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VIOLET, Transe solitaire – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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VIOLET, Transe solitaire

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Cinq danseurs, un musicien composent l’équipe de VIOLET, dernière création de la chorégraphe américaine, installée en Europe depuis vingt ans. Présentée à la salle de spectacle de Vedène, il s’agit d’un des derniers spectacles de cette 65e édition du Festival d’Avignon. En 2004, Meg Stuart y était déjà présente dans une collaboration avec Benoît Lachambre et Hahn Rowe, Forgeries, Love and Other Matters.
« C’est l’intensité du mouvement et comment on l’habite qui peut amener le spectaculaire. Je cherche plutôt le dépassement physique que ce spectaculaire. Tout mouvement habité exige une forte dose d’énergie. Vitesse et lenteur se ressemblent. Mais poussées à l’extrême, en toute conscience, elles peuvent changer notre perception ou notre rapport au temps et notre propre corps.[[Cette citation de Louise Lecavalier est extraite de l’ouvrage de Rosita Boisseau et Christian Gattioni, Danse et art contemporain, Paris, Nouvelles éditions Scala, coll. Les Sentiers d’art, 2011, p. 106.]]» Ces propos de Louise Lecavalier pourraient tout à fait décrire l’entreprise chorégraphique tentée par Meg Stuart avec VIOLET, pièce pour cinq danseurs et un musicien qui refuse le spectaculaire et la narration dansée.
Précisons d’emblée que Violet apparaît comme une exception dans le parcours de l’américaine qui nous avait habitué à des spectacles entre danse et théâtre, aux scénographies souvent imposantes (Replacement en 2006, Forgeries, Love and Other Matters en 2004). Travaillant avec des artistes des arts visuels (Gary Hill pour Splayed Mind Out, Ann Nordman pour Appetite), elle nous montrait des corps confrontés à des périls extérieurs, image d’une humanité rescapée où se manifestait un intérêt pour l’échec et la maladresse, le nom de sa compagnie « Damaged goods » ayant valeur de manifeste. Avec VIOLET, Meg Stuart opère un retour à la danse, « vers l’intérieur de la danse[[ Cette citation, ainsi que les suivantes de Meg Stuart, est extraite d’un entretien avec Jean-Louis Perrier, paru dans le programme de salle lors des représentations à la salle de spectacle de Vedène, au Festival d’Avignon 2011.]]» affirme-t-elle.
Cinq danseurs donc, et un musicien. Cinq danseurs en ligne, en fond de scène, face au public. Un musicien et compositeur, Brendan Dougherty, à cour, avec sa batterie et son ordinateur, pour de la musique live. Seul décor, un praticable blanc et une sorte de mur miroir noir renvoyant une image déformée et résolument hors de vision des spectateurs.
La musique commence, les corps se mettent à bouger. D’abord presque furtivement, une main, un pivotement de tête, un déhanchement. Très vite, le volume monte, presque assourdissant (nous avions été prévenus, des bouchons pour les oreilles ont été distribués à l’entrée en salle), les basses résonnent dans nos corps sagement assis. La musique électronique gagne les danseurs, ils s’agitent de plus en plus, dans des mouvements mécaniques. La musique entêtante et répétitive semble hypnotiser les interprètes. Chacun dans son espace s’avance au fur et à mesure, brisant légèrement la ligne d’avancée, avant de se perdre dans une transe névrotique. Il n’y a pas de mouvement d’ensemble, au mieux des lignes de force, les danseurs restent seuls dans leur univers. La progression de la chorégraphie suit un champ énergétique qui fait passer les danseurs de micro-actions, d’impulsions à des états de corps frénétiques. Car le corps est en crise, il convulse dans des spasmes chaotiques.
La musique s’arrête brusquement, faisant place au silence. Les cinq danseurs sont au bord du plateau, ils nous font face. Le spectacle n’est pas terminé. Une autre chorégraphie s’installe, les corps se touchent, s’enlacent, s’enroulent, dessinant des formes abstraites mouvantes et vivantes. Une sorte d’organise à corps multiples. Un amalgame corporel qui fait un tour de piste, entre violence et langueur.
Nouvelle rupture, dissolution de la masse des danseurs, chaque interprète retrouve son espace. L’éclairage est jaunâtre, la musique repart de plus belle. Fin.
Etrange spectacle auquel les spectateurs viennent d’assister. Entre énervement et épuisement, ceux restés jusqu’au bout n’ont pourtant pas été convié à la fête. A travers une seule et longue scène, les interprètes n’ont cessé d’être isolés dans leurs gestuelles distinctes. Point de propos, une pure abstraction chorégraphique motivée par l’énergie de la danse, par le mouvement devrait-on dire, par la puissance de la musique. Selon les propres dires de Meg Stuart, la chorégraphe aurait pour cette création « recherché des thèmes par-delà le social, par-delà la psychologie, dans des éléments qui traversent et révèlent un paysage invisible. [Elle a] travaillé au plus près de ce qui est éthéré, au plus près du sublime, du vide… de sublimes vides ». Pourtant sur le plateau, ne reste que l’absence (pour ne pas dire le néant). Malgré la densité de la musique et des corps, tout tourne à vide. Aucun paysage – même invisible – n’émane de ce tumulte. Le spectateur reste extérieur, posé devant un objet auquel il n’a aucune prise, même pas sensorielle ou perceptive – l’éclairage souvent en fond de salle, éclairant le public aussi bien que les danseurs, intensifie cette extériorité. A aucun moment, il n’est possible de percevoir l’abstraction devenir paysage ou voyage. VIOLET, avec ses lettres majuscules, reste une interrogation dans le parcours de Meg Stuart. VIOLET pourtant sentait bon, suscitait le désir et l’envie mais la réalisation laisse un parfum de déception. In fine, « Les danseurs se dissolvent, comme plongés dans leur inconscient, dans le monde de leurs rêves, dans des formes de pure énergie. » et en cela le pari de la chorégraphe est réussi.