Eh bien, ç’aurait pu
Eh bien dansez maintenant de Emilie Vandenameele et Alexandra Cismondi se jouait au Festival OFF d’Avignon 2019 au Théâtre du Train Bleu à 22h30. À défaut de faire l’expérience.
Eh bien dansez maintenant tente de raconter la bataille de ce que c’est que de tenter de vivre sa vie. Alexandra Cismondi monologue en jouant tous les dialogues avec la famille, l’amante, le professeur, l’employeur… On entend l’aliénation de la famille, l’injonction sociale de la réussite, le ressentiment petit-bourgeois et son manque total de conscience politique. On entend la pression sociale sur le corps et la « prise en charge » par les institutions médicales. On entend qu’il y a une manque d’amour simple, d’amitié et de tendresse dans cette vie et qu’on n’a pas laissé à cette femme la possibilité de déplier ce qui pourrait être une vie à elle. Elle devient donc anorexique, parce que pour danser, il faut être svelte.
Eh bien dansez maintenant serait alors le trajet d’une émancipation contre toutes ces emprises sur son esprit. Là où tout est enveloppé dans des draps blancs au début, comme dans des linceuls, elle arriverait à les déballer à fur et à mesure. Les libérer de la pulsion de mort. Elle arriverait à danser malgré tout et de manière libérée à la fin. Il serait donc question d’un chemin intérieur où toutes les voix se chevauchent, se précipitent l’une sur l’autre qu’on ne sait plus qui parle, au nom de qui je parle. On saute ainsi entre un accent provençale à un autre, et cela va si vite qu’on a du mal à suivre si c’est la mère, la prof, la sœur, le père ou elle-même qui parle. Cela aurait donc pu être cela. Presque un délire libérateur où toutes les voix trébuchent l’une sur l’autre, un délire qui découd avec ces aliénations qui nous empêchent d’être heureux. Mais il aurait fallu pour cela que l’expérience de Cismondi, l’expérience qu’elle fait elle-même de ce texte, soit un peu différente. Car nous nous trouvons alors devant une performance formelle qui aligne et déblatère tous les dialogues l’un après l’autre sans que cela a une action quelconque sur quiconque.
La même remarque peut être fait de son rapport au public. Ses premiers mots nous disent qu’elle refuse de commencer à jouer le spectacle car son père serait dans la salle, et aussi sa tente, etc. Et cela aurait été intéressant de mettre le public réellement à la place de la famille, à la place de tous ces endroits où c’est le on qui parle et qui aliène, de lui faire endosser cela pour qu’il en fasse l’expérience. Mais elle n’avait pas encore fini de dire le premier mot et la salle était déjà jeté dans le noir. Tout est fait pour éloigner la chose dans une représentation. C’est comme pour nous dire : « vous êtes le père, mais ne vous inquiétez pas, ce n’est pas vraiment vous. Regardez, déjà le noir est dans la salle, je ne vous vois plus vraiment, vous pouvez être tranquille. » L’adresse devient donc abstraite et nous laisse tranquille.C’est ainsi que cette émancipation est tracé sans danger, ni pour elle, ni pour nous, et, malgré le charme et la vivacité d’Alexandra Cismondi, on s’ennuie pas mal…