Cette page requiert que JavaScript soit activé pour fonctionner correctement. / This web page requires JavaScript to be enabled.

JavaScript is an object-oriented computer programming language commonly used to create interactive effects within web browsers.

How to enable JavaScript?

Des suffrages au naufrage démocratique – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
illustration article

Des suffrages au naufrage démocratique

6 juillet 2016, le festival d’Avignon débute dans le calme. À Paris, les frondeurs du parti du gouvernement ne réunissent pas les 58 signataires pour proposer une motion de censure. À l’assemblée nationale La loi travail passe avec le 49.3. Tout est calme pour ce 70 ème festival que son directeur Olivier Py veut poétique et littéraire contre la politique désespérante. Ceux qui errent ne se trompent pas de Kevin Keiss et Maëlle Poesy à partir de La lucidité de José Saramago est une proposition théâtrale qui s’inscrit dans cette ligne éditoriale. C’est à 15h au théâtre Benoit XII jusqu’au 10 juillet.

160704_rdl_0189_1_.jpg
L’histoire se situe dans un pays démocratique et voit lors d’une élection locale, les électeurs de la capitale voter massivement. L’abstention est nulle mais 83% des votes sont blancs. Camouflé pour la classe politique qui ne sait comment réagir face à cette défiance démocratique.
« Non, c’est le mot le plus important », c’est le mot qui préside à chaque révolution selon José Saramago. Il dit cela dans un article du monde de 2010 (1). Non, c’est le mot d’opposition et de résistance par essence. Ce mot, non, c’est celui que j’ai en tête lorsque je sors théâtre Benoît XII. Après avoir assisté à Ceux qui errent ne se trompent pas de Kevin Keiss d’après La lucidité de José Saramago mis en scène par Maëlle Poésy. Non, parce qu’il y a quelque chose qui me dérange dans ce spectacle. J’ai le sentiment que l’adaptation du texte de Saramago est une réduction. Une réduction qui taille à la hache dans l’écriture et qui ne se saisit pas de la singularité, ni du geste littéraire de José Saramago. Alors en rentrant pour écrire je cherche des extraits de La Lucidité et je trouve le début du roman :
« Quel temps de chien pour aller voter, se lamenta le président du bureau de vote numéro quatorze après avoir refermé avec violence son parapluie ruisselant et ôté une gabardine qui ne lui avait pas servi à grand-chose pendant la course hors d’haleine de quarante mètres depuis l’endroit où il avait laissé sa voiture jusqu’à la porte par laquelle il venait d’entrer, le cœur battant à se rompre… »
Je lis et je repense à la pièce où l’on assiste au début à la mise en place du bureau de vote, avec en fond sonore le bruit de la pluie. Un à un les représentants des partis politique arrivent trempés dont le président avec son parapluie et son pardessus qui visiblement n’a pas servi à grand chose. Dans la salle pendant la représentation, j’avais ce sentiment que toute la mise en place du bureau de vote était accessoire. Ensuite, lisant le début du roman, je comprends ce qui rendait le début de la pièce problématique. C’est qu’il y a pour l’équipe de création la volonté de donner à voir ce que décrit le roman. Mais je suis persuadé que si le théâtre a quelque chose à faire avec la littérature, c’est de rendre la langue de la littérature sonore. Si le théâtre calque les images que la littérature dépeint alors il réduit la langue à des images. Images qui souvent annulent l’imaginaire de la langue. Le théâtre doit inventer des images. Il n’a pas à pas mettre en scène les images décrites par les mots au risque de les détourner et les appauvrir.
La mise en scène utilise des moyens qui ne déplacent pas ce qu’ils mettent en œuvre. La journaliste utilise une caméra et se filme en direct comme les télés d’information continue. La pluie ne cesse de tomber sur le plateau pour montrer qu’il pleut. Nous assistons aux questionnements des dirigeants politiques et aux tentatives de réponses politiques face à ce qu’ils considèrent comme un séisme démocratique. Mais ces six hommes et femmes politiques ne sont que des caricatures. Leurs profondeurs, leurs doutes, leurs différents sont réduits à une partition de guignols.
Les directrices et directeurs de théâtre et de compagnie ont raison de s’indigner des prises de parole de certains politiques autour de la culture. Car parfois les propos sont déconnectés de la réalité, des enjeux du secteur de l’art et de la culture. Mais dans le spectacle de Maëlle Poésy et Kevin Keiss, il y a le processus inverse à l’œuvre. La caricature des hommes et des femmes politique proposés dans Ceux qui errent ne se trompent pas mettent mal à l’aise parce que cela donne à voir et à entendre ce dont se sert le populisme pour prospérer. Ce n’est évidemment pas le dessein de cette compagnie. Mais dans ces caricatures proposées, il n’y a pas de complexité, pas de trouble, pas de contrepoint.
La poésie du plateau pourrait alors faire contrepoint mais elle est trop fugace, trop éphémère. Elle est à l’œuvre quand le premier ministre est pris dans les flashs au moment de son discours puisque l’image dure et que sous l’effet des flashs apparaît la déformation du visage de l’acteur qui incarne le premier ministre. Là, nous sommes transposés dans une dimension où notre imaginaire est convoqué. C’est le cas aussi quand deux personnages fabriquent des images théâtrales avec une boule à facettes. Notre imagination enfin est sollicitée aussi quand à la fin du spectacle nous voyons l’image du plateau complètement inondé où dans les ruines du déluge apparaît le chaos. Ce chaos deviens une image singulière, une image théâtrale inventée pour donner à voir l’invention d’un poète et pas pour coller à la description littéraire. C’est à cet endroit que le théâtre réfléchit le monde. L’endroit où le théâtre trouve ses propres images, mets en jeu sa singularité.
Dans ce spectacle, l’intention d’interroger le public sur la capacité de la démocratie à permettre le dialogue n’est pas effective. Puisque cette proposition répond que la démocratie n’est pas le lieu du dialogue. La pièce nous explique que lorsqu’il y a une crise, un déraillement, un naufrage le pouvoir en place use des moyens autoritaires pour limiter la menace et asseoir son autorité. Ce que dit autrement José Saramago dans son roman La Lucidité : « Une règle invariable du pouvoir veut qu’il vaut mieux couper les têtes avant qu’elles ne se mettent à penser, car après ce sera probablement trop tard ».
(1) http://www.lemonde.fr/livres/article/2010/06/18/jose-saramago-nous-ne-vivons-pas-en-democratie_837678_3260.html