Biopic Tentation
La 7e vie de Patti Smith de Claudine Galea, par Benoît Bradel, la Manufacture, 13-17 juillet 2019.
À feuilleter le volumineux programme du OFF, on ne peut que constater une déferlante de formes qui flirtent avec le genre du biopic ‒ autour pêle-mêle de Georges Sand, Proust, Isadora Duncan, saint Augustin, Van Gogh, Alan Turing, Bourvil, le docteur Guillotin, Mme du Châtelet et Voltaire, Aragon, Hugo, Audrey Hepburn, Camille Claudel, Louise Michel, Sarah Bernhardt, Beethoven, Nina Simone, Marie-Antoinette, Koltès, Picasso, Juliette Drouet, Gainsbourg, Léo Ferré, Renoir, Duras, Marie Stuart, Camus, Mengele, Pasolini, Syd Barrett, Beauvoir, Artaud, Arletty et j’en passe ‒ que ce soit pour condenser une vie en une heure, se focaliser sur un moment de crise ou adopter un angle d’approche inhabituel. Parmi les sempiternelles figures du patrimoine littéraire et artistique, un afflux d’icônes féministes vient consonner avec notre époque. Le biopic musical est quant à lui un sous-genre à part entière ‒ qu’il faut distinguer du récital-hommage, autre forme très présente dans le OFF. La 7e vie de Patti Smith se situe justement à la croisée de l’iconologie féministe et du biopic rock.
Dans tous les cas, l’écueil de cette forme théâtrale est d’abriter sous l’aura d’un nom mythique une faiblesse d’écriture qui se contente de dérouler linéairement une vie, non sans illusion rétrospective propre au récit (auto)biographique, tout en dispensant des messages à caractère informatif qu’on peut glaner par ailleurs sur Wikipédia.
Le spectacle de Benoît Bradel en réchappe-t-il ? Au plateau, une comédienne, Marie-Sophie Ferdane (en alternance avec Marina Keltchewsky que je n’ai pu voir), est entourée de deux musiciens, Sébastien Martel et Thomas Fernier. Elle interprète un texte, matérialisé par une liasse de feuillets dans ses mains, issu à la fois d’une pièce radiophonique, Les 7 vies de Patti Smith, et d’un roman, Le Corps plein d’un rêve, de Claudine Galea.
La trajectoire de la chanteuse new-yorkaise est abordée à travers une adolescente née dans une banlieue de Marseille, derrière laquelle on reconnaît l’autrice elle-même, qui narre indirectement aussi son advenue à l’écriture (n’en déplaise à Duras entrevue sur une plage normande). Les moments informatifs sont traités avec second degré, sur le mode ludique, introduits par le gimmick ‟I have some information” des deux guitaristes. Le spectateur peut s’amuser à retrouver qui se cache derrière Robert…, Fred…, Arthur…, Nick…, Bob…, William…, Allen…, Andy…, Lou… Parfois les trous restent béants, comme des tombeaux, à la mesure d’un fossé générationnel, d’une rupture de transmission du geste contestataire, de la contre-culture : Beat Generation laminée par le désenchantement des années 1980, le SIDA, la récupération marchande, etc.
Marie-Sophie Ferdane, bien aidée par les compositions fiévreuses de Martel et Fernier, atteint un degré de charisme sexuel assez hallucinant, à faire mouiller les mecs et bander les filles. Sans se forcer elle suscite insidieusement, subtilement, un trouble dans le genre. Elle réintroduit du buccal dans le vocal, de l’organique dans l’impalpable, de l’érogène en zone neutre. Elle donne consistance sensible aux mots, à la syntaxe. Elle sauve ce spectacle du ronron de la linéarité, de la chronologie, qui lisse une vie tout sauf lisse, cloître dans un récit celle qui s’est voulue héroïne diffractée d’un poème rimbaldien.