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UsINER… l’oeuvrier littéraire sur scène – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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UsINER… l’oeuvrier littéraire sur scène

Le 5 novembre prochain, Julien Gourdin présentera UsINER. Une pièce performative présentée à l’amphithéâtre de la Verrière, à Aix-en-Provence. Deux séances (16H00 et 19H30) sont prévues, entrecoupées d’une rencontre avec le public. Premier projet personnel du comédien qui est soutenu et accueilli par la Ville d’Aix. Moment d’importance pour lui qui en parle comme d’une « première marche ».

La bifurcation…

En solo comme à l’occasion de Le Petit Poucet et l’ogre au Bois de l’Aune où il est un homme-orchestre jouant et interprétant tous les personnages du conte de Charles Perrault ; lecteur d’Albert Cohen et notamment de O vous, frères humains aux côtés d’Henriette Pertus dans un travail musical ; metteur en scène et auteur de La folie comme état de la métamorphose ; comédien rejoignant Angie Pict pour la création du texte de Martin Crimp Le reste vous le connaissez par la cinéma… Julien Gourdin hante – tout autant qu’il est hanté – la scène. Ingénieur défroqué, il choisit donc de se former au travail de comédien à une époque où d’aucuns auraient privilégié le confort de l’emploi. Le geste est radical, et la vie de précaire qu’il ambitionne est la seule qui le met à l’endroit de l’imagination créatrice et des rencontres avec le milieu du théâtre, ses collectifs, ses personnalités, et des amis qui l’accompagneront, comme Eric Schlaeflin, comédien comme lui.

« Je n’avais pas le choix. J’avais fait l’expérience du travail à l’école d’ingénieur. Différents stages… m’étais retrouvé posté en 3X8. Je ne crache sur rien, mais à Montbard, en Bourgogne, chez Valti, dans une usine de métallo du groupe Vallourec, ma tâche était de contrôler des tubes métalliques. J’apprenais le travail à la chaîne… ou je faisais l’apprentissage d’être enchaîné à un travail. Y songeant, j’avais à l’époque évalué qu’en 3X8, subissant les décalages horaires, je faisais Paris/San-Francisco sans bouger de ma cabine de contrôle. Sacré Jet lag en définitive. » confiera-t-il songeur.

De ces années-là, Julien Gourdin qui reconnaît de ne pas avoir de culture militante, conserve les souvenirs des ouvriers qui travaillaient avec lui. Dans les plis de la mémoire, des trognes et des gueules « cassées », des gestes d’attention, des formes de travail collectif et de travail en équipe… mais aussi des bruits, des sons, des odeurs de métal en fusion qui se mélangeaient à la gamelle le temps d’un repas pris sur le pouce. « C’était une expérience, mais j’ai décidé que ça ne serait pas une vie, ma vie ».

Dès lors, Julien Gourdin se prend une carte d’étudiant après que son dossier a été sélectionné en Arts de la scène, à l’université de Provence. Retour sur les « bancs de l’école », mais surtout nouvel apprentissage que celui du plateau et des ateliers de jeu. Et puis immersion dans un milieu théâtral où de la Déviation à la compagnie Ornicar, Julien Gourdin, plus qu’un spectateur, devient un interlocuteur de ceux qui « jouent ».

autoportrait pixelisé

Usiner

« Je conçois ce travail comme relevant d’un geste performatif et ceux qui m’accompagnent : Samuel Martinez (musicien et touche-à-tout sur les espaces sonores), ainsi que Nao Tanaka (créateur de dispositifs numérique et vidéo, programmateur TAO (théâtre assisté par ordinateur)), sont essentiels dans ce projet. En fait, je pense performatif, mais le mot induit un tel champ que je pourrais dire que je suis juste un comédien en scène soutenu par deux camarades qui interviennent tels des plasticiens/créateurs du son et de l’image » confie Julien Gourdin. Quant au projet en lui-même, si l’expérience de l’usine ne lui pas étrangère, sa naissance est également liée à une rencontre avec un auteur Joseph Ponthus, né Baptiste Cornet, disparu à l’âge de 43 ans, et notamment son livre A la ligne. Un auteur, éducateur spécialisé, récolteur de paroles anonymes, qui aura par la suite exercé différents métiers jusqu’à celui, en Bretagne, d’ouvriers sur une chaîne qui voit passer les poissons, frais et panés. Type qui aura tout lâché pour suivre par amour une bretonne, et qui au dernier emploi, après l’intérim et autres joies liées à la flexibilité de l’emploi, finit dans un abattoir.

A la ligne, titre du journal de bord qu’il a tenu pendant des mois, témoigne d’impressions, de sentiments, de pensées, de méditations sur cette expérience ouvrière qui fera de lui un « oeuvrier littéraire ».

Vie dense et pas confortable que la sienne et dont il témoigne dans le documentaire Les Damnés, des ouvriers en abattoir, d’Anne-Sophie Reinhardt, en 2020.

« C’est un journal de bord sensible que Ponthus écrit. Ni étude sociologique, ni traité politique… C’est un lettré et ce qui m’a interpelé, entre autres, c’est un mode de récit où la ponctuation est absente… A partir de là, j’ai décidé d’en faire une forme théâtrale, un montage de mots qui se présente sous la forme de plusieurs tableaux qui obéissent à une dramaturgie sonore, et visuelle. Pour ce travail, on a été enregistré des gens, on a fait des entretiens de différentes personnes. On en restitue les voix et c’est quelque chose qui nous importait de créer les conditions d’une écoute » explique Julien Gourdin qui confie que lui et ses compagnons sont encore dans l’exploration de l’esthétique de ce travail.

« Ce dont on est certain, c’est qu’ils nous importent, avec Usiner, de mettre en perspective un rapport à l’Histoire, ses métamorphoses et ses tournants. Et d’une certaine manière, si j’avais à définir ce que nous sentons et ressentons, c’est sans doute l’idée que nous vivons une esthétique du pixel. Un monde d’images a pris le pas sur le reste… ça, ça sera présent. Il y a tout un travail de construction à partir d’un dispositif connecté qui soulignera le mouvement, l’image, le son… pixelisé » dit Julien, presque embarrassé de parler d’un travail en cours d’élaboration.

« Ce que je sais, c’est qu’à travers Usiner, on parle de quelque chose qui a à voir avec, peut-être, un mythe ou une légende, aujourd’hui… le nommer n’est pas facile mais on pourrait dire qu’on se pose la question du vivre-ensemble » conclut-il. Et s’éloignant pour un train, on songe qu’il y a bien là un enjeu d’actualité de nos « temps modernes ».

Par amour, devenir oeuvrier.