Comment tomber dans l’angoisse?
—–
La Nuit Tombe une fois de plus sur le festival d’Avignon en ce 11 Juillet, il est 22h. Sous les voûtes fraiches de la Chapelle des Pénitents Blancs, contrastant avec la chaleur écrasante de cette après-midi, Guillaume Vincent nous livre sa première création en tant qu’auteur, La nuit tombe… Le choix de la Chapelle du Pénitent Blanc, salle limitée en nombre de places, environ une centaine de sièges, n’est pas un choix opéré par hasard. Nous voici confinés entre deux arcades. Les projecteurs sont éteints. Nous prenons place dans l’obscurité. Face à nous, sur scène, une grande fenêtre. Par derrière, la nuit est évoquée sur grand écran couvrant ainsi toute la surface du fond de la scène. De nombreux nuages gris traversent l’écran dans un rythme lent et ce de manière constante … En fond sonore, le bruissement du vent, qui se ressent sur la scène par l’ondulation silencieuse des rideaux. Un lit, une chaise, un miroir, un canapé, deux portes placées au fond de la scène, le silence dans la salle… Et l’histoire commence… Ou plutôt trois histoires, qui se croisent et s’imbriquent dans une trame dramatique reliant les personnages entre eux et plus subtilement des objets. Susann, Wolfgang et deux sœurs se partagent la chambre et pourtant ne se connaissent pas. Des temporalités différentes se construisent et des situations des plus imprévues se déroulent. Leurs psychologies respectives se révèlent en toute intimité, laissant place à l’ironie en même temps que l’effroi. A la manière de Barton Fink des frères Cohen, la chambre d’hôtel devient le lieu de tous les possibles. Guillaume Vincent signe ici un renouveau dans la mise en scène en s’inspirant de traditions littéraires françaises évoquant la psychologie et l’imaginaire, mais se nourrissant également d’œuvres théâtrales étrangères et surtout cinématographies. Une simple chambre d’hôtel. Un plongeon à mi-chemin entre des tranches de vie presque ordinaires et des univers nous troublant les frontières du réel.
Des influences différentes à la croisée de l’imaginaire
La sensibilité acquise par le jeune auteur Guillaume Vincent pour des univers fantastiques faisant côtoyer ses personnages à la mort, à la temporalité et à la psychologie, s’est construite au fil de sa formation en théâtre et cinéma. Nourris au conservatoire par des auteurs tels que Marivaux, Proust ou Shakespeare, il débutera dans le théâtre par de la mise en scène avec « La Double inconstance » de Marivaux crée au cours de ses études. Parallèlement il montera sur les planches sous la direction d’Hubert Colas. Il s’intéressera particulièrement aux contes d’Andersen, un univers empreint de poésies et de féerie dans des thèmes évoquant la vie et la mort, la relation mère et enfant. Des cinéastes comme Bresson, Fassbinder l’amèneront à explorer la psychologie des personnages et la mise en scène cinématographique. Au Théâtre National de Strasbourg, en 2002, sa mise en scène de l’œuvre de Virginia Woolf « Les vagues » lui ouvriront de nouvelles voies d’investigation : « La sensation, un semblant de rapport direct avec l’inconscient »[1]. La création de la compagnie MidiMinuit l’amène à s’entourer d’une équipe, et plus particulièrement d’amis. Citons Nicolas Maury, qui joue ici le rôle de Wolfang et Marien Stoufflet ayant signée la dramaturgie de La nuit tombe… Avec d’eux, il explore des textes plus contemporains et s’ouvre à de nouveaux horizons littéraires et théâtraux. Il mettra en scène deux mises en scènes de Jean-Luc Lagarce : « Nous les Héros » qui fait référence au Journal de Kafka et « Histoire d’Amour », une trilogie intimiste à travers le temps. Fervent admirateur des deux polonais Krystian Lupa et Tadeusz Kantor, il s’inspirera de leur univers par l’évocation dans sa pièce de spectres et de la perception du temps… Nous pouvons évoquer également les lectures des sonates des spectres de Strinberg … En amont, les huit comédiens Francesco Calabrese, Emilie Incert Formentini, Florence Janas, Pauline Lorillard, Nicolas Maury, et Susann Vogel ont réfléchi ardemment sur des interprétations où ils se sentaient le plus à l’aise, notamment par des improvisations de leurs rôles. Plus qu’une nécessité pour Guillaume Vincent « Seul compte la relation entre l’acteur et le rôle »[2]. Ainsi, la pièce s’est co-construite avec l’ensemble de la compagnie et a induit de nombreuses transformations entre le texte édité [3] et la pièce présentée durant cette semaine en Avignon.
Un scénario construit en puzzle
La première histoire est racontée à rebours, nous faisans ainsi reculer dans le temps. Première scène, Susann entre, son enfant dans les bras. « Tu vis dans un monde qui n’existe pas ». Ces premiers mots susurrés à l’oreille de l’enfant nous posent d’emblée le scénario incertain qui s’en suivra tout au long de la pièce. La petite fille, installée sur le lit, recroquevillée, semble vivante et morte. Lorsqu’elle la reprend dans les bras, on se demande si elle est vivante. L’accent est mis sur cette ambigüité du personnage, à savoir si c’est une petite fille réelle ou une marionnette. Le jeu de lumière obscur opéré par Niko Joubert nous laisse dans cette incertitude, nous empêchant ainsi de visualiser en détail les traits de cette petite fille et de savoir si c’est une vrai petite fille. Dans la second scène, elle est représentée enceinte, auprès de son amant Mitya, que nous ne verrons d’ailleurs jamais, fumant un pétard, et répliquant des discours vulgaires et agressifs à son encontre. Dans la scène suivante, Susann n’a pas de bébé dans le ventre mais rêve d’amour, croyant l’avoir trouvé… La particularité de la scénographie se situe dans ce que Guillaume Vincent souhaite nous montrer ou nous cacher. Nous n’entendons par exemple que la voix de Mitya, calfeutrée derrière le rideau de la douche de la salle de bain, placée au fond de la scène. Cette salle de bain, où s’enchainent des scènes d’horreur et de mystères. L’eau du bain de la petite fille déborde, les cris de la mère l’accompagnent, elle se rue dans la salle de bains. Elle semble noyée seulement nous n’en avons pas la certitude car son corps ne nous est pas montré… Guillaume Vincent fait ici le choix de nous induire dans l’incertitude en ne nous montrant que des bouts, des débuts d’actions. Ces univers font résonner les films d’horreur comme Psychose.
Dés lors que Susann découvre sa petite fille dans la salle de bain, elle disparaît brutalement et surgit à sa place le jeune Wolfgang. Le téléphone de Susann sonne, il répond. Ainsi des éléments propres à chacun des personnages sont utilisés par les autres personnages dans les scènes suivantes. Le coup de fil lui est adressé. Au bout de la ligne, une personne qu’il ne connaît pas le questionne sur des actes répréhensibles qu’il aurait pu commettre. Il prend peur. Puis des événements surnaturels, voire fantômatiques se passent. La porte de la salle de bain claque toute seule. Il se retrouve enfermé à clé dans la chambre d’hôtel. Il représente certainement le personnage le plus complexe de la pièce. Il est représenté dans une temporalité complexe faite de bonds dans le passé, le présent et le futur. On le voit tantôt jeune adulte, tantôt enfant. Par ailleurs, il passe du rêve à la réalité d’une seconde à l’autre. Son frère mort, l’entraine dans des suspicions, des traversées vers l’au-delà. Sa mère participe à cet élan. Le fantôme du frère est ici perceptible, il est évoqué à la fin de la pièce sous la forme d’une marionnette. Wolfgang aura d’ailleurs le destin le plus tragique de la pièce. Il finira pendu à un crochet de la salle de bain sous nos yeux. Une vue difficilement supportable pour certains spectateurs qui préféreront quitter la salle.
La troisième et dernière histoire est beaucoup plus linéaire. Deux demi-sœurs arrivent dans cette même chambre d’hôtel, pour le mariage de leur père. Une est gourmande, pleine de vie, et a pour souhait le plus cher de tomber enceinte. L’autre est maigrichonne, pensive, associant souvent la mort à son quotidien. Son discours fait transparaitre du dégoût de soi. Elle n’aime visiblement pas ce qu’elle représente. Leur psychologie est également mise à rude épreuve. L’une affrontera la dure réalité d’un mariage paternelle ratée et d’une famille éclatée tandis que l’autre sera confrontée à un amour passionnel dont elle ne saisit pas le sens, ni le devenir étant convaincue qu’elle est « pourrie » en elle.
Des résonnances se font entre les histoires. La sœur maigrichonne de la troisième histoire devient Suzann. Wolgang complote avec la mariée du père des deux sœurs. Par ailleurs leurs accessoires de scène se mutualisent et servent à l’un ou l’autre, dans des objectifs différents. Les trois histoires ont des narrations finalement très simples et un langage actuel. L’attitude de certains personnages est caricaturale, ce qui contraste avec les tableaux sombres et angoissants installés dans chacune des scènes. Guillaume Vincent opte ici pour un « théâtre de situation » tel qu’il le nomme plus que d’un théâtre qui exalterait les langues. Ceci en plaçant particulièrement la psychologie des personnages au cœur de la dramaturgie.
Les personnages interprètent leurs rôles en différents langues : le français, l’allemand, le russe et l’italien. Ainsi cette chambre d’hôtel symbolise un lieu de passage, où se succèdent les personnes et les origines. Elle peut aussi bien se trouver en Russie, qu’en France. Elle peut aussi bien être en campagne qu’en ville. Dans chacune des scènes, des bruits extérieurs à la chambre viennent évoqués un lieu différent: Avions de guerre, bruit de foules, manifestations violentes. Le spectateur peut alors s’imaginer que la scène se passe en plein centre ville dans des mouvements révolutionnaires. Puis, de la neige tombe par derrière les fenêtres, sous un ciel noir et vide d’immeubles et de construction. On imagine d’avantage que l’hôtel se situe en campagne, éloigné du paysage urbain. Des sons particuliers et plus reposant aussi apparaissent : des chants oiseaux, une musique de mariage… Autant d’antithèses qui renforcent un climat d’incertitude et d’imprévus. Cette ouverture spacio-temporelle dote la pièce d’univers similaires aux contes d’Andersen. Au travers de la fenêtre, les paysages se succèdent passant du lumineux à l’étoilé, à l’obscurité simple de la nuit.
Des costumes simples à l’exagération, des bruits que nous n’entendons pas habituellement dans des chambres d’hôtel … La mise en scène est aussi subtile que le texte. Il peut – être préférable de lire le texte en amont pour aller au delà de cette narration Puzzle et ainsi d’observer avec plus d’attention la mise en scène inventive qui nous ait proposé ici.
Du 10 au 18 Juillet à 17h et 22h, le 14 à 17h et 23h
Chapelle des Pénitents Blancs – Durée : 1h55
[1] Interview réalisée par Emmanuelle Bouchez, Télérama n°3260
[2] Interview réalisée par Emmanuelle Bouchez, Télérama, n°3260
[3] La nuit tombe…, Vincent Guillaume, Editions Actes Sud, 2012