La compagnie Frappe-Tête Théâtre présente son Bestiaire de la pensée
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La compagnie Frappe-Tête Théâtre présentait le 2 février 2010, la première de sa dernière création : Bestiaire de la pensée. Cette unique représentation était visible à l’Archipel, scène conventionnée de Granville, adossée au casino. Après cette première, la compagnie reprendra ce spectacle dans deux mois pour une représentation unique encore à Ifs, dans la salle Jean Vilar. Cette tournée se poursuivra à la fin avril et au début mai par trois représentations. Deux d’entre elles auront lieu au Tanit Théâtre- La Filature de Lisieux dirigée par Éric Louviot et une à l’Eclat, Pont-Audemer. A travers l’exposition de cette tournée, nous mettons l’accent sur la difficulté pour une compagnie de montrer son travail dans des conditions optimum. La compagnie Frappe-Tête Théâtre va présenter son spectacle cinq fois dans la région dans quatre lieux différents et dans un intervalle de trois mois. Cela montre aussi le choix des programmateurs de n’accueillir qu’une représentation se coupant immédiatement d’un bouche-à-oreille possible.
Dans “Bestiaire[[Bestiaire : 1- Celui qui devait combattre contre les bêtes féroces, ou leur était livré au cours des jeux du cirque.
2- Recueil de fables, de moralités sur les bêtes.
]]de la pensée”, la compagnie Frappe-Tête Théâtre met en scène une communauté de marginaux, de monstres. Tous ces personnages monstrueux sont empruntés, dérivés, déclinés des univers de Tim Burton, de David Lynch dans “Éléphant Man”, de Jean-Pierre Jeunet dans “La cité des enfants perdus”, des séries “Carnivale” où de “La Famille Adams”, comme l’annonce le programme. Mais tous ces personnages semblent issus de l’imagination d’un homme. Cet homme joué par François-Xavier Malingre, tout aussi monstrueux que ces créatures est à mi-chemin entre le fou, la mère dévorante et l’enfant destructeur de ses jouets. Il crée des jouets, des Frankensteins. Il est entouré par la femme serpent (Sylvia Marzolini), la poupée désarticulée et manchote (Élodie Foubert), la borgne (Maguy Guillot) et l’homme-femme (Grégory Guilbert). Il y a aussi un personnage énigmatique (Guillaume Hermange) qui traverse cet espace puisqu’il représente à la fois le temps, un cul-de-jatte, un nouveau-né, le double de ce fou délirant. Dans ce brouillage, il apparaît que cette petite communauté est réunie comme un cirque de foire qui traversant les espaces s’arrête dans des villages pour montrer des numéros ou se montrer en tant que spécimens. Nous avons donc une mise en abîme de cette compagnie qui met en scène un cirque devant présenter des numéros. Nous n’assisterons à aucun numéro, ni du cirque, ni des Frappe-Tête Théâtre, parfois un chant traînera, des siamoises apparaîtront, un duel de flamenco débutera, mais les séquences présentées nous diront surtout la difficulté de faire et d’être en marge. C’est ce cirque qui ne peut pas produire des numéros parce que se joue un combat intestin entre l’inventeur de ces créatures et les créatures elles-mêmes. Ce sont les relations des personnages qui sont mis en scène. Ce génie fou est le père, le dompteur, l’amant de ses monstres. Il ne semble pas avoir les moyens pour être le metteur en scène de la ménagerie qu’il a créé. C’est ce flou, cette absence de moyens sur lequel nous devons nous appuyer pour comprendre que la compagnie Frappe-Tête Théâtre dit cette même chose et même plus que ça, elle crie le manque de moyen pour mettre en scène, pour créer un objet. Une scène de ce spectacle est assez représentative, c’est François-Xavier Malingre, l’inventeur fou qui en avant scène réussie la performance de faire un numéro drôle et grinçant avec le seul mot MOI. Voilà, d’une certaine manière les Frappe-Tête Théâtre affirment que la compagnie n’a les moyens que de se servir que d’un mot.
La cicatrice
C’est l’endroit où se situe le travail, ça parle de la cicatrice, de la fêlure, de cette tentative désespérée de séduire et de plaire quand on est vilain, étrange, curieux, difforme ou marqué par des cicatrices. C’est en filigrane tout au long du spectacle,. C’est approché, c’est présent mais pas assez exploité. La compagnie n’a sans doute pas pu prendre de recul sur ce qu’elle produit comme objet et n’a pas pu se laisser traverser par l’inconscient que porte son projet. Du coup, la relation entre l’inventeur et chacune de ses créatures n’est pas affirmée. Tout navigue en même temps entre le dégoût et la séduction. Ce qui brouille les choses et ne permet pas de créer des relations et des espaces singuliers entre chaque personnage et son créateur. La dimension sexuelle, sensuelle existe, mais n’est pas assez mis en évidence. c’est flagrant dans le duo entre le créateur et la poupée manchote où nous ne voyons qu’une série de manipulation sur un rythme régulier où finalement c’est la performance des acteurs qui est au centre de la scène. La relation trouble d’inceste, de désir, de violence qui pourrait passer par un changement de rythme, par des images nettes : de viol, de désespérance et de tendresse. La performance d’Élodie Foubert qui joue cette poupée est impressionnante dans sa capacité à avoir un regard avec une seule expression. C’est aussi, un refuge et une façade, l’étape suivante c’est à travers cette seule expression vivre plusieurs émotions.
Dans ce spectacle, la compagnie installe un univers entre le cabaret des années trente et le cirque, aidé par la lumière de Thalie Guibout. La scénographie de Trambert Regard est efficace et inscrit les acteurs dans un dispositif clair, même si elle paraît un peu trop propre. Les acteurs semblent un peu embarrassé par ce rideau bleu nuit sur roulettes qu’ils font naviguer entre l’avant et le fond de la scène pour masquer les changements d’accessoires. Cela alourdit le spectacle et produit un manque de simplicité. Les acteurs développent une énergie et démontrent une envie de plateaux qui fait plaisir à voir même si on pouvait les sentir un peu fébrile pour cette première représentation. On attend avec impatience la reprise à Ifs, pour apprécier comment le spectacle se sera déposé et développé.