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Cours-Circuits au pluriel – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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Cours-Circuits au pluriel

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Dans l’obscurité remplie d’air tiède et humide de l’été, la nouvelle création de François Verret s’inaugure au cour du Lycée Saint-Joseph dans le cadre du 65e Festival d’Avignon. Une musique en live vigoureuse de tristesse, de solitude, ou de folie envahit l’espace dès le début, pendant 1h15 : une durée largement raccourcie au fil de création. Les acteurs, les danseurs, les musiciens, les circassiens, 8 artistes de différents disciplines se réunissent sur un plateau étendu, déroulent un spectacle de « temps complet »…
Il est peut-être un chorégraphe, ou pas. François Verret, qui déborde de plus en plus du cadre « danse », a trouvé cette fois-ci une chemin qui lui amène encore plus loin. C’est, si je me permets de dire, plutôt une musique chorégraphiée, ou plutôt un espace-temps chorégraphié.
En 1975, François Verret se lance dans le monde chorégraphique, et crée sa propre compagnie 4 ans plus tard. Désormais, plus de 30 spectacles sont sortis de sa main. En trouvant au fur et à mesure un penchant pour la rencontre de différents disciplines artistiques, il orchestre ici de multiples formes artistiques : l’art de danse, de théâtre, de cirque, de vidéo, de lumière, de décore.
« Ce n’était plus une rue mais un monde, un espace-temps de pluie de cendres et de presque nuit. » Inspiré par un livre qui commence par cette phrase, L’Homme qui tombe de Don Delillo, ainsi que par L’Eveil : cinquante ans de sommail d’Oliver Sacks et d’autres livres ou films de Sarah Kane, Tarkowski etc., François Verret se pose la question sur le temps actuel, sur nos rapport au monde contemporain. Court-circuit. Quand deux courants se connectent, ne supportant pas un énergie impétueux, la ligne se coupe, « POUF ». Courts-Circuits. Cette pluralité illustre une réponse incertaine de la vision sur aujourd’hui du chorégraphe. La connexion et la rupture, l’explosion et la silence…
Comme le début de L’Homme qui tombe où Twin towers s’effondre le 11 septembre 2001, l’image de l’incendie furieuse annonce l’ouverture de la scène. Un plateau blanc carré, flanqué de micros à droite, les instruments musicaux au centre, et se trouve la ruine de planches à gauche. Une large glace-mur est placée derrière la ruine. Tantôt spéculaire, tantôt transparente, elle double ces éboulis ou dédouble la scène. Nous trouvons au dessus, deux grands écrans qui projettent les flammes. La lumière glaciale couvert la scène.
Courts-Circuits, comme indique le titre, chaque séquence se coupe par une explosion. L’explosion de quoi ?
La musique, qui domine perpétuellement et splendidement le fil de spectacle, remorque le commencement de chacune. Et s’y ajoutent petit à petit des autres éléments : la parole, le chant, les corps qui danse ou qui marche… Tous ne sont que les présences faibles, fragiles ou même discrètes au début. A mesure, elles s’hypertrophient. Le geste devient le mouvement. Les corps, qui sont de plus en plus nombreux sur le plateaux physiquement et visuellement (par l’image sur l’écran), s’étendent plus loin vers extérieur, ou se tordent encore vers intérieur. Ce n’est plus une « musique », mais la composition sonore effrayante, agitée et saccadée, qui s’entasse et s’accélère jusqu’à l’extrémité. D’un susurrement à une voix haute, d’une voix haute à un cri, le passage progressif vocal aboutit à un éclat de rire, un rire de folie. Tout un tas de ces choses envahit la salle en plein air. Et « POUF » ! Court-circuit.
L’explosion. Un moment « complet ». C’est un espace-temps complet, ou même au-delà. C’est peut-être une harmonie désarmonisée. Ou peut-être une harmonie de désarmonies. Sous le tact ambitieux de Verret, les éléments sonore, visuels ou vivants, obturent toutes les dimensions scéniques sans plafond, parfois en devenant un seul effet musical, parfois en gagnant l’autonomie. Un chœur de chaos finement et audacieusement orchestré. Complet, il s’agit d’un espace-temps saturé de folie et de l’abus visuel et auditif, qui est, en plus, entouré d’un air tiède et humide de l’été provançal, mélangé de souffle de spectateurs. Et là, nous nous y trouvons perdus. Nous sommes perdus dans la salle sans mur, qui est, dorénavant sans interstice, sans issue, simplement étouffante. Qu’est-ce qu’on entend ? Qu’est-ce qu’on regarde ? Par-ci, par-là. La surabondance audiovisuelle dépasse la borne de notre capacité de réception. « POUF ».
« Il y a une pensée contemporaine, un écrivain de science-finction, Ballard, il dit justement, dans l’espace comme ils sauront définir aujourd’hui, reste pas grande chose comme l’espace de liberté. Peut-être que le seul qu’il resterait, ça serait ce qu’on appellerait un geste de folie[1] », dit François Verret.
Naufragé dans l’excédent. C’est peut-être ça ce qu’il appelle un rapport au monde réel. Menacé par une masse d’incertitude, on se perd dans la surabondance, comme 8 corps incertains sur la scène d’ « identité caméléon » : anonymats, mannequins, hommes masqué. Les sortis différents de ces personnes n’ont plus de sens. Intégré dans un bloc massif produit par Verret, tout devient un élément incertain. La douleur brûlante, l’envie imprécis, la gloire superficielle, le chorégraphe-chef d’orchestre nous montre, chaque séquence, l’incertitude humanitaire. Perdant soi-même, son identité, s’adressant vers le seule marge de liberté de folie, un « élément » pousse le crie et supplie : « regarde-moi, observe-moi, valide-moi ! ». POUF.
Tic, tac, tic, tac… Le bruit musical marque le temps, pendant la séquence, après l’explosion. Tic, tac, tic, tac… « Pourquoi on s’arrête pas tout simplement ?[2] », questionne Verret. Parce que, il répond lui-même, ici, on survie ces déflagrations, parce que le temps court, parce que les choses arrivent à nouveau, on continue, on recommence, sans savoir trop pourquoi. Voilà Courts-Circuits.
Revenons sur nous, nous nous sommes au cour du Lycée Saint-Joseph. Nous nous sommes perdus. Quelque jours plus tard, j’ai entendu un chouchoutent parlant de ce spectacle : « sans histoire, j’ai rien compris ». Tout gardant la certitude, François Verret ne raconte pas une histoire. Mais il « reproduit ». Il reproduit vers nous, l’effet d’incertitude de notre rapport au monde. L’applaudissement tiède pour cette première représentation de Courts-Circuits était peut-être la preuve. Dans l’espace-temps remplie, nous n’avons peut-être pas compris, mais, nous avons vécu. Tic, tac…
[1] Entretien avec François Verret, Théâtre-vidéo net, http://www.theatre-video.net/video/Entretien-avec-Francois-Verret
[1] id.