Festival « OUT » en Avignon : rencontre avec Emilie Barrier, artiste de rue
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Rencontre avec Emilie Barrier en Avignon, artiste de rue.
Créer un espace dans la rue : « C’est de l’autogestion »
— Tu joues quoi dans la rue ?
— Je joue un texte de Jean-Pierre Siméon qui s’appelle L’éloge du risque, issu d’un ouvrage qui s’appelle Sermons Joyeux.
— Est-ce que tu peux m’expliquer qui vient jouer dans la rue et comment vous vous organisez ?
— Oui, c’est très organisé. A la base il y a ceux qu’on nomme, ou qui se disent « saltimbanques ». C’est à dire que c’est leur métier. Ce sont des gens qui vivent de ça et qui possèdent généralement un savoir-faire très grand. Non seulement de leur discipline mais également de l’approche du public. Et de tout ce qui peut se passer dans la rue, de « comment gérer ça ».
— C’est de l’autogestion. C’est à dire qu’il y a des tirages au sort pour l’ordre de passage.
— Il y a des lieux où c’est complètement sauvage, on peut venir jouer. Ce sont souvent des lieux de passage. C’est possible d’y travailler, mais il y a beaucoup de perturbations, de bruit.
Bon, sinon, il y a surtout la place du Palais des Papes qui permet de gros shows parce qu’il y a beaucoup d’espace, et la place de l’Amirande, qui est une petite place un peu plus isolée et qui, elle, permet des spectacles qui demandent une atmosphère plus calme.
Moi, je joue place de l’Amirande pour ce calme-là. Les spectateurs sont plus disponibles. De toute façon, je ne pourrais pas me défendre seule place du Palais des Papes…
— Te défendre contre quoi ?
— Il n’ y a que 24 heures dans la journée et pendant les heures de la nuit, on ne peut pas travailler. Et on est très nombreux à vouloir travailler. Par exemple, je ne peux pas jouer au Palais des Papes. Je suis trop « petite ». Si quelqu’un dont ce n’est pas le métier vient jouer au Palais des Papes, il subira des pressions. Mais c’est logique, les gens ont besoin de travailler, il y a de l’argent en jeu. La jauge du Palais des Papes est bien plus grande que dans la plupart des théâtres du off !
Le texte dans la rue : « Cette fragilité-là m’intéresse »
— Tu peux me parler des autres artistes qui sont place de l’Amirande ?
— Quand je suis arrivée ici en Avignon pour jouer, seule, pour la première fois, c’était il y a trois ans. J’ai débarqué place de l’Amirande. Et j’ai eu beaucoup de chance car j’ai rencontré deux personnes Ali Fekih et Lukasz Areski qui eux sont de vrais saltimbanques. Ils connaissent la rue depuis des années et des années.
Ils ont été sensibles à mon travail et ils m’ont formé. Ils m’ont appris beaucoup de choses. Il n ‘ y a pas de manuel. Ce serait intéressant d’écrire un manuel des règles de la rue mais il n’ y en a pas. Donc la transmission est vraiment importante. Ali Fekih est danseur et Lukasz est marionnettiste.
— Qu’es-ce qu’ils t’ont transmis Ali et Lucas ?
— Premièrement, ils m’ont transmis des valeurs, deuxièmement, beaucoup de choses techniques sur « comment gérer la rue ».
Par exemple, l’une des choses les plus difficiles, c’est de faire le cercle. « Faire le cercle », c’est ce qu’on dit « faire le cercle ». Tu fais ton cercle, c’est à dire que quand tu commences ton spectacle, il faut que le gens s’arrêtent, ce n’est pas une salle, ils n’ont pas acheté de billet. Donc il faut arriver à susciter leur attention.
Cette année j’ai une corde. Je décide de l’air de jeu en posant ma corde. Donc les gens se disent « ah il y a un spectacle ». Maintenant que j’ai la corde, c’est plus facile. Et j’ai le droit de dire « corde » car ça joue dans la rue ! (Rire).
— Donc ils t’ont appris l’importance de « former ton cercle » et à avoir un rapport aux gens qui sont dans le passage, qui sont dans la rue ?
— Voilà, c’est ça. Parce qu’il y a un enjeu. Il faut que les gens soient bien installés, il faut se les mettre dans la poche avant de commencer ! Il faut réussir à obtenir d’eux qu’ils acceptent de ne pas rester dans le passage et qu’ils viennent s’installer.
En faisant du texte dans la rue, j’aurai jamais un succès fou, c’est sûr. Je ne peux pas faire des cercles de 300 personnes mais ça m’intéresse d’ébranler les gens. Les gens viennent me voir après et me disent « c’est curieux, vous vivez comme ça ? ». Ils sont touchés par le texte car il parle de la prise de risque et ils sont touchés aussi par la démarche.
C’est un combat un peu vain, ça ne fonctionne jamais parfaitement, du texte dans la rue. La rue est plus forte. Mais cette fragilité-là m’intéresse.
— Et c’est quoi les « valeurs saltimbanques » qu’ils défendent ?
— Il y a la solidarité entre personnes qui jouent. A quel moment on dépasse la compétition pour s’entraider et être forts, ensemble. Ce qu’il se passe à la place de l’Amirande.
Il y a aussi être libre : comment est-ce qu’on défend sa propre liberté. C’est ça qui interpelle les gens dans la rue. Ils se disent « ah mais ces personnes-là sont libres, elles créent leur propre travail, elles génèrent leur propre travail, elle décident de l’endroit où elles veulent jouer ».
— Tu veux dire « libre » des institutions, des subventions etc… ?
— Oui !
Jouer dans la rue : « Gloire au désordre ! »
— En tant que comédienne, quelles sont les différences entre salle et rue ?
— En rue et en salle, il y a la même exigence sur la diction, sur le contrôle de la respiration, sur la solidité du corps et sur l’écriture, sur le parcours à l’intérieur du texte. Après dans la rue, il se passe énormément de choses et il est impossible de les ignorer. En salle, c’est possible. S’il ya un spectacle en salle et qu’une voiture démarre ou qu’on entend un très gros bruit, le spectacle, normalement, ne modifie pas sa trajectoire. Dans la rue, s ‘il se passe quelque chose, il faut en tenir compte.
Par exemple, hier je jouais dans un ruelle et il y a une phrase dans mon texte qui dit : « nous mourrons, oui nous mourrons bientôt comme vous, mais vivants ». Et au moment ou j’ai dit cette phrase, une vielle femme avec une canne est passée au ralenti, entre les gens et moi… Dans une salle cela n’arrive pas, il n’y a de pas de vielle dame qui passe avec une canne au moment où on parle de la mort !
Un autre exemple : il y a a eu des CRS qui sont passés devant mon spectacle sur « nous n’obéirons pas, nous n’irons pas crapoter la tisane dans votre chambre stérile, gloire au désordre ! » alors bien évidemment, quand ce genre de choses arrivent, je m’en saisis et je cris « gloire au désordre ! ».
En fait, il y a une part de liberté dans la rue qui est vraiment grande. Dans mon spectacle, il y a des choses qui sont écrites mais je vois les gens. Ils réagissent : une voiture va passer, un oiseau va s ‘envoler, il va y avoir une bourrasque de vent…Donc je dois réagir par rapport à ça. Il y a une grande part d’improvisation avec les éléments extérieurs, avec les gens.
Et puis ça m’intéresse de défendre du texte dans la rue.
Emilie joue place de l’Amirande jusqu’à la fin du festival d’Avignon.
De 15h à minuit, les spectacles s’y succèdent.