La troisième dimension
Diplômée de l’Ensatt (Ecole Nationale Supérieure d’Arts et Techniques du Théâtre), ingénieure du son travaillant aux côtés de la chorégraphe flamande Anne Teresa De Keersmaker depuis 2007, collaborant avec l’Ensemble de musique contemporaine Ictus, Vanessa Court a aussi travaillé avec le compositeur Georges Aperghis ou le metteur en scène Thomas Gaubiac. Exigeante, non dans le prestige mais dans l’ambition des projets qu’elle choisit de rejoindre. Elle est, à Avignon, l’ingénieure du son du spectacle « D’après une histoire vraie » de Christian Rizzo.
À la sortie du spectacle, il y a cette sensation, celle d’avoir traversé un son en légèreté, en intimité, alors même que sur le plateau, durant 1h15, les musiciens Didier Ambact et King Q4 n’ont cessé de frapper – et sublimement – sur leurs batteries. Mais avec eux, en régie, se joue une troisième partition. Une dimension supplémentaire venue s’entrecroiser avec la danse, sa force, et ses rythmes.
Elle dit du son qu’elle l’aborde de façon physique, qu’il est avant tout du rock’n roll, « quelque chose qui entre par le ventre et circule à sa guise un peu partout ». Sa vraie référence reste Tati – « sur la question du son et de son esthétique, il est imbattable » – mais lorsqu’on lui demande son plus fort souvenir sonore elle cite le compositeur italien Luciano Berio, réputé pour sa musique électroacoustique. « C’était un concert donné avec sa dernière épouse, la chanteuse lyrique Talia Pecker. Luciano était là. Sur le plateau personne n’a bougé mais j’ai gardé, profondément imprimée en moi, la sensation enivrante que tout avait été en perpétuel mouvement. »
Vanessa Court fait partie de la famille de ces rares ingénieurs du son à l’oreille précieuse, capables à la fois de régler une salle avec la minutie d’un accordeur de piano, et de composer en live. « J’ai l’impression d’avoir plusieurs métiers. Selon les projets, je vais de l’un à l’autre. Mais je dirais de l’ingénieur du son qu’il est… un traducteur. » Dans D’après une histoire vraie, elle traduit ainsi le jeu des batteurs, joue avec eux, retenant le son d’une caisse claire, la rediffusant en goutte d’eau. « Il n’y a pas un seul son enregistré. Ce n’est que du traitement en temps réel. Après, il s’agit de doser. Ne rien surligner. Ne rien écraser. Poser des espaces et rester à l’écoute de tout. » Stéphane Morisse, en régie à ses côtés, dit d’elle « qu’elle a un impressionnant souci du détail, doublé d’un vrai sens créatif. » Didier Ambact, quant à lui, sourit : « On a dit de ma musique qu’elle était « douce et subtile ». Jusque là, on ne me l’avait jamais dit… ». Le tout a été imaginé dans les derniers jours des répétitions. « Plusieurs jours de suite, j’enregistrais les répétitions et ne faisais rien d’autre. Puis, le matin, je venais avant tout le monde et testais, composais, écoutais. Les sons doivent porter la musique… Il faut donc apprendre à s’y glisser. »
Dans sa Tragédie du roi Richard II Jean Vilar avait demandé à Agnès Varda, alors présente en tant que photographe, de bien vouloir gratter sur un instrument à cordes, sous les gradins, au moment de la pièce. Le son, sa spacialisation, son écriture, ont, depuis, fait un long chemin. L’espace du théâtre a été reconnu en sa matière tactile et le son en sa dramaturgie. Mais le travail de l’ingénieur sonore, lui qui œuvre à cet élégant voyage de la vibration, s’invisible encore trop souvent et il suffit de lire les programmes pour en prendre la mesure. Le plus souvent – comme dans D’après une histoire vraie – leur biographie est inexistante et ils se contentent d’être à la « régie son ». Peut-être parce qu’ils trouvent là un costume de discrétion qui, finalement, leur sied. Peut-être parce que leur reconnaissance passera par une écoute toujours plus minutieuse de leur ouvrage.