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Hedda – scène de crime – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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Hedda – scène de crime

Malte Schwind – 18 juillet 2018

Hedda, Texte de Sigrid Carré-Lecoindre, Cie Alexandre,
mise en scène et interprété par Léna Paugam,
La Manufacture, Avignon Off 2018


Hedda se joue du 6 au 26 juillet à 14h45 à La Manufacture à Avignon. C’est une sorte de scène de crime, son état de lieu, son analyse le plus finement possible. C’est encore une histoire d’amour. Qui se délite comme toute histoire d’amour à des degrés différents.


Léna Paugam vient seule sur la scène comme sur une scène de crime et retrace cette histoire d’amour, si d’amour il s’agissait. Elle endosse la narration – adresse directe au public – et la femme et cet homme, en reconstituant parfois des scènes passées. Pour se rappeler, pour comprendre ? Elle glisse d’un espace à l’autre, les lumières la suivent. Et ces glissement s’opèrent au point où les limites entre personnage et actrice, actrice et narratrice, narratrice et personnage deviennent flous. « Qui parle ? D’où parle-t-elle ? » La scénographe consiste en une sorte de salon vide. Seul objet : une chaise et un miroir. Une fenêtre et une ouverture baillant derrière laquelle on peut apercevoir une salle de bain, avec bain et lavabo.
C’est donc our revenir à une scène de crime qu’il s’agit, pour noter chaque détail le plus précisément possible. Il y avait donc ce regard, ce mot, cet objet, ce geste qui raconte, qui justifie, qui explique ce qui s’est passé. Et l’écriture de Sigrid Carré-Lecoindre a le mérite de travailler dans la complexité du réel, son ambiguïté permanente, même aux endroits qui sont généralement jugés d’un revers de main. C’est peut-être là que réside la nécessité de cette dramaturgie des points de vue multiples ; complexifier et ne pas pouvoir venir à bout du réel.
Que s’est-il donc passé ? Un coup de foudre. Pourquoi ? Peut-être parce que par un quelconque hasard, cette femme et cet homme se sont ennuyés au même moment au même endroit. Peut-être autre chose. En tout cas, comme elle dit, il faut se méfier des débuts. Quels débuts ? Et comment à un moment, ce besoin était de se retrouver dans les bras de l’autre. Une maison. Comment quitter cette maison lorsqu’elle n’est plus que cendre ? Comment quitter cette maison même si l’on sait qu’on a dépassé un point de non-retour ? Et les besoins de se dire « Je t’aime » pour se rassurer que cet amour existe toujours. Se convaincre. « On ne peut pas laisser succomber l’amour pour un simple erreur de passage !? »
Que s’est-il donc passé ? Comment sa fragilité à elle s’est transformée en une force que lui ne pouvait supporter ? Est-ce pour la perte de son pouvoir sur elle que sa colère ne pouvait le retenir ? Est-ce l’absence totale de désir pour lui et le fait qu’il l’a vue qui l’a poussé à frapper ? Est-ce le fait qu’elle a développé la force grâce à lui et l’a jeté après ou est-ce que c’est sa manipulation sur elle dont elle s’est libéré un moment et qu’il ne pouvait supporter ? Ou est-ce sa manipulation qui la poussait à devenir autre chose qu’elle, mais que cet autre chose, elle a réussie de s’approprier, l’a poussé à ces actes ? Enfin, Hedda Gabler ou Hedwig Tanner ? Ou quelque chose entre ? « Pour être respecté, il faut mettre des talons. Il faut marcher au dessus du monde. » Dommage qu’il n’a pas lu Walser et sa sœur Hedwig, dont Hedda est un diminutif, qui dit :

Qu’est-ce que le respect qu’on vous témoigne en comparaison de cette autre chose : être heureux et avoir contenté la fierté de son cœur à soi. Même être malheureux, c’est encore mieux que d’être respecté. Je suis malheureuse malgré le respect dont je jouis ; à mes yeux je ne mérite donc pas ce respect puisqu’il n’y a pour moi que le bonheur de respectable. Par conséquent je dois essayer de voir s’il est possible d’être heureux sans prétendre être respecté. Peut-être y a-t-il un bonheur de ce genre quelque part pour moi, et un respect accordé à l’amour et au désir et non au bon sens. Je ne vais pas me mettre à être malheureuse parce que je n’aurais pas eu le courage de reconnaître qu’on peut être malheureux pour avoir voulu être heureux. Être malheureux ainsi est respectable ; de l’autre manière non ; on ne peut pas respecter le manque de courage. Comment me voir plus longtemps condamnée à mener une vie qui ne me vaut que du respect, le respect des autres, qui veulent toujours qu’on soit comme ils le désirent. Pourquoi tout cela ? Et pourquoi attendre de découvrir à la fin que ce qu’il vous apporte, ce respect, ne vaut rien ?

« Les choses ne sont pas blanc ou noir. Non. »
Et puis, c’est le schéma habituel de la violence conjugale. Entre élan de violence et lunes de miel. N’importe quel livre de psychologie nous l’apprend. Honey moon : on se rassure, on rassure notre amour, on se dit qu’il doit exister, continuer exister, une dernière fois exister. Que peut-être l’on peut encore une fois retrouver la joie du début et peut-être même qu’on la trouve.
Jusqu’à ce que les mots se rétrécissent de plus en plus, qu’il devient de moins en moins possible d’en parler. Elle devient muette. Elle était toujours bègue. Les mots se brisait avant de sortir de sa bouche. Impossible de dire. Et le silence alors. Et la résilience d’abord, et puis la résiliation et attendre le coup ultime « qui te tue ou qui te libère. »
Et comme elle dit dans la pièce qu’il ne faut pas rater la dernière scène, il y a quelque part cet enjeu particulier dans la dramaturgie déployée par Léna Paugam qui, avec sa complice, a voulu « éviter toute forme de pathos ». Alors que ces va-et-viens entre les différentes instances de parole fonctionnent bien à cet endroit, se tisse tout de même à fur et à mesure dans le spectacle une contamination affective, si j’ose dire, pour arriver à la fin à l’écueil qu’elles auraient voulu éviter. La distance disparaît, la femme dans son bain, nue, attend le coup fatal, une montée dans la parole et dans l’affect déployé qui tire peut-être trop sur la corde de l’effet, du clou. Et si cette dernière tirade était dit dans la simplicité de la narratrice ? Si on n’appuyait pas l’affect cherché ? Si on tenait jusqu’au bout une dramaturgie de la distance qui tente « une certaine objectivité » ?
Ce qui demeure appréciable est le fait que malgré le fait que le désir de ce spectacle est venu d’une loi russe qui dépénalisait les violences conjugales, l’actualité politique du monde n’empêche pas Léna Paugam et Sigrid Carré-Lecoindre de creuser des questions qui dépassent cette réalité et trouver une dramaturgie qui n’est pas un didactisme réaliste plat, si souvent opposé à notre réalité de tous les jours. Didactisme si rarement opérant. Réalisme si souvent redondant. Ici nous pouvons faire une certaine expérience de la complexité de la question. Crime il y a, la culpabilité complexe.