Collage numérique
Étant donnée est une création collective autour de l’auteur Cécile Portier, contenant une exposition, un jeu interactif et une performance multimédia. La pièce est présenté du 8 au 15 juillet 2013 à la Chartreuse, dans le cadre du 67e Festival d’Avignon. En s’en servant des outils numériques ainsi que de l’installation et de la langue parlée, les artistes interrogent les extentions de la présence humaine à l’état actuel. L’espace numérique est devenu essentiel pour nos vies quotidiennes et professionelles, mais « y a-t-il quelqu’un »?
Céramique, lumière, un crâne d’animal, tissu, fil, métal, bois, lumière, des ailes d’oiseau, des aigus. Voilà quelques matériaux qui forment les objets exposés dans une petite salle à la Chartreuse. C’est une exposition de Alexandra Loewe. La femme nue sur un tableau est privée de son visage. On a attaché des fils à une robe qui est pendu sur le mur, les fils se perdent sur le sol de la salle. Des énormes ciseaux semblent avoir coupé des ailes d’oiseau, cousus sur des petits coussins. Tout est fragmenté. On peut imaginer des objets intègres, fantastiques. Dispersées comme ça ils sont dérangeantes mais laissent place à l’imagination.
On nous appelle pour entrer dans la salle de représentation. On passe par une autre petite salle, là il se trouvent sur des tables quelques puzzles. Je m’approche pour voir l’image représenté sur les pièces que quelqu’un a déjà mis en ordre : ce sont des photographies de visages. Mais des pièces de différentes visages forment un ensemble, les spectateurs les ont composés comme ils voulaient. Ce sont des portraits en (dé-)construction permanente.
Dans la troisième salle le fonds de scène est formé par des tissus blanc qui pendent à différentes distances du public. Ce sont des rideaux que les deux comédiennes et créatrices de Étant donnée continueront à ouvrir et à fermer pendant la pièce. Ils serviront à cacher et à dévoiler les deux personnes, ainsi que comme fonds pour des projections d’images. Plus concrètement la projection de l’écran d’un ordinateur où s’ouvreront et fermeront des fenêtres pour montrer des films, des graphiques digitales, un programme pour la construction de figures animées, le bureau avec des différentes fichiers… La scénographie interagisse ainsi avec le mouvement et les paroles des deux femmes. L’ensemble fait penser aux couches dans un programme de retouche image. C’est une collage à moitié digitale et quand même vivante, car elle est traversé et manipulé par des personnes.
Les travaux littéraires de Cécile Portier sont publiés entre autre dans son blog (Petiteracine.net), et aussi les collaborateurs pour le projet Étant donnée travaillent dans l’espace numérique : graphisme, vidéo, son… Ils se sont réunis pour interroger cet espace qui est devenu inséparable de nos vies, car ne pas seulement notre travail se produit là dedans mais aussi notre personnalité s’en inscrit et tous ces activités laissent des traces.
Un jour j’ai fait la connaissance d’une dame qui a fondé sa propre entreprise selon une urgence actuelle : elle s’occupe de l’élimination de ces traces numériques, laissés par des personnes après leur mort. C’est facile, voir nécessaire, d’exister dans l’espace numérique. De y faire des transactions, des échanges d’information, de créer des profils dans des réseaux sociaux, de chercher et de trouver des sources d’information, de créer une plat-forme de présentation de son travail, de suivre ce que font les autres personnes, entreprises, nations. On apprend faire des pas et s’orienter comme on le fait physiquement quand on est enfant. Mais la morte physique est beaucoup plus radicale. L’existence physique s’éteint d’un coup, le profil numérique doit être supprimé. J’imagine l’espace numérique comme une zone peuplé par des avatars et des sortes d’âmes digitales abandonnées.
Même si tous les collaborateurs de Étant donnée ont une pratique professionnelle qui se positionne et interroge l’espace numérique, on a l’impression que le spectacle transpire une sorte de mélancolie. Quelque chose comme une inquiétude de perdre l’intégralité personnelle, peut-être celle de l’âme, en se bougeant dans la virtualité, comme si les traces laissés là seraient des pièces coupées et mortes.
« Peut on capturer la présence ? » demande une des comédiennes, illuminé par la lumière froide d’un iPad sur lequel elle lit son texte. La question de l’intégralité et la fragmentation de la propre personne est une question qui interroge, c’est vrai. Autant plus aujourd’hui car notre présence n’est plus limité à notre corps mais capable, en manière virtuelle, de voyager par des satellites et d’observer et se faire entendre aux lieux les plus lointains. Malheureusement le spectacle Étant donné, même en s’en servant des outils numériques et de la langue parlée, ne rajoute pas quelque chose à l’expérience que le spectateur à déjà pu avoir en visitant attentivement l’exposition de Alexandra Loewe. « La question est: y a-t-il quelqu’un ? » demande la comédienne. J’ai envie de répondre avec une phrase que j’ai lu dans le programme du 67e Festival d’Avignon pour Rausch de Falk Richter : « (…) à l’heure d’une crise omniprésente, (…) avec des moyens de communication offrant de nouveaux réseaux sociaux et affectifs. Il n’est plus temps d’avoir peur du changement, mais d’imaginer d’autres formes d’être ensemble. »