonore, sature l’espace d’un son additionnel qui vient couvrir les concerts royaux sur lesquels un groupe d’interprètes, d’abord camisolés de blanc, puis nus, danse en observant une sorte de mouvement tribal ou rituel. Malgré tout je n’ai pas utilisé les boules quies données en prévention à l’entrée du spectacle, et je regrette que le service d’accueil du festival n’ait pas fourni des lunettes de soleil également.
Bref, Barbarians… ?
Difficile d’y voir « une salle de classe de vie, où l’on négocie avec les concepts du bien et du mal en leur faisant face » comme le dit Shechter.
La conjugaison des deux constituants conduit à un effet de saturation qui ne laisse dès lors plus le choix. A l’entracte (15 minutes), il me faudra quitter cet environnement hostile, sans déranger la « vieille » qui somnole, double mètre qui devra trouver le moyen de replier ses jambes, et en évitant les pointes du chignon qui forment une herse dangereuse en contrebas. C’est presque mission impossible, et malgré l’amour de mon prochain, mon sentiment de survie m’obligera à bousculer ce petit monde confortablement installé.
Enfin dehors, accablé par la chaleur, recouvrant la liberté, tout en marchant, je songe à ce qu’Olivier Py disait, et qui est retranscrit ici et là dans les papiers de la presse consultable dans la revue de presse disponible à la BNF de la maison Jean Vilar. Py qui rappelle que « le théâtre conduit à la lumière ». Soit, mais si la métaphore articule « lumière » et « vérité » dans le registre du spirituel et du religieux comme le pensait Derrida, ici la lumière – et tout ce qui faisait ce premier volet de Barbarians – m’aura conduit à l’opposé du théâtre. Dehors en l’occurrence…
Mais peut-être qu’en definitive, et ça serait là l’un des effets de cette programmation qui esquisse, à travers de trop nombreux événements, un chemin de croix, qu’il nous faut apprendre à ne plus aller au théâtre afin de redécouvrir la Nature, ses Joies, son Harmonieuse disposition…
Difficile d’imaginer qu’au bout du tunnel que commence à figurer cette seconde édition dirigée par Olivier Py (second tronçon après la mise en place du premier de l’an dernier), à l’exception de trois ou quatre spectacles, à mi parcours du festival, le désir d’aller voir dehors ou ailleurs n’étreigne pas le spectateur. Le festival d’Automne par exemple…
Si comme Fleur Pellerin, la Ministre de la Culture et de la Communication, lors de son traditionnel point presse avignonnais, il fallait évoquer la nécessité du théâtre, ce n’est pas en terme de « pour », ou de référence « calorique » que nous nous positionnerions. (la ministre enthousiaste, à propos du Roi Lear auquel elle assista, expliquait son engagement ainsi : « Je fais partie des « pour » parce que c’est la vocation du spectacle vivant de ne pas être tiédasse. Le théâtre doit faire réagir, doit choquer, doit interpeller.
La traduction d’Olivier Py est très actuelle, il utilise du vocabulaire contemporain et c’est dans l’esprit de Shakespeare car il y a dans les pièces de l’anglais cette trivialité, cette grossièreté, cette violence que l’on retrouve dans ce nouveau texte. Je pense que Shakespeare ne renierait pas cette mise en scène. »). Non, ce n’est ni le « pour », ni la « provocation », ni l’alibi de « l’actualité », ni le « choquer »… qui seraient convoqués. Et ce parce que il n’y a là aucun argument, sinon ceux que l’on confond avec les lieux communs et convenus qui exigent d’une forme artistique qu’elle exprime une forme de résistance et d’opposition. Non, ce ne sont pas ces « éléments de langage » qui seraient convoqués, mais plutôt l’idée que la diversité des formes esthétiques (et donc théâtrales) ne doivent pas appauvrir le langage, mais illimiter le langage.
D’évidence, l’appauvrissement semble avoir pris le dessus… pour le moment… y compris dans l’esprit éclairé des politiques qui se piquent de défendre la création… ou plutôt, en l’état, les ré-créations d’Avignon.