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Autocritique, par le collectif Assensé – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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Autocritique, par le collectif Assensé

Joué sans interruption durant les mois de juillet et d’aout à la Déviation, Autocritique est un monologue terrible adressé à un seul spectateur, interprété par Yan B. Autour du travail artistique, le collectif Assensé anime et dirige des ateliers d’écriture « autocritique ». Les productions écrites peuvent alors être intégrées au spectacle. Et, en raison de la crise sanitaire, les publics intéressés doivent contacter la Déviation, puisque les représentations pour un seul spectateur sont à horaires libres et discutés avec le spectateur qui sera présent. A voir, à écouter… (0981094401).
 
Un Process et un procès.
C’est curieusement une mise en scène qui correspond à l’époque où le geste barrière et la prudence, qui induisent des distances et des densités allégées, ont conduit le collectif Assensé à travailler sur une création intitulée Auto-critique. Curieuse mise en scène puisque le dispositif théâtral auquel le collectif recourt, défiant tous les paradigmes commerciaux auxquels obéit le théâtre aujourd’hui, met en vis-à-vis, un Acteur sur scène, et un seul Spectateur dans la salle. Soit un théâtre en tête à tête que Jean Sauveterre, un des membres du collectif, explique d’un point de vue dramaturgique et esthétique.
« En fait, quand on a pensé à ce spectacle : Auto-critique, on s’est immédiatement posé la question de l’adresse, de la participation et de l’implication du spectateur. Pour nous, faire « auto-critique » ça ne pouvait pas relever d’un mode d’exposition ou de représentation habituel. Un acteur face à une multitude de spectateurs, ça ne pouvait pas correspondre à notre objectif et garantir l’effet miroir que nous cherchions à avoir sur le spectateur. Je dis cela, car depuis le début, je ne voulais pas d’un spectateur voyeur ou témoin. Je voulais un spectateur concerné, directement par ça. Une sorte de spect-acteur qui, dans le rapport frontal et finalement la proximité que l’on obtient par l’isolement, serait l’interlocuteur muet de l’acteur. En fait, il s’agissait de trouver un mode d’adresse où, en définitive, on aurait une sorte de dialogue qui s’esquisserait. L’acteur parlerait au seul spectateur, et le spectateur déploierait une telle écoute, qu’on pourrait imaginer qu’il soit en mesure de répondre. Et c’est cela qui en ferait un spect-acteur ».
Sur les raisons du collectif de faire un spectacle sur ce thème, Jean Sauveterre ne manque pas non plus d’arguments. « Ah, oui…. Le thème ? Ce n’est pas tant de revenir sur une histoire des grands procès qui nous a guidés. Après tout, cette histoire est révolue et revenir sur Zinoviev, Kamenev… ou même Meyerhold qui nous rapprocherait du théâtre… ça n’avait pas tellement d’intérêt. Ce n’est donc pas une énième fresque historique où l’on reviendrait sur des « trahisons ». Et on n’avait pas non plus envie de faire comme les chiliens qu’on a vu récemment au festival d’Avignon. Revenir ou faire le procès d’Allende. D’ailleurs, à ce propos, la critique de Yannick Butel que l’on retrouve sur le site de l’insensé a tout dit et fort justement. Non, si on a fait ce travail, si on s’est inscrit dans cette création Auto-critique, c’était plutôt pour mettre en place un questionnement sur le rapport que les êtres entretiennent à la parole. Je veux dire par-là que, mais je ne suis pas linguiste, la plupart du temps la parole va d’un émetteur vers un destinataire. Elle est tournée vers l’extérieur. Elle est en quelque sorte abandonnée à l’extérieur et celui qui parle lui donne souvent cette direction. Avec Auto-critique, avec le dispositif que nous avons mis en place, c’est une parole qui « colle » à celui qui l’émet. C’est une parole qui, pour autant qu’elle est proférée, ne concerne en définitive que celui qui la prononce. Et ça, ça nous paraissait intéressant à traiter : cette réorientation de la parole vers celui qui la prononce. Si, par exemple, on prend l’épisode de la condamnation que l’on s’adresse à soi-même et qui arrive à la fin du spectacle ; on voit bien que les mots qui sont utilisés sont choisis avec soin. Que les mots sont arrondis et pas pointus. Comme si quand on parle de soi ou que l’on s’adresse à soi, on se ménage des issues, des excuses, des formes d’atténuation. Ça fait un contraste, bien souvent, avec la parole critique qui peut-être dure. Avec l’auto-critique, le dur est remplacé. C’était intéressant de travailler cette parole « d’excuse » où on sent bien que l’on cherche, se cherche, des excuses. C’est-à-dire comment on finit par chercher à ne plus être responsable ».
 
Tribunal et tribulations
Sur la scène éclairée par une lumière douche, un personnage (Yan B) est debout, une serviette éponge tâchée de noir autour du cou. Des tâches comme autant de petites salissures de la conscience ont été substituées à, par exemple, du sang comme on pourrait l’imaginer après qu’il aura été torturé pour en arriver à l’aveu. Mais non, ici, l’aveu est dépossédé de l’influence de l’autre. Personne pour jouer le bourreau qui s’en prendrait à une victime. Non, personne pour une nouvelle fois « faire porter le chapeau » à un autre que soi. Yan B porte lui-même son chapeau. Et, alors qu’il se tient à l’arrêt au milieu du plateau, on pourrait même croire qu’il l’a mangé… son chapeau. Debout, immobile, il a les yeux et le visage tournés, tout le temps de la représentation, vers le bas, vers un point fuyant, à moins que ça ne soit seulement le bout de ses chaussures. Et il ne faut pas longtemps pour comprendre que cette manière de jouer, qui prive l’acteur du dévisagement, abrite sans doute une forme de honte ou d’embarras indépassable. L’acteur est là, seul, dans un immense océan noir et il occupe ce point de lumière, comme un insecte pris dans le halo d’un phare. Il pourrait être un prisonnier, mais non. Il pourrait être un esclave, mais non. Il est juste seul avec lui-même et il a entendu, quand la lumière l’a révélé, la voix du spect-acteur à qui l’on a demandé de dire : « Je te regarde. Je t’écoute. Parle ».
Et il s’est mis à parler, comme enfin autorisé à dire quelque chose qui le concernerait vraiment. Non pas parler pour commenter, ci et ça qui relèvent des propos de Zinc. Non pas parler pour séduire, convaincre, jouer le jeu de la discussion et du débat d’idées. Non pas parler pour ne rien dire, mais justement parler en sincérité de soi et, plus que la sincérité, parler en vérité de ce qu’il est, de ce qu’il n’a pas fait et aurait dû faire, de ce qu’il a trahi, etc. Alors commence un monologue uniquement et brièvement interrompu seulement quand ce qui se dit demande à être pensé, extrait du fond de soi, pris aux tripes et aux cœurs… petits moments de silence presque imperceptibles où le silence n’est pas interruption, mais temps de formation du sonore. Et justement, ça commence par ça, un silence, une sorte de formation d’une odeur qui sent le manque d’honneur.
« Je vous mens régulièrement en jouant les fiers à bras alors que je ne suis que lâcheté. Je vous mens comme un arracheur de dents pour vous distraire et vous amuser car je crains que sans divertissement vous ne vous aperceviez de mon imposture, de mes crimes à dix sous. J’entretiens depuis longtemps un rapport masqué à la parole.  D’abord, ce fut pour édulcorer la vie, la romancer et lui donner le relief qui me manque. Je manque de relief comme on le dit d’un paysage hollandais où le plat est moins paysagé que cérébral. Je ne le faisais pas pour moi, mais pour que ma compagnie vous soit agréable. J’avais peur de vous décevoir, de vous ennuyer, de vous voir me quitter, vous éloigner. J’avais le souci de vous aussi. Je vous ai menti pour vous être agréable mes amis. Mais voilà qu’un défaut d’amitié, un petit abandon de plus, un lapin posé inopinément fait que vous venez à défaire et lézarder le visage de l’amitié que je vous prêtais. Alors me viens la seule chose qui me reste car vous me manquez et dans l’instant du manque, je décide de m’exécuter sous vos yeux, contre vous. Je vous ai toujours menti, au risque de me mettre en danger. Mais il y avait à vous abuser une jouissance juteuse. Je vous ai regardé vous amuser pendant que moi-même je m’amusais de votre amusement. Je vous mentais avec amour, passionnément et qui sait, au moment où je me suicide devant vous, où je retourne la parole contre moi et sais qu’elle va me blesser mortellement, j’espère, oh oui j’espère, que vous trouverez le temps de venir en amis à mes funérailles. Car c’est la dernière chose que je vais vous offrir : mes funérailles. Alors vous serez à nouveau assemblés autour de moi. Car voilà, et mais vous ne le savez pas, si j’ai menti, en définitive, ce n’est pas pour vous amuser, mais pour ne pas être seul. Car oui, j’ai peur d’être seul… Alors, voilà, tout à commencer quand, pétri de cette peur, je me suis dit « comment me faire des amis ? ». Et ma vie n’étant d’aucun intérêt, alors je l’ai inventée et je l’ai partagée. Mais je ne partageais qu’une fiction et la peur n’a fait qu’augmenter car vous pouviez le découvrir cet artifice… Mais je ne suis qu’un menteur qui avait le souci de vous conserver. J’ai aussi, ah oui, oui, oui… j’ai aussi essayé de vous faire peur. D’être celui qui pourrait être brutal. Car, j’avais réfléchi, mentir n’était pas suffisant. Il fallait développer la peur. Alors, j’ai modelé une peur douce, qui enlace et qui fait rire et vos rires me renseignaient sur l’efficace de cette peur.
Mais ce n’est pas tout, car maintenant, avançant à découvert, je peux le dire. Et vous l’entendrez comme l’épitaphe de cette auto-critique que j’achève. Je ne suis pas qu’un menteur. Je suis surtout un lâche, un faiseur, un « qui fait croire »… Au moment de vous laisser, je voulais vous le dire, vous le confier… et si vous vous détournez définitivement de moi, alors sachez-le, menteur oui, mais proche de vous pour vous faire les poches de vos sentiments et en profiter. Menteur oui, mais avant tout voleur d’amitiés ».

Quand dire c’est être.
À l’évidence, ce travail sur la parole qui ne ment plus sera une épreuve pour chaque spect-acteur, et bien entendu pour l’acteur qui se livre et s’expose. Car loin de ramener le théâtre à la seule fiction, loin de l’inscrire dans le genre documentaire, Auto-critique est d’abord un travail sur le rapport intime entre parler et faire entendre quelque chose de soi ; entre parler et être ce que l’on parle. C’est cruel, si on entend par « cruauté », le fait de ne plus déguiser la parole par l’artifice, ne plus jouer le jeu des conventions, de ne plus abuser l’auditeur. Avec Auto-critique, la parole retrouve son état premier. Parler pour nommer. Bien loin en définitive de l’abus de parole qui est sempiternellement utilisé et qui la dégrade. On songe bien entendu, à la parole politique dont on soulignera que l’on parle plus volontiers de « discours politique ». On songe aussi, à tous ces donneurs de leçons qui font de la parole un instrument, un outil, un moyen qui sert des causes, au point que la cause généralement force la parole. Auto-critique ne relève d’aucune manière de cela. Et la parole qui s’y fait entendre est une parole privée qui vient à être articulée dans l’espace public, sur la scène théâtrale. C’est un rapport à la parole qui fouille, de manière archéologique, les zones d’ombre du sujet. C’est une parole presque fossilisée qui alors se fait entendre. Dépaysante, étrangement puissante… cette parole-là ne tombe pas à plat.