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Décris/Ravage, du doute et du peut-être – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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Décris/Ravage, du doute et du peut-être

Cette proposition s’inscrit dans les 40èmes rencontres d’été de la Chartreuse comme les créations « Regards » et « Étant donné », des deux autres artistes Séverine Fontaine et Cécile Portier que nous avons pu voir pendant ce 67ème Festival d’Avignon. (Cf les articles de Linda Sepp : « Exposition humaine » et « Collage Numérique »). « Décris / Ravage » est un projet amorcé par Adeline Rosenstein en 2009, autour du territoire de la Palestine et autour de l’histoire de cette terre. La question de la Palestine est au cœur des préoccupations d’Adeline Rosenstein qui a collecté depuis 4 ans des témoignages d’artistes occidentaux de générations différentes qui ont vécu, voyagé en Israël ou en Palestine. La metteure en scène et comédienne avec l’aide de Léa Drouet et Céline Ohrel s’appuie aussi sur des extraits de pièces de théâtre historique écrites en arabe et traitant des événements de cette région. C’est pour Adeline Rosenstein : « le meilleur moyen de faire place à une perspective non-européaniste du conflit ». Après avoir été en résidence à la Chartreuse en mars et avril 2012, Adeline Rosenstein propose ce projet qui se situe dans la veine du théâtre documentaire. « Décris / Ravage » est un premier volet composé de trois épisodes sur treize qui retrace l’histoire de la Palestine des guerres napoléoniennes au début du XXème siècle. Les témoignages comme les écrits viennent ponctuer la trame historique et donne des ressentis partiels d’horizons divers de la naissance de l’état d’Israël en 1948 à la première intifada en 1987.
Pour arriver dans la salle des 25 toises, nous traversons trois espaces, trois « tunnels ». Une traversée où le sol en bois fait place au sable puis aux pavés. Dans cet espace intermédiaire formé de parterres différents, l’écho de nos paroles résonne. Différents espaces qui n’en forment qu’un comme déjà la question des territoires présentes dans notre marche vers l’espace de représentation. L’accueil dans la salle est pris en charge par l’équipe de création qui, au vu du nombre limité de spectateurs, a installé des chaises au premier rang. Elles (Adeline Rosenstein, Léa Drouet, Céline Ohrel, Julia Strutz) nous invitent à les utiliser, assurant ainsi notre confort pour cette représentation particulière et privilégiée. L’espace scénographique est installé pendant notre arrivée. Il y a sur scène des chaises en plastique sombre, des chaises de salle des fêtes, les mêmes que celles sur lesquelles nous sommes assis. Des portes « blanc cassé » sont positionnées verticalement contre le mur du fond. La lumière est déjà là.
Adeline est la conférencière et nous interpelle derrière son pupitre dirigeant ainsi la représentation. Elle commence en guise de prologue par deux histoires tirées des interviews qu’elle a faites. L’histoire d’un caneton mourant et orphelin trouvé par des adolescents en voyage scolaire en Israël et ramené dans l’avion et l’histoire d’une plasticienne qui s’enferme dans des poubelles israéliennes pour dénoncer la manière dont les territoires palestiniens servent de dépotoirs et de décharges aux détritus d’Israël. Après ces prologues où la mise en place du discours peut orienter le parti pris de l’équipe de création sur cette question de la Palestine, Adeline commence l’épisode 1. Elle commence par narrer les guerres napoléoniennes en Égypte et au Proche-Orient. La complexité pour l’empire français de comprendre les multiples gouvernances locales. Elle fait un parallèle entre la volonté de la Napoléon d’organiser sur le modèle français les territoires annexés et l’empire ottoman qui s’étendais jusqu’en Judée et qui avait réussi cette expansion en conservant les us et coutumes locaux. Cette inscription dans l’histoire de la question de la Palestine met à distance. Mais cette mise à distance est renforcée par Léa Drouet et Céline Ohrel qui analysent le rapport complexe qu’on peut entretenir à l’histoire et aux témoignages.
Sur un modèle didactique, elles nous expliquent le complexe cheminement du témoignage à l’analyse historique d’une situation. Un événement historique advient, on recueille les témoignages de personnes ayant vécu cet événement. Un jugement subjectif s’affirme. Ensuite quelques années après, il y a un retour sur cet événement, un feed-back, pour le comprendre, pour l’analyser au regard des différents témoignages de l’époque et au regard de la situation dans laquelle s’inscrit ce feed-back. Ensuite, un demi-siècle après l’évènement, des archives sont disponibles. L’analyse critique de cet événement commence. Mais cette analyse est toujours inscrite dans une époque et dans un contexte.
S’ajoute à cette mise à distance, le recul affirmé autour des notions et des mots. Les mots dans leur utilisation se modifient au cours du temps et nous sommes donc en présence d’une tentative d’analyse critique d’un événement à partir de mots qui à l’époque de l’événement n’avait pas tout à fait la même portée ou la même définition « inconsciente ». Mais pour autant, ça n’empêche pas le projet « Décris/Ravage » de continuer à se déployer. En effet, la mise en garde sur les difficultés de parler, d’analyser, d’être objectif autour d’un événement n’exclut pas la nécessité de le faire. La parole, c’est encore même si elle est incomplète de nature, la plus efficace tentative de lien, de dialogue. Le langage devient, dans la mesure où il est appréhender comme un espace incomplet et un espace d’incertitude, le possible espace des conflits pacifistes.
On se rappellera cette phrase à la fin du film « Rois et Reine » de Desplechin : « Il faut toujours prévoir que évidemment on a raison mais que c’est toujours possible qu’on est un peu tord en plus, sans s’en rendre compte. Avoir un peu tord, c’est une très bonne nouvelle, ça veut dire qu’on a déjà pas toute la solution (…) ».
Ce recul porté sur le langage et ses trous est aussi une façon d’entretenir une distance sur le processus de construction et de création de « Décris/Ravage ». Cette distance est renforcée par l’absence d’image. Aucune iconographie qui viendrait se soustraire à la parole, qui illustrerait un propos l’enfermant du même coup. Seuls des mouchoirs en papier humides, jetés en boules contre les portes servent d’appui de jeu pour expliquer une date, une carte ou un événement dans cette histoire tourmentée et complexe de la Judée. Adeline Rosenstein définit sa place comme une modératrice. Elle imagine « Décris/Ravage », comme : « une histoire sobre de la Palestine/ Israël/Terre Sainte, à l’usage de mes amis de la profession qui ont déserté ce sujet sans trop savoir pourquoi. À chaque épisode, je fais alterner témoignages occidentaux, récits d’historiens, citations de dramaturges arabes et j’assure la modération. C’est là tout l’enjeu pour moi et c’est nouveau : la modération. »
Dans « Décris / Ravage », l’équipe de création met en place un espace où coexistent une prise de parole et une réflexion sur cette prise de parole. Un retour sur soi et sur ses convictions qui fait place à l’intelligence de l’incertitude, du doute et du peut-être.
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