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Fantazio, le corps-voix de l’homme déformé – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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Fantazio, le corps-voix de l’homme déformé

Proposition qui se trouve à la frontière… Une « étrangeté » très intéressante.
Un homme assis devant une table regarde attentivement la salle. Sur cette table il y a un microphone, des feuilles de papier, un stylo. Dès le commencement il nous parle des phrases quasiment inaudibles, chuchotées, tantôt déconnectées… Peu importe.
En plus on ne sait son prénom, ni d’où il vient, ni rien d’autre que le fait qu’il est le conférencier qui va prendre la parole. Ce « type-conférencier » sans nom/ sans passé/ sans référentiel joué par Fantazio ne vient pas prendre uniquement « la parole ». Il vient prendre également « les sons-corps-espaces » d’un sujet qui porte un regard peut-être déformé sur la vie… C’est-à-dire que son regard n’est pas considéré comme « normal » ou « conventionnel ». Lui a un point de vue « déformé ». Il ne voit pas le monde comme on a l’habitude de le voir, de le saisir à travers la vie en société. Dans sa conférence, le sujet principal n’est pas le « sur quelque chose », mais c’est plutôt « comment on ressent quelque chose ». C’est juste ça la problématique centrale de Histoire intime d’elephant man
À travers un texte critique, ironique, avec plein de « trous » qui permettent l’improvisation du comédien, Fantazio est à l’aise en scène puisqu’il a une totale maîtrise du type de jeu qu’il nous propose. Et tandis qu’il ne nous dirige pas et laisse notre regard libre la plupart du temps (peut-être en raison du dispositif d’éclairage), on se sent tout de même « invité » à accompagner le parcours de ses raisonnements. Il ne s’agit pas d’un jeu de « psychologisation » du personnage, ni de « distanciation critique », ni d’un jeu « performatif » du réel, ni de quelque chose qui relèverait de la sytlisation ou d’une narration à la « stand up »… C’est pourquoi sa proposition ne peut pas s’inscrire dans une tendance ou une « ligne » théâtrale. Au contraire, elle est quelque chose de bizarre qui se trouve à la frontière entre le rire et le sérieux, entre le côté expérimental et professionnel, entre l’inintéressant et l’intéressant… Néanmoins toute cette « étrangeté », qu’on n’arrive pas à comprendre, attire toujours l’attention.
Ainsi il se met à nous parler, murmurer, crier, déconstruire ce qu’il avait dit précédemment… Il se déplace sur le plateau, il s’arrête tout d’un coup pour réfléchir à quelque chose… Les pauses et les « trous » sont tellement importants dans sa proposition qu’on se rend vite compte qu’on ne peut se libérer de ce qu’il fait, du modèle qu’il offre, du comportement qu’il adopte. Notre vie ressemble à ça et elle est effectivement divisée en traces qui définissent notre rapport temporel-spatial au monde, ces traces-là nous imposent les petites frontières quotidiennes parfois indépassables… Notre corps semble de fait obéir à des règles carrées : rapports horizontaux et verticaux… Sans doute parce que la « diagonale » nous inspire le conflit ou le dialogue auquel nous ne sommes plus habitués. Bref notre manière de vivre ne nous permet de suivre que des lignes droites. Et tout le reste, qui fontionne sous les modes de la circularité, de l’oblique ou qui suit des trajectoires tordues sont une « déformation »…
Déformation qui peut être vue dans sa mise en scène, notamment à travers l’inconfort dans lequel nous plonge Fantazio qui refuse un « art compréhensible ». Déformation qui peut être vue également dans la trajectoire de Fantazio, un multi-artiste qui est chanteur, comédien, performeur, contrebassiste, auteur, compositeur, bref quelqu’un qui possède plusieurs habilités artistiques… Tout cela peut être pris comme une sorte de « déformation » par un système qui classifie ce qu’il n’arrive pas à mettre en boîtes.
Histoire intime d’elephant man de 1981 à 2012… Il s’agit donc d’une belle proposition expressément « déformée », étrange, en mouvement parmi le marché culturel d’Avignon. Parce que comme disait Deleuze : « Nous demandons seulement un peu d’ordre pour nous protéger du chaos. Rien n’est plus douloureux, plus angoissant qu’une pensée qui s’échappe à elle-même, des idées qui fuient, qui disparaissent à peine ébauchées,… Nous perdons sans cesse nos idées. C’est pourquoi nous voulons tant nous accrocher à des opinions arrêtées… Mais l’art, la science, la philosophie exigent davantage : ils tirent des plans sur le chaos. » (Gilles Deleuze, Qu’est-ce que la philosophie ?)