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Blektre, ou le théâtre désœuvré – L'!NSENSÉ
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Blektre, ou le théâtre désœuvré

Nathalie Quintane, auteur de romans publiés chez POL, adapte le jeu en ligne déjanté Blektre, de Charles Torris. Yves-Noël Genod le met en scène. Surprise hors du commun.


Tous : Vous prenez de l’oursin
Vous avez violé Kucho
Vous avez été fumé par Gore
Vous avez fumé Kucho
Vous vous projetez un extincteur dans la¨gueule
Vous prenez une rouste au Black bar, faute de pouvoir payer vos consos
Vous avez défoncé le copain de Josiane
Vous vous êtes fait déchirer par Kucho, un
soupirant de Josiane
Vous avez été fumé par Kucho dans la rue des voyous
Vous fumez un cône
Vous fumez un cône
Vous fumez un cône
Vous fumez un cône
Vous avez fumé Josiane
Vous avez rendu à Josiane son argent.
Blektre est un jeu en ligne conçu par Erreur, alias Charles Torris. À la manière de Second Life, c’est un jeu interactif de simulation, on y joue à la vraie vie – en pire. Blektre est fait d’une litanie d’actions brutales sur votre mère, les stagiaires de McDo, les fonctionnaires ANPE ou n’importe quel crétin que vous croiseriez par inadvertance dans cette banlieue parisienne durant votre longue quête de Josiane. Erreur navigue entre BD, compositions musicales basées sur des bugs divers, et conceptions de sites qui déjouent les codes de l’art contemporain et du web par des propositions inutiles, idiotes (au sens fort de « singulières ») et le plus souvent cruelles.
Blektre est un texte de théâtre, écrit par Nathalie Quintane. Basé sur le jeu d’Erreur, et calqué sur Grandeur et décadence de la ville de Mahagony de Brecht, il raconte l’histoire vaguement épique d’Alain Wakbar, stagiaire graphiste master of copié-collé qui deviendra bûcheron au Canada si Motherfucker est d’accord – entre autres cas. On y croise une bande d’allumés fainéants qui naviguent à vue entre frustrations, héroïsmes lacunaires et désœuvrement. Comme dans le texte de Brecht, tout est joué d’avance, et on ne suit que les errances, fantasmes sans volonté et désirs sans ambition de ces protagonistes dans un monde où tout se vaut, où toute relation sociale, des entretiens à l’ANPE aux jeux sexuels, est un non-sens. Nathalie Quintane écrit des romans – le dernier, Grand ensemble, vient de paraître chez POL – et parfois du théâtre.
Blektre est un spectacle créé par Yves-Noël Genod à l’occasion du festival ActOral en octobre 2007 à Montévidéo, le centre des écritures contemporaines codirigé par Hubert Colas à Marseille ; puis repris à Paris pour ActOral Paris et Bruxelles pour Charleroi-danse. Sur une scène vaste traînent toutes sortes de vêtements, accessoires de théâtre et objets non identifiés divers. Le texte de Nathalie Quintane a été préalablement enregistré, comme une répétition nonchalante d’une pièce radiophonique, que les acteurs articulent sur scène, plus ou moins en play-back. Ils semblent improviser des séquences, avec les autres ou tout objet à portée de main, c’est selon, se dénudant, enfilant des vêtements au hasard, des masques d’ours ou de monstres, entreprenant des actions scabreuses ou enfantines, mimant plus ou moins les situations du texte, construisant des bribes de scènes. Chaque situation est à la fois ironisée et traversée de mille autres séquences diverses, au gré des objets ou des agencements du moment : l’image de soi et l’image de théâtre ne valent ici pas mieux que les situations sociales ou affectives des personnages du jeu. Finalement, comme ces dernières, les séquences scéniques ne valent que par leur défaite, leur dés-œuvrement, leur capacité à dés-œuvrer, c’est-à-dire aussi bien à défaire ou à dérouter le cynisme et l’autoritarisme larvé que subissent les personnages (ou quiconque dans la « vie active », comme on dit, d’aujourd’hui). C’est ainsi un théâtre au travail, qui cherche ce qu’il pourrait devenir, composant allégrement avec tous les codes de la représentation et du discours qui se proposent à lui. C’est un théâtre tout entier potentiel, offert, et dans le même temps un théâtre du désœuvrement comme puissance nuisible à tout ce qui s’oppose à la vie, à l’imaginaire et à la libre rencontre des corps, des rêves et des idées. Ainsi cette scène théâtrale à l’ironie dégagée ne surenchérit pas ses enjeux et laisse au contraire le spectateur se construire ses propres images ; nulle tentation de mieux dire qu’un autre, nulle propension à énoncer à son tour un discours castrateur : au contraire, mise à disposition de tous d’un matériel brut à investir, tiré d’un regard clairvoyant sur le réel. Avec une légèreté inouïe et heureuse, le regard lucide et cruel de Torris trouve son expression dans la langue féroce et précise de Quintane, et ses images dans le théâtre détaché, ouvert et en apparence désinvolte de Genod : Grandeur et décadence de la vie moderne. Yves-Noël Genod est acteur, auteur et metteur en scène.
Nous publions une rencontre avec les trois auteurs du spectacle, Charles Torris, Nathalie Quintane et Yves-Noël Genod, suivie d’un texte d’Antoine Hummel sur cette création théâtrale hors du commun.


Blektre
de Charles Torris
adaptation écrite : Nathalie Quintane
mise en scène et scénographie : Yves Noël Genod
Jeu (à Bruxelles) : Cecilia I. Bengolea, Érik Billabert, Jonathan Capdevielle, Yves-Noël Genod, Frédéric Gustaedt, Yvonnick Muller, Marlène Saldana, Thomas Scimeca
Installation lumière (à Bruxelles) : Sylvie Mélis
Son : Érik Billabert


Charles Torris – Blektre, donc, à l’origine est un jeu en ligne (qui est gratuit, jouable très simplement en ligne sur le site du jeu) qui se décrit comme une « simulation de la vraie vie », c’est à dire une parodie des vrais jeux d’aventure en établissant un cadre à priori très banal (le quotidien d’un salarié loser) qui subit de nombreuses humiliations, le tout baignant dans une violence amusante (puisque sous forme de « cartoon » ) et d’absurdités en tout genre. Un jeu est censé « idéaliser » une vie, là, c’est plutôt l’inverse. L’idée m’est venue alors que je travaillais moi même dans un bureau, et que j’avais envie de baffer mon patron, donc j’ai créé ce jeu pour pouvoir le faire. Ce thème de l’horreur au bureau est d’ailleurs aussi présent dans « La foi en l’amour », une BD dans laquelle Nathalie a également puisé pour écrire la pièce (avec Alain Wakbar, ainsi que d’autres BD telles que « wrong world », consultez Bd.saucisse ).
Le jeu est en ligne et multijoueurs, c’est à dire que les personnages rencontrés dans le jeu sont des autres joueurs (cela est valable pour tous les personnages clés tels que : votre mère, le patron, les putes, les vendeurs au macdonald’s, les fonctionnaires de l’ANPE …). Le site reçoit environ une quarantaine de connexions par jour.
Le but du jeu est implicitement de réussir à se marier avec un personnage du nom de Josiane (une espèce d’idéal stupide, car Josiane n’est qu’une pouffiasse) il y a donc une rivalité entre joueurs. Il est tout à fait possible (et c’est ce que font la majorité des joueurs) de se contenter de réussir dans la « vie », d’être riche, puissant et de maltraiter les autres joueurs. On peut les fumer, les violer, avoir des enfants avec (d’ailleurs, vous même, en tant que personnage du jeu, êtes probablement issu d’un viol), se refiler le SIDA, se vendre de la drogue, se prostituer, racketer, employer, etc..
Pour résumer, certains ont parfois décrit le jeu Blektre comme « le jeu qui est encore plus déprimant que la vraie vie ». J’aime beaucoup l’interprétation d’Yves–Noël sur les planches car ce sentiment de lose est omniprésent jusque dans la forme. [[PS: le jeu a évolué depuis que la pièce a commencé, il est par ailleurs « bouclé », pour les courageux, il y a une surprise à Ivry.]]


Nathalie Quintane – J’ai lu Blektre (le jeu) comme je lis Descartes : comme un texte littéraire. Je suis à un tel degré de formation, malformation, déformation, que je ne parviens presque plus à lire autrement que littérairement ou littéralement ou littéraritairement. Je ne comprends pas Descartes (Descartes en tant que philosophe – ce que Descartes « a voulu dire ») ; je ne comprends pas plus Blektre (son fonctionnement en tant que jeu). J’ai vu cette série de phrases et je me suis dit : c’est du théâtre. Je connaissais le site de Erreur – surtout ses BD, parmi les plus justes et les plus sombres sur « la vie des jeunes ». Blektre est une extension du monde d’Erreur, qui est un monde, et qu’il fallait « retranscrire » comme tel sous peine de l’amputer. J’ai donc rapidement décidé de tenir compte de l’ensemble (Blektre le jeu + les BD + la musique).
CT – Mes histoires se font principalement à la suite d’un établissement de règles, dans lesquelles je me demande ensuite ce qu’il pourrait bien s’y passer. Je ne sais absolument pas si Nathalie et Yves–Noël ont pensé comme ça en réalisant leurs oeuvres … quoique dans la mise en espace d’Yves–Noël, ça m’y fait penser assez fort, cette façon de barboter dans un univers établi. J’ai toujours principalement agi sous le coup d’un besoin, par exemple celui de rire d’une chose, ou de réécrire pour réinventer un fait passé qui ne me plaisait pas, ou encore acquérir une liberté qui n’existe pas dans la réalité. Ce que je retrouve dans la pièce (d’Yves–Noël plus que celle de Nathalie) est une espèce d’état primitif : scato, inachevé, brouillon, vague, flou, immature, plein de fote d’orthograf, nu, caca, absurde, sans objectif conscient (donc inconscient oui), instable, imprévisible, compulsif, éructant primitif, raté, erroné, à côté de la plaque, des tentatives, attardé… On se sent comme ces très jeunes enfants qui se bavent dessus et jouent avec leurs excréments et dont l’ego est quelque chose (j’imagine) de pas vraiment défini.
Yves-Noël Genod – Olivier Normand parle très bien de ce que nous essayons de faire (à propos de Oh, pas d’femme, pas d’cri, la dernière création de YNG, présentée en juin 2008 à Gennevilliers, ndlr) :
Il produit des effets, invente des choses, mais c’est comme s’il ne voulait pas assumer la responsabilité de leur composition. En apparence, il préfère les laisser flottantes, pariant sur leur capacité propre à trouver chacune leur juste place.
On sait que les pierres ne sont jamais si belles que lorsqu’elles ne sont pas serties. Le bijou – bague, collier, rivière – leur ôte souvent cette
eau qu’on ne connaît que dans le creux de la paume, à la faille des doigts (préciosité de la métaphore). Ici les gemmes aussi sont si peu serties. À l’anneau, à l’alliage, on préfère l’écrin. Ici c’est l’écrin (bien sûr, la boîte noire) qui compose.
Comme d’un coup de dé, secoué. Et de parier sur la capacité des pierres, dans l’écrin remué, à se rencontrer peut–être, et à composer par elles–mêmes, le spectacle de leurs feux secrets, et conjoints.
« Ne pas prendre la responsabilité de la composition », qu’il dit. Ben oui. J’essaie d’être le plus inconscient possible quant à ce que je produis. Ne jamais contrôler le sens. Transmettre au public, au spectateur ce qui n’est pas achevé, ce qui n’a pas (encore) de sens (et déjouer l’attente, chez le spectateur, par différentes techniques, prise de vitesse). Paraît que le cerveau humain est programmé pour faire du sens, de toute façon. Tout ça, dans mon cas, vient de Duras plus encore que de Régy et Tanguy (ces deux–là pour l’artisanat) [et avec qui YNG a travaillé comme acteur, ndlr] : laisser le lecteur écrire le livre, laisser le spectateur faire le spectacle à partir de la contemplation de son propre monde intérieur. Je ne sais pas par quel mystère (le seul mystère du théâtre, d’ailleurs) : Que ça se fasse chez lui. Au risque d’accepter aussi la production de « monstres », de contresens complets, inversion. Rien n’ayant eu lieu, au final, que le lieu (comme l’a repéré Olivier). Me revient aussi un bout de poème de Guillaume IX, duc d’Aquitaine , que cite souvent Pierre Soulage :
Ferai un vers sur le rien :
Ne sera sur moi ni autre gens,
Ne sera sur amour ni sur jeunesse
Ni sur autre chose ;
Je l’ai trouvé en dormant
Sur mon cheval.
(…)
J’ai fait ces vers, ne sais sur quoi ;
Et les transmettrai à celui
Qui les transmettra à un autre
Là–bas vers l’Anjou,
Pour qu’il me fasse parvenir, de son étui
La contre–clé.
Enfin, mais ça n’a peut–être pas de rapport (« Ici il faudrait peut–être une autre question. », comme disait Duras), je suis tombé récemment sur un extrait de biographie de Coco Chanel, belle salope raciste par ailleurs, qui aux journalistes qui lui demandaient comment serait sa nouvelle collection quand elle s’était mise à recommencer dans les années 50, répondait : « Comment voulez–vous que je le sache ? Je fais mes robes sur les mannequins. » Moi aussi, je fais, littéralement, mes spectacles sur les comédiens et j’ose souvent rêver qu’il s’agit là uniquement de haute–couture (« La dernière mode » de Mallarmé). Tout ce que je raconte là, c’est banalité sur banalité, dans un certain courant de l’art en tout cas, c’est très répandu, cette manière de faire. Malheureusement pour moi, cette manière de faire qui, dans mon cas, est obligatoire parce que si ce n’est pas le cas, pour moi, ce n’est pas de l’art (–isanat) est totalement et naïvement inconnue chez les fonctionnaires du ministère ou les programmateurs. Là, il ne faut au contraire que tout définir d’avance, ou faire semblant, ce qui est pire !
EV – Dans la présentation du spectacle, il est fait référence à Brecht, notamment à Grandeur et décadence de la ville de Mahagony. Et c’est vrai qu’il y a quelque chose de brechtien dans cette création : Par la matière traitée tirée du monde actuel, qui est rendue à la fois familière et surprenante et qui est traitée de façon épique, comme un conte plutôt qu’un drame ; ou les procédés de distanciation qui interdisent toute identification – l’utilisation des masques (d’ours, de monstres etc.), toute la pièce donnée en play-back, enregistrée auparavant et vaguement articulée par les acteurs sur scène, par exemple, ou cette diction nonchalante, à peine articulée, comme s’il ne s’agissait que d’une répétition de théâtre fatiguée ; ou encore les scènes reprises et plus ou moins commentées, l’annonce des actes, les interventions d’une sorte de metteur en scène qui commentait ce que faisaient les acteurs en leur demandant d’être le plus nul possible, parce que c’est ça qui est bien, et celles d’Yves-Noël lui-même, qui intervenait de temps en temps sur scène en parlant à voix basse avec un acteur, ou en déplaçant un objet sans raison apparente, avant de retourner en salle… Quelle place a eu la référence à Brecht dans la préparation du spectacle ?
NQ – Brecht m’est venu comme les moulins et les tulipes sont venus à Hitchcock quand il a pensé situer son film en Hollande. Théâtre = Brecht = reprise à la lettre ou presque de la construction de Mahagony (qui permet de placer de manière très rigoureuse des éléments complètement disparates – BD, musique, jeu, etc pour Erreur) = construction classique moderne, qui était faite pour qu’on la défasse – Brecht, c’est le gant chirurgical qu’Yves–Noël a enfilé pour pouvoir enfiler Erreur – c’est ce gant–là que j’ai essayé de préparer. De la pièce de Brecht, j’ai tout gardé : la brièveté, l’alternance dialogues/chansons, l’argument (des types arrivistes qui veulent fonder une cité, faire du commerce, une catastrophe évitée in extremis, etc), l’ambiguïté même du propos, les tableaux, la pancarte qui résume ou représente + des allusions à Brecht lui–même (une citation détournée, par ex). Le livre était ouvert à côté de l’ordi, et je suivais au fur et à mesure, hop là, quand Brecht change de scène, je change de scène – j’ai bossé de la même manière pour Cavale (paru aux éditions POL en 2006, ndlr) : le guide Michelin Picardie me fournissait le parcours du héro (veuillez respecter l’orhtographe, merci).
J’ai tout gardé comme je voulais (aurais voulu) tout garder du monde d’Erreur, quel que soit le medium utilisé. C’est tracé au cordeau comme un jardin ouvrier, il n’y a rien qui dépasse – d’ailleurs, c’est bien simple, je me suis dit : pour les gars du théâtre, vaut mieux qu’y ait rien qui dépasse, bien rasé sur les côtés mon lieutenant (je n’avais pas tout à fait tort, puisque le texte a eu l’aide à l’écriture du Centre National du Théâtre…). Je rappelle au passage que toute cette magnifique aventure est le produit d’un pari stupide entre Hummel, Erreur et moi, pari qu’on peut résumer en une formule : Blektre à Avignon ! (dans le in, évidemment, et si possible dans la cour d’honneur). Mais la plupart de mes livres sont le produit d’un pari ou d’une blague. C’est cela qui leur confère leur gravité (je parle sérieusement).
Dans un travail comme celui–ci, il y a ainsi conjonction d’un héritage vertical traditionnel (on rend hommage aux maîtres) et de l’héritage horizontal fort pratiqué de nos jours (on « prélève », pour le dire pudiquement) – c’est ni plus ni moins ce que faisait Picasso, par exemple (il dit quelque part qu’il a hérité de ses amis, de Braque et de Matisse) ; or les styles cœxistent, sur les toiles de Picasso : c’est cubiste en haut à gauche, fauve en bas à droite, néo–classique au milieu, etc. Ce que je veux dire, c’est que c’est un procédé moderne (ce, pour éviter qu’on me bassine avec le post–modernisme). Il fallait absolument quelqu’un comme Genod ensuite, quelqu’un qui puisse mettre des poils dans tout ça – j’avais une frousse terrible de tomber sur quelqu’un qui transformerait la pièce en attraction pour le parc Astérix ; alors, quand Hubert Colas m’a parlé d’Yves–Noël pour une « mise en espace » de Blektre, j’ai été soulagée.
YNG – Finalement, c’est ce qui était bien, avec Blektre : on n’était pas chez les autres. Chacun chez soi. Chacun traite sa part à sa manière. Peut–être que ça ressort un peu d’une tentative de destruction de ce que fait l’autre (si tu veux de la psychologie). Ça me rappelle encore Duras (ma seule école, finalement) qui parlait un soir d’une mise en scène comme d’une tentative de destruction d’un texte, elle trouvait ça bien, mais comme le texte n’était pas assez fort, il n’y résistait pas (disait–elle). Ici, ce qui est chouette, c’est que ça résiste ! Ça résiste à toute tentative de moulinage. Ça ne faillit pas.
En fait, pour moi, tout travail, c’est juste : être libre. Bon. Là, la liberté a été trouvée pour moi dès que Nathalie m’a dit, comme elle le raconte, que c’était à la suite d’une vilaine sensation d’une soirée avignonnaise qu’ils s’étaient tous dit dans la voiture : l’année prochaine on fait tout péter, les ambitieux. Ce qui me laissait illico toute latitude pour, moi aussi, avec mes pauvres moyens, tout péter irrespectueusement. Et la magie – comme je dis aux acteurs dans le spectacle : « Vaut mieux être bête qu’intelligent. » – la magie c’est que ça tient le coup, je trouve, quelque chose existe de Charles et de Nathalie dans ce spectacle rapide (et de Bertold, si tu veux, moi, j’men fous un peu : j’ai juste lu Mahagony du coup. Bertold Brecht, c’est quelqu’un que j’admire parce qu’il aimait bien baiser, paraît–il, un peu comme Jean–Paul Sartre – ou Albert Camus (je pense que c’est tout ce qu’on retiendra d’eux, finalement, dans les siècles des siècles). Si c’était vraiment réussi, ce travail, certaines représentations de ce travail – mais ça, c’est pas à nous de le dire – quelque chose existerait qui n’appartiendrait ni aux uns ni aux autres. Mais ça, je n’sais pas, parce que ça, c’est beaucoup plus difficile à réaliser… C’est rare ! C’est là qu’entre en jeu la métaphysique. On est prêt pour, en tout cas, on est prêt, mais, ça… mais ça… faut des moyens – très peu, d’ailleurs.
Discussion par mail en juillet 2008
Photos : Sylvain Couzinet-Jacques et Marc Domage
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