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Plaidoyer pour une civilisation nouvelle… Actualité d’Emile Novis – L'!NSENSÉ
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Plaidoyer pour une civilisation nouvelle… Actualité d’Emile Novis

Plaidoyer pour une civilisation nouvelle, d’après les textes de Simone Weil

mise en scène Jean-Baptiste Sastre

au Théâtre des Halles.

Au TdH, dans la salle de la Chapelle, le metteur en scène Jean-Baptiste Sastre présente Plaidoyer pour une civilisation nouvelle d’après les œuvres de la philosophe Simone Weil. Au plateau, la comédienne palestinienne Hiam Abbass (qui jouait au milieu des compagnons d’Emmaüs dans Phèdre les oiseaux. Travail superbe vu au Bois de l’Aune à Aix) prête sa voix pour faire entendre le combat et les pensées de Simone Weil, accompagnée à l’accordéon par Michel Lacombe qui ponctue les textes par des chants occitans. Simone Weil, l’auteur entre autres de La Condition ouvrière, de L’Enracinement prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain… Petit bout de bonne femme déterminée malgré sa santé fragile, réfléchissante qui, en 1936, s’engagera aux côtés des Républicains espagnols contre Franco. Ici, dans un dialogue avec les figures absentes (patron, dieu, etc.), la parole se retrouve errante suspendue dans l’air, comme en écho.
 
Quels rapports pourrait-il y avoir entre Simone Weil une philosophe humaniste et des chercheurs en biologie moléculaire et cellulaire qui conduisent des travaux scientifiques, notamment sur les protéines fluorescentes ?
La question paraîtra incongrue, voire sans réponse, sauf à voir les quatre caissons lumineux autrement, et par exemple, comme des panneaux vitrés d’une usine désaffectée. De ces vitres qui disposaient au plafond des usines servaient à garantir la lumière dans les usines de la fin du XIXe. De ces usines que Simone Weil choisit d’intégrer pour vivre la vie des ouvriers. Elle qui, née de parents juifs et agnostiques, sœur d’un frère mathématicien, élève à Henry IV, agrégée de philosophie, normalienne, étudiante du philosophe Alain qui sera son maître à penser, embrasse le combat social et syndical aux cotés des ouvriers, sans pour autant s’engager dans un socialisme des partis. Plus proche de Boris Souvarine et critique à l’endroit de Staline, Simone Weil développera alors une pensée singulière qui, pour autant qu’elle la maintient dans les eaux révolutionnaires, ne l’emporte pas aveuglément ; la place du côté du peuple plutôt que de l’intelligenstia normative et répressive. Sa recherche est donc autre et son engagement physique (travail en usine notamment) en fait une figure à la marge.
Mais bref, sauf à voir ces panneaux comme les vitres simples des ciels voutés des usines (ce qui colle à la bio de Simone Weil), sauf à entretenir cette idée fantasmée liée à l’imaginaire poétique et créatrice du spectateur, on passerait à côté de l’essentiel. Car devant le public, avec le public, il y avait sous ses yeux 4 caissons qui contenaient chacun 12 000 milliards de bactéries fluorescentes, lesquelles se reproduisent toutes les 15 minutes.
Chiffre astronomique et féérie merveilleuse de la science que de mettre à vue un visible qui demeure invisible à l’œil nu. Effet qui n’est pas réservé à la seule science, mais aussi, par exemple, à une philosophe puisque l’on peut considérer les écrits de Simone Weil comme la tentative de rendre sensible l’immoral inhérent qui passait à l’époque pour la norme. C’est-à-dire et exprimons le clairement : l’exploitation de l’ouvrier qui induisait la perte de la dignité de l’être humain.
Du coup, on pourrait voir à cet endroit un premier trait commun, propre aux scientifiques et à la philosophe : interroger ce monde, le questionner dans ses formes les plus complexes. Mais et ce n’est pas le seul point commun, il faut en définitive se résoudre à regarder la présence de ces bactéries et la pensée de Simone Weil comme deux approches distinctes mais complémentaires des écosystèmes. Celui des bactéries et celui des hommes, tous deux pris dans des formes d’empirisme irrationnel ou impensé, qui obligent à s’inquiéter de leur mode d’évolution et d’organisation.
Au plateau, Hiam Abbass fera donc entendre l’engagement de Simone Weil. Celle qui parle et écrit « en connaissance de cause » puisqu’elle a choisi de rejoindre le sort de ceux qui l’ont adoptée. Ouvrière philosophe, éduquée et à la lutte chevillée au corps, elle ne cesse d’interpeller les chefs, les patrons, les directeurs qu’elle nomme dans La Condition ouvrière « les Rois de France ». À travers les lettres que Hiam Abbass convoque dans les accents de la douleur et de la détermination, à travers aussi de moments de réflexions isolées quand il s’agit d’écrire pour soi, d’écrire « le livre » ; revenant sur « l’esprit d’oppression » qu’elle distingue de « l’esprit de soumission » parce qu’il faut garantir à tous et toutes la dignité et un enracinement… Revenant sur l’injuste, sur la nécessité de « l’esprit de collaboration »… C’est moins une idéaliste que joue Hiam Abbass qu’une révoltée qui ne prône pas pour autant la révolution. « La révolte est impossible, sauf par éclair » quand on est ouvrier ou ouvrière.
Hiam Abbass parle ainsi un peu plus d’une heure. Elle fulmine, elle rumine en lieu et place de la chapelle, sous la voute, entre quatre murs comme pourrait l’être un captif amoureux de la vie qui ne veut pas croire que la vie ressemble à ce qu’elle voit. Quand les pensées deviendront plus intérieures et que l’issue dans le christianisme deviendra une hypothèse scientifique comme une autre (parce que tout n’est pas vérité, mais parfois seulement beauté à contempler), alors Sastre réduira la lumière jusqu’à ce que celle-ci l’enveloppe. Et la lumière baissant, la fluorescence des caissons reviendra en force.
Et regardant cela, c’est aux lucioles pasoliniennes que l’on songe. Ces lucioles que Pasolini observe à Rome et qui, par un effet de parabole, s’apparentent à l’espoir alors que l’Italie fasciste gagne et aveugle.

Le travail de Sastre s’achève alors que Weil est réfugiée à Marseille. La guerre a gagné les peuples et l’Europe. Simone Weil signe encore quelques articles pour la revue Les Cahiers du Sud sous le nom d’Emile Novis (anagramme de son nom). Comme nombre d’exilés elle se rendra aux États-unis, avant de revenir en France, en 1943, et de mourir de la tuberculose, quelques mois plus tard, dans un sanatorium d’Ashford en Angleterre.
Sastre, comme à son habitude, surprend. Déjoue les stéréotypes. N’en finit jamais avec sa volonté de faire un théâtre vivant, d’actualité, en convoquant l’inattendu. Dans la tournée qui s’annonce et le mènera au CDN de Normandie chez Di Fonzo Bo (dans la salle est semblant plutôt enthousiaste à l’idée que ce Weil rejoigne la galerie de portraits d’intellectuels et d’artistes qu’il a voulus), un chœur est prévu qui se fera avec des habitants et des associations. Hiam Abbass se retrouvera alors comme ce jour où, dans Phèdre les oiseaux, elle parlait au milieu de tous. De sa voix marquée par un léger accent qui donnait au texte de Weil, une présence augmentée et parlait pour tous et toutes. Ou quand le théâtre politique relève d’une pratique, plus que d’une déclaration. Merci Sastre.