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Dom Juan au service de la réaction – L'!NSENSÉ
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Dom Juan au service de la réaction

Dom Juan de la Cie La Naïve se joue durant le Festival d’Avignon OFF 2019 au Théâtre du Chêne Noir. D’un théâtre réactionnaire.
Regardant un tant soit peu l’histoire du théâtre, on pourrait croire qu’on en aurait fini depuis longtemps avec les personnages, l’illusion, la représentation, qu’on aurait fini avec la construction d’espaces auxquelles il faudrait croire pour qu’elles fonctionnent. On pourrait croire que toute compagnie de théâtre contemporain digne de ce nom s’attache à travailler des formes d’expérience, immanentes. On pourrait croire que le 4ième mur a été percé depuis longtemps et lorsqu’il serait remis en jeu, ce serait pour une raison dramaturgique particulière, source d’une expérience particulière. Mais non.
Regardant de loin le milieu culturel, on pourrait croire que tout le monde est de gauche. On pourrait croire que les formes produites par ces femmes et hommes de théâtre produiraient des puissances critiques de ce monde, de ce qui est figé, d’une transcendance et d’une morale dont tirent profit les puissants. On pourrait croire que les exploités de ce monde y trouvent leurs places justes et que les singularités qui ébranlent l’ordre soient représentées avec intelligence et finesse. Mais non.
Regardant le Dom Juan de la Cie La Naïve, il semble symptomatique de la mise en scène de Jean-Charles Raymond qu’il a tout simplement effacé la dernière réplique de la pièce par Sganarelle :
« Ah! mes gages! mes gages! Voilà par sa mort un chacun satisfait: Ciel offensé, lois violées, filles séduites, familles déshonorées, parents outragés, femmes mises à mal, maris poussés à bout; tout le monde est content: il n’y a que moi seul de malheureux! Mes gages! mes gages! mes gages! »
C’est là tout de même la dernière réplique, c’est-à-dire la dernière réponse où le mot dernier est donné à celui qui est au service des maîtres, et Molière lui donne raison.
Lorsque le père de Dom Juan est remplacé par une mère, on n’y perd pas en même temps la critique du paternalisme, on enfonce également le clou pour faire de Dom Juan un adolescent mal en peau avec un complexe de maman. Ses désirs y apparaissent comme puérils et le déni devient un trait psychologique d’un petit narcissique névrosé. Ce n’est plus le déni de Dieu. Ses désirs ne sont plus une puissance révolutionnaire… La mise en scène de Raymond condamne Dom Juan avant que personne d’autre ne puisse le faire.
A la fin, Jean-Charles Raymond nous propose la lecture d’un Dom Juan qui choisirait l’hypocrisie comme s’il n’y avait pas là la trahison de lui-même et la production de ce qu’il attaquait toute sa vie avec sa vie. Il devient donc un cynique de plus. Sa mise en scène signe sans problème l’entrée d’Elvire dans le couvent comme un vrai salut. Elle est sauvée. Et lorsque la statue répond à la demande de Dom Juan, une croix est projetée sur le fond de la scène. C’est alors au plus tard là qu’on saura devant quelle idéologie réactionnaire on se trouve. Faire de Dom Juan un Jim Morrison ne change rien à l’affaire, ni les musiques de The Doors. C’est la tentative d’un rafraîchissement dont on n’avait pas besoin si on rafraîchit par là des idées réactionnaires.
Faire du théâtre n’est pas neutre. On y forge les armes de tel ou tel camp. Aussi naïf qu’on soit. La lecture dramaturgique que fait Jean-Charles Raymond de Dom Juan et la forme qu’il propose m’oblige de noter que nous ne sommes pas dans le même.