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L’imagination n’a plus d’avenir ? – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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L’imagination n’a plus d’avenir ?

Avec La Imaginacion del futuro mis en scène par Marco Layera, au cloître des Carmes, la 68ème édition du festival d’Avignon continue dans la redondance. À se demander ce qu’on leur a fait, comme dirait l’autre.

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Il faut le voir… pour le croire
Pour autant que nous ne sommes pas encore à la fumée des cierges de cette 68ème édition, que la messe n’est pas encore dite, et que son directeur s’est installé… on peut tirer déjà quelques conclusions sur ce qui a été proposé au festivalier. Si le thème du “Jeune Public” est revendiqué comme une préoccupation d’aujourd’hui et de demain, on est en droit de se demander ce qui, dans la programmation, lui était adressé et sur quelles “grandes questions” il aura été convoqué. Là-dessus, sans qu’il y ait vraisemblablement une seule réponse, se distinguent toutefois (ou “Toute Foi”, on ne sait plus comment l’écrire) quelques tendances.
Tout d’abord, un propos sur la fonction de l’art et la place de l’artiste. Question récurrente et martelée [[Voir (ou lire) :

— Le jour du Seigneur : Olivier Py proche de Dieu

— Psychologies : Olivier Py : la faim attise mon intériorité.]]chez Olivier Py qui, tant à la scène et l’écrit que sur les plateaux (tv, rencontres, scéniques…), incarne aujourd’hui le leader spirituel de communautés qui auraient à cœur de faire entendre qu’ils (les artistes et les créateurs) ont un rapport d’intellection à leurs pratiques. Manière sérieuse de rappeler que l’artiste aurait une mission, et serait donc un missionnaire.
Missionnaire de quoi ?

Sans doute la mission qui lui est attribuée relève-t-elle du souci de “formation de l’homme”… Entendons par là, au mieux, le préparer au devenir homme dans le monde à venir. Py aurait donc quelques idées ou serait à même de faire des “prévisions” sur un monde dont tout le monde s’accorde pour dire qu’il va comme il veut, de manière imprévisible…. Dans cette perspective idéaliste, autant qu’arbitraire, “préparer” l’homme, c’est encore “l’éduquer” et donc lui inculquer quelques valeurs (petite contradiction chez le mentor qui s’inscrit alors dans un discours d’actualité où “la valeur” est à la mode et semble protéger un certain état du monde plutôt qu’elle ne le libère pour appréhender le futur : l’imagination du futur… on y reviendra).
Plus simplement, voire quand le simple tourne au simplisme, la programmation de cette 68ème édition soulignerait également la volonté l’éclairer ou de l’illuminer (le spectateur) en lui rappelant régulièrement “Que non bonhomme t’es pas tout seul, y a un troisième œil qui te veut du bien”… hum hum… La scène théâtrale est alors devenue, ces derniers semaines, à l’insu du spectateur qui est devenu un pellerin, une rampe de lancement pour le retour du tout puissant Esprit… qui ne cesse de s’incarner, plus ou moins poétiquement et plastiquement, sur ces nouveaux lieux saints que sont les planches.
Effet Malraux et du 21ème qui sera religieux ?

Effet de contagion des lieux et du patrimoine avignonnais sur le théâtre ?
Cloître, chapelles et autres résidences sacrées semblent retrouver un second “souffle” via le divin théâtre. Effet d’alliance, dans tous les cas, ou de “solidarité” d’un mot qu’affectionne le Directeur qui, dès lors qu’il s’inquiète de la place et du rôle de l’art, induit un format esthétique et poétique, ou disons un carcan théâtral : parler à tous dans une langue accessible à tous. Effet de réduction du “au commencement était le verbe”, en définitive, où la profération, le manichéisme, les clivages bipolaires, la pensée coupée en deux (c’est bien, c’est mal)…. ne sont pas sans en avoir surpris plus d’un ces derniers jours, à mesure que les spectacles, majoritairement, reprennent à l’unisson ce mécanisme schématique ou ce credo… Programmation croisades de toutes les confessions, si vous voulez…
Jusqu’à “hier” (métaphore qui exprime l’avant 4 juillet), le spectateur s’était arrangé avec l’idée que l’art permettait de s’inscrire dans des questionnements sans nécessairement qu’il y ait une réponse (ça s’appelle la réflexion ou la pensée), mais qu’il n’était pas obligatoire que l’art, par son exposition, soit un espace de délibération (ça s’appelle défendre une idée ). Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’aujourd’hui, sur la scène avignonnaise, le choix nous est proposé non comme le moment d’une alternative, mais comme une manière de faire valoir un point de vue (on dit “idéologie”) contre un autre au prétexte d’en faire l’examen.
L’autre point de vue “mis en examen” (ça a un parfum de procés tout ça), relève de la représentation de l’animal politique qu’est l’homme, ce qui est un petit emprunt à la proposition d’Aristote “l’homme est un animal politique”.
Et oui, ça n’a rien d’original tout ça, mais ici, même au café La Pie pose (“sénat” avignonnais[Se reporter à notre article qui fait la part belle à l’importance des cafés dans la vie du citoyen. Pour en savoir plus relire « Osé l’Hypérion de Malis : les voix de l’encre » [en suivant ce lien.]], rue Édouard Leclerc…) personne n’est prêt à lâcher cette proposition fondamentale. Proposition construite sur le modèle d’une phrase attributive et qui mérite un approfondissement syntaxique afin que l’on en perçoive les limites sémantiques. Et passons-nous de revenir à l’Histoire de la Grèce pour regarder ensemble ce que ça raconte aux contemporains. Ou rappelons, comme le soulignait Jean Bollack, que “les grecs n’ont pas eu de textes sacrés – ils s’y connaissaient en inspiration –, du moins pas au même titre ; le religieux était l’affaire des religieux…»[[Jean Bollack, Au jour le jour…]]. “Politique” chez Aristote, veut juste dire que l’homme est un habitant de la cité, un homo urbanus à qui l’on doit apprendre à vivre ensemble en “Ville” : cet espace partiellement public.
Est-ce bien de cela, de ce sens là dont il s’agit aujourd’hui ?

Revenons à la démonstration. L’homme est un animal politique est donc une phrase attributive. Ce qui signifie qu’il y a égalité entre les éléments grammaticaux qui constituent cet énoncé, de part et d’autre du verbe d’état : être. Egalité, et donc inversion ou réversibilité possible. Si l’homme est un animal politique, c’est que l’animal politique est un homme. Énoncé tautologique qui ne produit rien du point de vue argumentatif. Si l’on s’inquiète des éléments fondamentaux et accessoires de cet énoncé, on peut également le simplifier en faisant disparaître l’adjectif (“politique”) qui est un composant grammatical non essentiel. La phrase d’Aristote devient alors “l’homme est un animal”. Phrase toujours attributive où les éléments sont égaux et réversibles. Donc : “L’homme est un animal” revient à dire “l’animal est un homme”… Et là, on pressent qu’il y a un “oups”, car en fait on a du mal avec cette idée que “l’animal est un homme”.
Ici et là, le théâtre pratiqué par les missionnaires a donc entrepris de réduire cette curieuse assertion logique et rationnelle. Comme on peut l’imaginer, la logique étant ce roc difficilement contournable, les missionnaires se sont donc résolus à déplacer le questionnement en modifiant le paradigme à étudier. De l’homme on est ainsi passé à l’humanité… De l’animal, à celui de l’animalité… Catégories dont on sait qu’Heidegger avait réussi à montrer que l’homme les contenait et qu’elles étaient intrinséquement ses composants. Un Homme, c’est pour partie de l’humanité, et pour une autre partie de l’animalité.
Or, et c’est un problème que rencontre tout alchimiste (le politique peut en figurer un), l’équilibre entre les composants est loin d’être constant. Et les variations (problème de répartition de l’influence de l’une ou de l’autre des catégories) font de l’homme un amalgame explosif. L’Histoire l’a montré…
Aussi, les missionnaires de cette 68ème édition ont-ils recours à une “tambouille” bien souvent récurrente d’un spectacle à l’autre, et ils ont ajouté un invité surprise en la personne d’une entité identifiée “Divinité”.
Fortifiant de l’humanité (on en oublie presque les guerres de religion et autres phénomènes engendrés par les fanatismes observés en son nom), vitamine miracle, crème de beauté durable, baume et élixir… la divinité et ses figures dérivées ont été ainsi le lot commun de plusieurs des spectacles programmés par Olivier Py. Au goût de certains, même un brin de trop… puisqu’au vrai, les spectacles donnent parfois à penser que l’on quitte une salle pour en gagner une autre qui nous raconte un peu la même chose sous des emballages différents.
L’insupportable a parfois le nom de “cohérent”.

Quel enseignement tirer de tout cela ? La cohérence est au rendez-vous, mais excessive, elle figure désormais, au mieux comme une overdose, au pire comme un matraquage. Spectateur depuis le 4 juillet, l’évidence claironnée (Idéologie donc) impose une sorte de mot d’ordre : “La politique ne pourrait rien pour le monde, l’art peut aider à y survivre à condition qu’il nous parle à tous et qu’il soit engagé, et pour qu’il parle à tous, il faut qu’il parle d’une seule VOIX. La VOIX en question, habituellement impénétrable, s’entend ici et là, un peu partout à vrai dire. Et de comprendre que puisqu’il est difficile de croire dans la politique (encore moins dans le politique), il n’y a d’autre alternative que celle de CROIRE.
Et voilà comment “on fabrique l’homme à défaut de fabriquer des emplois” (formule du (di)-Recteur Py légèrement réécrite par nous mais qui ne change rien à sa signification). Reste à mesurer l’impact économique du Croire sur l’économie libérale, reste à évaluer l’influence du divin sur la répartition de la richesse lors de la décision d’un CA alors qu’il s’agit d’augmenter les dividendes, reste à croire que l’Homme est meilleur s’il se met à croire, reste à croire que CROIRE ça suffira…
En tout état de cause, Olivier Py nous invite à retour vers le futur… Précisément, à revisiter le Moyen âge… la période où le fidéisme, puis le double fidéisme, soulignaient que le monde serait toujours, tragiquement, pris entre la raison et la croyance. Les uns prêteraient plus de pouvoir à l’un ou à l’autre… dans tous les cas, ça sera le lieu du pouvoir. Et de toutes les manières, on a vraisemblablement un peu de mal tout de même à imaginer le futur à partir de ces deux bornes…
La Imaginacion del futuro

Ou l’imagination de l’avenir, spectacle en chilien surtitré du metteur en scène Marco Layera, ne fera pas exception à notre commentaire. Suspectant le théâtre de n’être pas un outil ou un moyen politique, mais aspirant à changer la société à partir du théâtre, remettant en cause tous les héritages… mais chargé du poids d’une responsabilité et observant une éthique, Layera “accorde au théâtre une responsabilité politique”. Critique à l’endroit du théâtre officiel, il préfère faire un théâtre qui amuse et n’est pas superficiel, puisque, comme il le déclare : “aucune opposition n’existe entre le fait de faire réfléchir et celui de faire rire : ces termes ne sont pas dichotomiques”.
Soit, admettons. Dès lors, au prétexte de revenir sur la fin tragique de Salvador Allende, la compagnie Re-sentida revisite le dernier jour du leader charismatique. À ceci près que le suicide de cet homme d’état acculé dans son palais présidentiel par les forces de Pinochet est précédé par une fiction qui repose sur une hypothèse laquelle correspond à la mise en scène de Layera. Une équipe de communicants l’aurait entouré, lors de ce coup d’état…
La Imaginacion del futuro est là dans son entier, et si le propos du metteur en scène, dans le programme ne venait éclairer l’enjeu (Et si cela avait été vrai, cela aurait-il changé quelque chose ? Si l’Union Populaire se refondait demain, serait-elle plus solidement bâtie ? etc.), on a du mal à imaginer ce que tout cela pourrait être. La finalité de cet artifice fabulesque permettant au metteur en scène de travailler à “défaire l’idéalisation habituelle de la figure révolutionnaire et pacifique d’Allende”… (Rien que ça !!!!).
Sur scène, disons alors que le principe de déconstruction qui est à l’œuvre passera principalement par une énergie de plateau vociférante, hurlante, bordélisante, chaotisante… confinant parfois au grotesque, tantôt au vulgaire, tantôt à l’ineptie, tantôt (mais très rarement) au grave. Scènes voisines du trash et du délire se succèdent ainsi pendant un peu moins d’une heure et demie qui paraîtra bien longue, voire très longue, malgré l’engagement physique des comédiens.
À quoi tout cela tient-il

En contrepoint de l’émission filmée de l’allocution du président qui sera sans cesse reprise afin qu’elle corresponde aux attentes supposées du public, alors que le coup d’état qui va porter Pinochet au pouvoir se fait entendre via le bruitage de bombes et de passages d’avion, le metteur en scène Layera multiplie les artifices qu’il suppose drôle. Intervention dans le public et mise à contribution du spectateur (vote à main levée) et prostitution pour la bonne cause ; chorégraphie de la “balle perdue” où un olibrius en jaune fluo et paillette se pointe en front de scène ; séquence du rongeur invisible et affole un des membres de l’équipe de communication ; rapp du ministre de la culture adepte du visionnage de film porno pendant les heures de travail et la tragédie nationale ; soutien à la scolarité de Ricardo par le public ; engueulade avec le président des USA au téléphone ; portrait rouge de Castro, Allende et le Che, suicide de Salvadore Allende ; etc, etc.
Le tout est juste hystérique. Quelle était la visée de tout cela ? Sans doute cette mise en scène avait-elle le souci d’alerter le spectateur sur une situation historique, voire de la transposer. Oui, peut-être. Mais à trop en faire, on ne distingue rien du propos qui était tenu…
Sauf à constater, une nouvelle fois dans le cadre de ce festival, que le politique comme la politique sont parodiés et raillés… Que la politique ne conduit nulle part. Qu’elle est déconnectée des réalités. Qu’elle est une parole non pas vide, mais pleine d’un sens qui ne parvient plus… Que le Salvador ne peut rien. Qu’il est même un rien modelable ou marionnettisé, etc… Et donc, c’est gros comme une maison, que le “Salut” est ailleurs, sans doute à l’horizon d’autres cieux… Tout ça pour ça… Ben merde alors, l’imagination n’a plus d’avenir.
Tiens, je préfère retourner à mes livres. « On me tend la foi comme un paquet bien ficelé sur un plateau tombé de nulle part. On voudrait que j’accepte, mais sans l’ouvrir. On me tend la science comme un couteau sur un plat pour ouvrir les pages d’un livre dont toutes les pages sont blanches »… C’est juste Fernando Pessoa.