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Lycéens en Avignon | témoignages 1 – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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Lycéens en Avignon | témoignages 1

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Pour la seconde année, le Conseil Régional de Basse-Normandie aura envoyé en Avignon pas loin de 70 élèves venus des établissements de Vire, Equeurdreville, Argentan et Caen. Du collège, de la classe d’enfants handicapées à la terminale, du lycée d’enseignement général aux classes d’insertion… c’est une petite communauté qui s’est découverte et formée, autour d’adultes et d’accompagnateurs, dans les écoles d’Avignon de Saint Ruff et Mistral aménagées pour l’occasion en lieux d’accueil et d’hébergement. Cinq jours de théâtre et de festival (du 10 au 15) formateurs..


Lycéens en Avignon, mais aussi
Courant 2004, le ministère de l’éducation nationale concluait un partenariat avec le Festival d’Avignon. Sous le nom de « lycéens en Avignon », naissait un dispositif qui s’inscrivait dans une logique de développement du théâtre à l’école et d’éducation du spectateur. En 2007, 627 élèves auront bénéficié de cette opportunité. La même année, une convention cadre triennale était signée par le ministère de l’éduction nationale, l’association « Festival d’Avignon » et l’association « Centre de jeunes et de séjour du festival d’Avignon » des CEMEA[[[1] Dès l’origine du festival, il a fallu trouver des solutions pour accueillir le public des jeunes à Avignon. Les années cinquante ont vu se développer des « Rencontres Internationales » dont l’organisation et l’encadrement ont été confiés aux CEMÉA (Centre d’entraînement aux méthodes d’éducation active).
Ainsi est née, en 1959, l’Association « Centres de Jeunes et de Séjour du Festival d’Avignon ». Elle rassemble trois partenaires fondateurs : le Festival d’Avignon, la ville d’Avignon et les CEMÉA.
Elle propose des séjours culturels de 5 à 15 jours pour des publics d’adolescents de 13 à 17 ans et d’adultes. L’accueil est organisé dans les établissements scolaires. Tous les séjours proposent des activités d’initiation artistique, des rencontres avec les artistes et les professionnels du spectacle ainsi que des conditions particulières d’accès aux spectacles.]]. Les initiatives régionales résultant du partenariat entre les rectorats et les collectivités territoriales trouvaient dès lors en chacun des acteurs de ce dispositif un soutien logistique, un accompagnement pédagogique et artistique.
Parmi les conseils régionaux qui ont rejoint « Lycéens en Avignon », le Conseil Régional de Basse-Normandie, assurant un soutien à la politique culturelle des villes et des établissements scolaires, aura pris en charge le transport (TGV) et le spectacle de Wajdi Mouawad présenté dans la cour d’honneur. Un « geste » qui participe d’un engagement en direction du développement des pratiques artistiques offertes au jeune public et qui complète l’éventail des mesures de la politique éducative régionale mise en place en Basse-Normandie. Rappelons que depuis 2007, chaque bénéficiaire de la cart’@too a accès à différentes offres culturelles (spectacles, stages et ateliers de pratiques artistiques) en partenariat avec des structures ou des personnes ressources du monde professionnel. Tout au long de l’année, dans le cadre scolaire et/ou privé, chaque élève bénéficie ainsi d’une initiation aux pratiques culturelles, en tant que spectateur mais aussi acteur. Le Conseil Régional de Basse-Normandie encourage ainsi et soutient de nombreuses actions en direction de l’éducation artistique via le théâtre, le cinéma, les arts plastiques…La médiation et la sensibilisation aux genres, qu’ils soient contemporains ou participent du patrimoine, le dialogue entre amateurs et professionnels, la participation à des projets artistiques (créations, ateliers d’écriture et de pratiques) rendent compte de l’actualité et d’une histoire artistique. Dès lors, « Lycéens en Avignon » ne se confondra pas avec un événement. Bien loin d’une politique de l’événement, on peut comprendre que les lycéens se rendant en Avignon ont été préparés, accompagnés par un ensemble de partenaires (équipes enseignantes et équipes artistiques) et que ce séjour s’inscrit dans une formation, un apprentissage, un désir de partage du sensible pour des formes esthétiques et poétiques dont on doit, parfois, posséder quelques clés. En définitive, c’est donc une autre manière d’être à l’école que celle d’être à l’école du spectateur. Une manière d’apprendre autrement… au contact d’œuvres d’art.
Petit Mistral
Ça sonne comme une chanson de Renaud, un tube. Pour les plus vieux ça rappelle les grosses pièces grises du franc avec lesquelles on avait parfois la chance d’acheter un Mistral gagnant. Ou quand la pauvreté s’en remet à la loterie pour faire durer le plaisir et entretenir le désir… Mais Mistral ici c’est avant tout le patronyme de celui que l’on nommait « l’Homère de Provence ». Homme de lettres que ce « Frédéric » qui semble éternel et dont le nom, gravé sur une plaque de pierre posée sur l’un des grands murs de la rue Mistral, orne de part et d’autre d’une immense porte en bois, une école d’Avignon. Une belle école ancienne, avec ses huisseries en bois, ces deux étages aux grandes fenêtres, ses salles de classe au lavabo émaillé, sa cour de récréation organisée en zones d’activités (un but de hand, un banc pour les secrets, des toilettes aux jeux clandestins, une cloche pour rappeler à l’ordre…). Une très belle école avec une grande cour derrière des murs immenses qui viennent en surplomb des platanes qui ont vu les sanglots, les rires, les courses tumultueuses, les tournois… Franchissant le portail c’est cette bouffée de souvenirs qui vous tient le regard et vous rappelle aux jeunes années. Celles où une chanson de Lapointe vous apprenait à vous jouer de l’ordre du langage vu pendant la dictée et le cours de grammaire. Celles où un poème de Prévert faisait rougir les communiants. Celles où un calcul mental était un défi à la vitesse. Celles où les heures de dessin vous rappelaient que n’est pas Picasso qui veut…
L’Ecole, oui, et après… L’école ou ce que l’on pourrait considérer comme une fabrique du partage, une redoute voire un îlot d’utopie si le savoir partagé, l’égalité devant la connaissance, la liberté à l’horizon, la communauté soudée sont encore d’actualité. Une magnifique utopie et pas un mythe ou une légende… Une utopie qui s’ancre lointainement dans le siècle des Lumières, qui survit à la Commune et s’incarne, un beau jour de XIX, dans la dynamique de l’éducation populaire, avec ses « instits » anonymes et ses francs tireurs parmi lesquels le nom de Freinet sonne à l’oreille.
Ce matin de juillet, franchissant le portail, les écoliers sont absents mais pas les souvenirs. Mistral, le temps de quelques semaines, est devenu Petit Mistral. Lieu de regroupement d’une tribu nouvelle que va initier un groupe de CEMEA. De nouvelles « règles » ont été pensées, de nouvelles activités ont cheminé, ceux qui seront là iront dans le IN d’Avignon. Ils rencontreront des metteurs en scène. Assisteront à des rencontres publiques. Parleront de ce qu’ils ont vu, entendu, senti, compris. Petit Mistral ressemble désormais à un camp de base au pied d’un sommet à conquérir. C’est désormais un territoire où s’organise la conquête du « partage du sensible ». Un enjeu, en définitive, identique à l’espoir de ne laisser personne à l’écart de la culture et de l’art. Un enjeu, dis-je, où spectateurs les invités de Petit Mistral sont aussi acteurs.
Dans la cour, franchissant le portail, on découvre alors les visages de ces bénévoles qui, aux vacances, préfèrent un projet collectif. Annick a les mains dans le ciment. Olivier est au four et au moulin. Céline crayonne son cahier de notes. Pauline prépare les tables où se prendront les repas. Pascale écrit le déroulé de la journée sur un ruban accroché à un arbre. Karine se penche sur le tableau des sorties. Emeline s’assure du nombre de couvertures dans chaque salle devenue un dortoir. Le cuisinier dispose le pain, la vaisselle, etc… tous sont affairés. Dans 20 minutes, les petits normands vont arriver. Pour certains, il sont partis vers 4H00 du matin. Ils seront fatigués. Il faudra leur parler, se rencontrer, se présenter et préparer les groupes pour aller voir Description d’un combat de Maguy Marin, dès 18H00.
Dans quelques minutes, ils découvriront la cour de Petit Mistral habillé de mobiles, de couleurs, de formes curieuses… Jusqu’au moment où ils verront en cette installation champêtre une image de l’affiche du Festival d’Avignon 2009.
D’une nuit à l’autre
Le café est là qui attend son passant jusqu’à 10H00. C’est le petit « déj » rituel et aimé. Hier, le spectacle de Maguy Marin a commencé à délier les langues. On y reviendra…
Les cigales de Petit Mistral n’ont pour ainsi dire pas cessé de chanter. Et les moustiques de la nuit ont été à leur affaire avec ces corps fatigués. Quelques stigmates marquent visiblement les peaux les plus sensibles. Les filles tentent en vain de dissimuler ces rougeurs que les garçons arborent comme autant de traces d’un combat. Enfin presque. Antonin et moi avons acheter des bracelets répulsifs jaunes que l’on porte au poignet. On ressemble à deux prisonniers sous surveillance et, parce qu’ on l’a prévu et que ça devait marcher, ça devient un signe qui embraye les discussions et les blagues. On y reviendra peut-être…
Antonin et moi sommes là pour faire un atelier d’écriture critique. Tous les après-midi, de 14H00 à 16H00, pendant la sieste, on est sous le préau avec l’ambition de faire faire de la critique. On y reviendra certainement…
Mais c’est surtout le travail de ces CEMEA qui nous interpelle avant tout. On s’amuse de les voir se réunir chaque jour, à la même heure, pour débattre du programme, de ce qui marche, de ce qu’il est possible d’améliorer. On les regarde avec attention quand ils parlent très sérieusement de cet art de construire une communauté. Ils ont cinq jours à peine pour réaliser leur objectif. Dit comme ça c’est moche. Alors disons le autrement. Ils ont cinq jours à peine pour arriver à faire ce qu’ils croient justes, pour parvenir à faire émerger un sentiment, pour installer durablement chez chacun de ces « jeunes ados » l’idée que l’art n’est pas donné mais que le spectateur doit travailler. Ils ont moins de cinq jours pour faire l’unité de normands venus du nord, de la côte ouest, du bocage, des villes… Un peu moins de cinq jours pour organiser un espace socialisé où la reconnaissance de l’autre est la règle, peut-être la seule règle. Règle qui s’applique autant à la vie que le groupe partage qu’au travail de l’acteur, au théâtre.
On les regarde avec amusement certes, mais aussi avec beaucoup d’amitié parce qu’ils sont là pour une idée. Et l’on sait tous, pour avoir vu Je Tremble de Pommerat, qu’on en manque aujourd’hui « et c’est pour ça qu’on meurt » comme le dit le personnage de la jeune fille.
Ils ont donc une Idée ces CEMEA. Et rien ne semble pouvoir s’opposer à la mise en forme de celle-ci qui passe par des trajets et des expériences qu’on trouvera parfois naïfs.
C’est ainsi que ce matin, on s’est retrouvé dans la cour à faire la carte de France. Je passerai sur les détails, mais d’une masse informe d’individus plus ou moins embarrassés, ils ont réussi à faire une carte de France dont les enseignants de la Nouvelle Géographie ignorent tout. Et cette carte avait de la gueule. Elle était sans frontières, sans proportions, et ne se définissait qu’à partir des voix (nous) qui nommaient leur lieu de naissance. Et personne ne s’est regardé pareil après ça.
Ils ont des idées naïves qui vous invitent à tourner en rond dans une salle. Et là, parce qu’on nous le demande, après avoir réfléchi, il faut dire ce que l’on « voudrait qu’y s’arrête ». Il faut le dire d’abord à quelqu’un que l’on croise dans la salle et après à tout le monde, devant tout le monde. Et là, parfois, ça paraît simple mais parfois c’est très émouvant, car il y des gens qui disent ce qu’ils pensent.
Alors au fur et à mesure des jours, on sait que les CEMEA ils ont des idées naïves qui font plaisir. Parce qu’ils sollicitent chez chacun, de manière égale, une faculté tantôt corporelle, tantôt verbale. Et que l’un ne va pas sans l’autre.
Des jours qui ont passé, en complément de ces activités (il y en a d’autres), il y a eu ce qu’ils appellent « Retours sensibles ». C’est une activité de fin de matinée, juste avant le repas qui se prend dehors, sous les platanes, dans la chaleur, où chacun se lève pour se servir.
« Retours sensibles » est un atelier qui vient après un spectacle vu. C’était donc après Marin, Marleau, Mouawad… Dans le principe, c’était un peu comme si l’enjeu était d’en parler. C’est cela, il fallait en parler mais autrement qu’avec la seule parole. Et là, tout le monde s’est alors mis à « parler » parce que justement, il n’y avait pas que la parole en jeu. J’m souviens qu’il fallait penser à une scène, un geste, quelque chose que l’on aurait retenu du spectacle vu. Puis il fallait penser à un son, un mot, un souffle que l’on aurait perçu. Et il fallait aussi penser à quelque chose de soi qui viendrait s’ajouter. Ensuite, après ce travail sur soi, des groupes ont pris forme. Trois quatre par groupe où il s’agissait alors de trouver une articulation entre chacun des membres du groupe. Il s’agissait alors de mettre en commun. Ce jour, vers 11H30, après que tous les groupes avaient proposé au regard des autres leur travail, un groupe s’avança dans lequel j’étais. Il y avait Tiphaigne, François, etc… François, c’était un type qui ressemble à Gianluca Ballarè chez Delbonno. Et ce jour-là, il mettait un grand temps à sortir un grognement qui venait du fond de ses poumons et de sa mémoire. Ce Jour-là, ce type à la physionomie un rien surprenante, un rien différente, il a joué quelque chose en harmonie avec les autres. Et il m’a dit, dans une langue qu’il maîtrisait différemment et sur un rythme qui sortait le langage de son débit habituel, « c’est le cri à Maguy Marin ». Lui, il avait entendu un cri dans ce spectacle incroyablement silencieux. Sans doute un « cri de Munch ».
François n’est jamais venu à l’atelier critique que l’on faisait avec Antonin. Mais c’était un spectateur et un critique rares.
Je crois que ce matin-là, j’ai compris que la naïveté que je voyais dans certaines activités des CEMEA, elle participait de la naïveté dont parle Nietzsche. Cette naïveté dont il dit qu’elle rompt avec un savoir qui ne repose sur rien. Cette naïveté dont il dit qu’elle est une porte delphique.
Au moment de partir…

De se séparer donc. Au moment de partir, on s’est photographié. On a fait un peu une photo de classe. Au moment de partir, les CEMEA ils avaient fait leur job. Sans doute, avec des mots qu’ils n’utiliseraient pas, ils ont prolongé l’idée d’un théâtre populaire. C’est-à-dire, parce que le théâtre populaire c’est compliqué à définir tout simplement parce que ça n’est pas définissable et que c’est protéiforme, que les CEMEA continuent de penser que le théâtre est le lieu où l’on se parle, où l’indifférence est mise en échec, où les idées sont mises en débat. Populaire veut dire ici, sans doute, que l’on a trouvé le moyen d’échapper aux solitudes qui nous guettent.
La cour est vide. En main, je lis les critiques rédigées sur des cartes postales qui nous servaient de papier de rédaction au moment de l’atelier critique. Antonin archive les vidéos qui ont été faites. Le moment où l’une, l’un, l’autre se mettaient à parler de ce qu’ils avaient vu. Non plus à parler de ce qu’ils avaient ressenti, mais le moment où ils se mettaient à parler du spectacle. Ça, je crois, ils l’ont appris avec nous. Apprendre à parler de l’autre, à le décrire, à choisir le mot pour en faire son portrait. Chaque critique tendait à être ce portrait d’un spectacle à travers lequel, la grammaire, le mot, le rythme des phrases rend présent le critique.
La cour est faussement vide…