Cet amour-là, ce temps-ci
Salle Roquille, Festival OFF d’Avignon 2018
Cet amour-là se joue à la Salle Roquille à 15h pendant le festival off d’Avignon. Un texte de Yann Andréa sur sa rencontre, son amour et sa vie avec Marguerite Duras. Simple, sensible, vrai… et qui nous rappelle notre devoir de lire tout Duras.
Ces temps-ci
Nous oublions vite que ce festival ne représente pas la totalité du champ théâtral et de ses productions, tellement que le marché se dit d’avoir tout. 1000 spectacles, mille émotions voudrait plus ou moins dire qu’il n’y en a pas d’autres. À part que ce soit le 1001ème qui change la donne ?
Mais il faut jamais cesser de se rappeler les conditions de travail pour participer à ce festival et nous sommes alors devant la preuve la plus manifeste ce que la libéralisation de la culture et de tous les autres champs à de destructeur tant sur la qualité du travail, que sur la diversité des formes. Temps de montage, nombre de créneaux, coût de la location de la salle, coût de l’hébergement font en sorte qu’il faut réduire la scénographie, le nombre d’acteurs, les lumières… Pour nombreuses compagnies, Avignon est un énorme risque économique. Quand la salle n’est pas pleine, c’est le déficit qui se creuse. Alors que l’histoire du théâtre s’est écrit avec ce qui étaient souvent un moment des salles vides.
À la Salle Roquille, on tente de faire un peu différemment. Moins de spectacles et un « cadre préservé, serein et respectueux de l’acte artistique ». On comprends donc qu’on demande à la presse de participer financièrement. « Nous proposons aux pros un tarif à 8 euros. Est-ce que cela vous dérange ? » Cela ne peut me déranger, mais cela pose la question comment faire dès lors qu’il n’y ait plus d’argent non plus pour la presse, en tout cas, pas la nôtre. Là aussi c’est le marché. Qui paie donc ? Et nous voyons là que bientôt pourront faire seuls les riches ce qu’ils désirent. Les autres, gagnez votre pain et déguerpissez ! Service publique, patrimoine de celles et ceux qui n’en ont pas.
Cet amour-là
Cet amour-là est cet amour qui frappe avec une évidence certaine, miraculeux hasard de la vie. Que ce soit une femme ou un livre, une auteure. Tout à coup, elle est là, l’autre. Et on se regarde. Deux enfants face à face. « Elle a 100 ans, et 10 000 ans. Mais aussi 15 ans. » C’est ce temps hors du temps. Ou c’est le temps. Écrire. Yann Andréa aura écrit pendant cinq ans à Marguerite Duras. Sans réponse. Il ne fait rien d’autre. Il boit et il écrit. Puis arrive un livre qu’il aime moins. Il cesse d’écrire. Elle renvoie des livres. Il recommence à écrire. Ils se voient et il l’accompagne le reste de sa vie. C’est une histoire, comme Duras aurait pu écrire peut-être, ou en a en effet écrit. Et c’est raconté ici à nouveau, toujours la même et toujours étonnante comme l’événement lui-même lors qu’il se produit.
Cet amour-là est dit ici par Thomas Sacksick avec une simplicité et une douceur que nous ne voyons plus que rarement au théâtre. Trop souvent s’agit-il de démontrer ses capacités musculaires et non pas une sensibilité vraie. Avec cette sincérité à l’œuvre, nous oublions nos questions sur la pertinence du tabouret métallique, du tiroir, du costume et des lumières. Nous oublions notre fixation sur ses mains qui veulent peut-être trop dire, à moins que ce ne soit les mains qui au théâtre n’écrivent plus et deviennent des sortes de membres superflues, délaissées. Que pourrait-elle faire, la Compagnie Littérature à Voix Haute avec les mains qui sont à la source de ces mots ?
Sinon, Thomas Sacksick a cette humilité de rien nous imposer et cette nécessité à nous faire entendre ce texte. Comme Yann Andréa, après avoir été mis dehors par Marguerite Duras, qui a jeté sa valise dans la rue en disant qu’elle ne le supportait plus, comme Yann Andréa, qui revient le lendemain et qui étonne Marguerite Duras : Quel genre d’homme es-tu d’avoir si peu de fierté ?, comme Yann Andréa, Thomas Sacksick revient avec cette tranquillité vers nous pour nous raconter toute cette histoire, cette tranquillité que seule une nécessité intime et profonde nous peut garantir.
Sérénité qui importe beaucoup dans ce monde où on veut nous vendre du théâtre dynamique, énergétique et drôle. Sérénité qui est peut-être en lien direct avec le travail sur les mots. Écrire et savoir que par là on participe à une aventure qui nous dépasse. Comme il dit : trouver d’autres mots, des mots à l’écart, pour dire autre chose et l’espace, ce néant qui s’ouvre, se tenant dans la vérité… quelle vérité ? Allez savoir.
Enfin, l’envie de lire et relire Duras. Cet amour était sensible et peut-être est-ce contaminant…