La mise en scène contemporaine – dialogue de/avec Patrice Pavis
Ecrit en marge et en réaction à son livre « La mise en scène contemporaine », (Paris, Armand Colin, 2007), Patrice Pavis se livre à un auto-interrogatoire sans concession. Le regard caustique de l’auteur porté sur les transformations de la mise en scène et l’environnement artistique constitue un prologue cocasse à son ouvrage qui fait référence dans le champ des études théâtrales et bien au-delà.
C.-M. R.
– Pourquoi parlez-vous de mise en scène et non de théâtre ?
— Parce que le théâtre en soi n’existe pas, il n’existe que des moyens de le mettre en jeu, c’est-à-dire en scène.
— Quels sont ces moyens ?
— La mise en pratique d’un texte ou d’actions humaines à travers différents agents.
–Mais le théâtre ne peut-il pas être lu ?
— Bien sûr, mais il s’agit alors de littérature dramatique, non de théâtre.
–A quoi sert la théorie, puisque la pratique brise tous les cadres ?
— A reconstruire les cadres pour mieux les briser ensuite.
–Peut-on éviter d’être subjectif dans l’évaluation ?
— Non, et tant mieux.
–Quelles sont les mises en scène que vous préférez ?
— Celles qui déstabilisent ma façon de voir le théâtre et la vie.
–Quelles sont celles que vous détestez ?
— Les autres.
–Où vous situez-vous dans le débat sur le postdramatique ?
— Après lui.
–Votre travail théorique est-il utile à la mise en scène ?
— Oui, et réciproquement.
–Est-il nécessaire de se préparer à la mise en scène en lisant un livre, le vôtre par exemple, pour apprécier un spectacle ?
— Ce n’est pas conseillé, mais c’est parfois inévitable.
–La notion de mise en scène est-elle encore utile pour décrire la production actuelle ?
— Oui, à condition de la mettre en crise.
–Est-ce qu’il y aura toujours de la mise en scène ?
— Pas sûr !
–Qu’est-ce qu’il y aura après la mise en scène ?
— La mise en perf.
–Perfusion ?
— Et mère-fusion, aussi.
–Y a-t-il une vie après la mise en scène ?
— Oui, à condition d’écrire sans penser à elle.
–Pourquoi la mise en scène est-elle devenue la métaphore préférée des politiciens ?
— Parce qu’ils n’arrivent plus à écrire l’histoire.
–Pourquoi chercher de l’ordre dans un spectacle ?
— Pour voir comme nous le saisissons et comme il nous saisit.
–Que saisit le metteur en scène ?
— Sa chance.
–Comment ?
— En saisissant l’instant.
–Quelle différence avec la vie ?
— Aucune.
–Qu’est-ce qu’une mise en scène déconstruite ?
— Une mise en scène qu’on peut reconstruire.
–En quoi la mise en scène est-elle nécessaire à nos vies ?
— Pour reconstruire un fragment de notre monde.
–Comment le reconstruire ?
— En le passant au filtre du corps et de l’esprit.
–La mise en scène, c’est l’art de quoi ?
— L’art du Koan.
–A savoir ?
— Ne pas chercher à savoir ce qu’on sait déjà et chercher à ne pas savoir ce qu’on ne sait pas.
–Mais en koan cela concerne-t-il la mise en scène ?
— Elle est l’art du décalage et du réglage.
–Quel aspect du travail ne supportez-vous pas ?
— Le service après-vente.
–A savoir ?
— Répondre au public sur nos intentions et l’obéissance de nos employés.
–Quel est le plus difficile lorsqu’on doit faire la critique d’un spectacle ?
— Rester fair-play et calme : ne se laisser entraîner ni par ses enthousiasmes, ni par ses haines.
–Mais comment juger équitablement ?
— En réagissant spontanément, mais aussi en prenant de la hauteur, en ne jugeant pas à l’emporte-pièce.
–D’où vient la difficulté d’évaluer une mise en scène ?
— De notre incapacité à juger sans affect les personnes et leurs productions.
–Pourquoi ?
— Nous sommes incapables d’être juste et sévère, de nous tenir face à l’autre sans tuer l’autre en nous et nous en l’autre.
–Y a-t-il une chose qui vous énerve plus qu’un critique qui se moque d’un artiste ?
— Un artiste qui se moque d’un critique.
–Pourquoi aimez-vous les mises en scène illisibles, ou peu lisibles, irréductibles à un système ?
— Parce que c’est un moyen de lutter contre la bureaucratisation du sens en art.
–Pourquoi n’aimez-vous pas les mises en scène lisibles ?
— Parce que je ne suis pas chargé de la lutte contre l’analphabétisme.
–Qu’est-ce qui caractérise la plupart des critiques faites aux metteurs en scène ?
— La mauvaise foi et l’opportunisme théorico-moraliste. Reprocher par exemple à Brook son essentialisme, à Mnouchkine son appropriation interculturelle, à Lepage sa gestion internationale des spectacles, etc.
–Que pensez-vous de la polémique lors du festival d’Avignon 2005 sur le côté sombre et élitiste du théâtre ?
— La question méritait d’être posée.
–Comment y répondre ?
— En renvoyant dos à dos les élitistes et les démocrates.
–Dans quel but ?
— Pour démocratiser l’élite et améliorer la démocratie.
–Y a-t-il trop de théâtres en France ?
— Peut-être pas trop de théâtres, mais trop de spectacles, oui.
–Qu’y faire ?
— Sélectionner en amont, avant que le public ne sélectionne par désintérêt et légèreté. Soutenir les projets vraiment originaux, accroître les exigences.
–Faut-il imposer une méthode ?
— Surtout pas !
–Soutenir un individu ou une équipe ?
— Un projet, collectif ou individuel.
–Comment les jeunes artistes sauraient-ils d’entrée élaborer un projet ?
— Il faut justement les aider à le concevoir, l’énoncer, puis le réaliser.
–Où ça ?
— Entre autres à l’Université.
–La répartition des subventions vous semble-t-elle juste en France ?
— Que sais-je ? Le conformisme s’installe dès que l’entreprise s’institutionnalise et il étouffe bien des talents.
–Comment s’en rendre compte ?
— Comparez des productions d’Avignon in et off.
–Le théâtre peut-il se passer de subventions ?
— Non, mais l’art d’obtenir des subventions ne doit pas être confondu avec l’art de la mise en scène.
–Qu’est-ce qui entrave la qualité de la mise en scène ?
— La réduction des moyens temporels, le clientélisme, l’amateurisme, la déconcentration, le désintérêt d’un grand public généraliste.
–Quels types de spectacles vous paraît-il urgent de soutenir ?
— Ceux qui peinent à naître.
–Peut-on enseigner la mise en scène ?
— Non.
–Pourquoi se met-on à l’enseigner un peu partout, alors ?
— Pour ne pas être en reste auprès des collègues qui veulent légiférer et tout bureaucratiser.
–Quels collègues ?
— Ceux de la poste, de la sécurité sociale, des impôts, de l’enseignement.
–Qu’est-ce qui vous déplaît chez un metteur en scène ?
— Sa prétention à tout régenter, la régie en somme
–Qu’est-ce qui vous plaît ?
— Sa volonté de continuer quand même.
–Comment faire pour développer et améliorer la mise en scène ?
— Donner à de jeunes artistes le droit à l’essai et à l’erreur.
–A quel âge est-on jeune artiste ?
— De 7 à 77 ans.
–Qu’est-ce que vous conseilleriez à un acteur ?
— De jouer seulement si le cœur lui en dit.
–Et à un metteur en scène ?
— D’agir seulement si le cœur luit en lui.
–Comment voyez-vous votre avenir après ce livre ?
— Mieux, car il n’est plus à écrire.