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L’appel des héros | Stage playback : l’art de faire semblant pour de vrai – L'!NSENSÉ
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L’appel des héros | Stage playback : l’art de faire semblant pour de vrai


En travail, au sein des workshops, ou en représentation, dans l’espace public, la performance participative WE CAN BE HEROES se donne comme un rugissement de plaisir et de joie. Faisant du playback un réel exercice d’interprétation tant au niveau corporel qu’au niveau émotionnel, le Groupenfonction réunit, sur une même aire de jeu, l’art et la vie. Un bouillon de culture populaire au pouvoir régénérant.
We Can Be Heroes fait du bruit dans les festivals, attire les amateurs des arts de la scène, résonne auprès des habitants des villes programmatrices, interpelle l’entourage de ceux qui y ont déjà participé et pousse étonnement les gens à revenir… À quoi tient un tel engouement pour une proposition qui se résume en trois mots : chanter en playback ?
Arnaud Pirault, fondateur du Groupenfonction et initiateur des stages reconnait lui-même qu’il n’avait pas anticipé cet effet de contamination. Lorsqu’il organise, en 2009, une performance dans l’espace public autour du playback, ce n’est qu’une proposition parmi tant d’autres. Mais celle-ci ne laisse pas le public indifférent… un public qui en redemande et qui manifeste son désir de faire, lui aussi. L’idée germe alors de se saisir de cette première chose qui avait échappée à la maîtrise pour la comprendre et la développer. We Can Be Heroes deviendra une performance participative dans laquelle des gens de tout horizon se retrouvent dans un carré de gaff noir pour chanter une playlist d’une dizaine de morceaux. Un acte « joyeux » et « fédérateur »[1] qui met en œuvre une vraie dramaturgie, un vrai processus d’interprétation.
En ce 1er week-end de mars 2011, 17 personnes ont donc répondu présent au dernier appel des héros. Dès le samedi matin – 9h30 –, toutes convergent vers le pOlau, le pôle de recherche sur les arts urbains de la région Centre situé à Saint-Pierre-des-Corps. Portés par des rayons de soleil aux allures printanières, anciens et nouveaux participants se retrouvent ou font connaissance autour d’un café, tout en dégustant des viennoiseries et des gâteaux maison rapportés par les uns et les autres. D’emblée, l’ambiance est à la bonne humeur et à la convivialité. Pour ce 9e stage, les tourangeaux partageront le plateau avec des gens venus de Nantes, de Paris, de Toulouse ou encore de Chartres. À chaque workshop, le déroulement est similaire : si les formateurs s’alternent – cette fois-ci, c’est Hélène Rocheteau –, les étapes pour devenir et continuer à être un héros sont toujours les mêmes et constituent un véritable cheminement.
Le corps en travail
Le processus We Can Be Heroes commence donc toujours par la mise en branle du corps. Il semble, en effet, que le playback soit principalement, pour le Groupenfonction, une affaire d’organicité dans laquelle il s’agit de pousser l’individu à prendre conscience de ses forces vives.
Aussi, durant un premier et très long exercice, les stagiaires sont invités à développer et à agrandir leur respiration pour produire de plus en plus de souffle. De la position allongée, à la position debout en passant par l’étape assise, il s’agit de véhiculer l’air dans les moindres recoins de son corps. Trouver la continuité entre l’inspiration et l’expiration. Trouver le flux ininterrompu, libérateur de tensions, créateur d’espaces libres et de possibles. Fondamental dans l’approche du playback, cet exercice s’apparente à un training qui n’est pas sans rappeler les méthodes d’un homme de théâtre comme Grotowski, l’un des précurseurs à penser la question du corps de l’acteur comme étant un outil fondamental pour accéder à l’essence de l’art théâtral.
Ici, dans le processus de travail mis en place par le Groupenfontion, la circulation du souffle est pensée comme un facteur de libération des énergies et permet au futur héros de se mettre en état d’éveil et d’alerte. La musique intervient dans un deuxième temps comme un outil déclencheur ayant pour objectif de produire de l’émotion, du mouvement intérieur et donc extérieur.
Avant, bien avant, d’en venir au travail des 3 chansons imposées, le groupe passera d’abord par l’exercice de l’Épreuve : un travail dans lequel il s’agit d’accueillir et de ressentir les émotions procurées par la musique et de les mettre en forme physiquement dans l’espace. Sur une bande son énergique, dans une veine pop/rock, durant une quinzaine de minutes, le participant ne peut jamais revenir en arrière, jamais diminuer l’énergie et l’intensité avec laquelle il inscrit ses mouvements dans l’air. « L’Epreuve » est un voyage corporel et sensitif qui s’effectue sous le signe et la consigne de l’épuisement. Au travers de mouvements fluides ou brusques, les corps tour à tour ancrés dans le sol puis aériens cherchent les dynamiques, livrent, lâchent, abandonnent ce qui les traverse et les meut. Des instants intimes, précieux et privilégiés dans lesquels chacun se recentre sur lui-même, reprend contact avec son corps et tente de mettre le doigt sur ses fluctuations intérieures.
Où il est question de musique et de culture populaire
L’état de presque transe qui est recherché dans un exercice comme celui de l’Epreuve raconte aussi la place de la musique au sein du workshop et de la performance. Comme le souligne Arnaud Pirault, ce n’est pas tant le playback qui est intéressant dans We Can Be Heroes que le rapport entretenu à la musique populaire. Opposée à la musique dite savante, celle-ci recouvre un large panel de genres et s’adresse à une grande audience. Ce qui importe, c’est qu’elle fasse partie du langage commun, référentiel, de l’histoire individuelle et collective, qu’elle soit un médium artistique vulgaire et quotidien. Parce que nous avons tous un rapport à la chanson, et que cela ne nécessite aucune connaissance préalable, l’on peut considérer la musique populaire comme un outil démocratique.
Par ailleurs, dans cette affaire de playback, dans cette approche de la scène, rien n’est psychologisant ni même populiste. Le poids du texte et de sa signification est évincé au profit d’une interprétation résolument corporelle. Quant à la caricature, elle n’est pas, à un seul instant, envisagée. Il n’est pas, non plus d’ailleurs, question de synchronisation labiale… La justesse est ailleurs. Pas dans la perfection du paraître mais dans l’intime de l’être.
Le travail des trois morceaux choisis pour ce 9e stage se fait donc dans la recherche et l’apport de souffle, dans la franchise et l’affirmation de l’adresse ainsi que dans la vigueur du sentiment collectif. Jamais il n’est question du sens de la chanson ; jamais on ne demande au héros-chanteur de s’imaginer un contexte référentiel. Le discours se contente de cerner les jalons du morceau, ses forces, sa construction, ses accidents, ses pièges, ses tonalités, etc. Sur Good Time des Brazilian Gilrs, il s’agit de se rassembler et d’être dans l’esprit festif du morceau. Avec Approach The Throne, on suit la ligne tracée par Clues : ça avance, ça ne faiblit pas, c’est incisif et ça part du sol. Quant à la reprise de Be My Baby par We are Scientist, elle n’est que prière et sur articulation. Si durant la totalité de la playlist les corps sont appelés à exagérer leur respiration et à s’exprimer avec force, ce n’est pas dans la perspective d’imiter ou de caricaturer la figure du chanteur ou de la rock-star mais bien dans l’idée de trouver la bonne et juste énergie.
L’individu et le collectif dans le carré
Maître mot au sein de la performance, l’énergie s’articule autour de deux notions essentielles qui sont l’individu et le collectif. Comme le Groupenfonction aime à le dire, We Can Be Heroes est une « tentative d’individuation collective »[2] et cherche le point d’achoppement où l’on peut « être absolument ensemble en étant absolument soi même »[3]. C’est pourquoi trajet personnel et trajet collectif sont menés de front au sein du workshop. Le travail de libération corporel et émotionnel effectué par chacun s’additionne à celui des autres et forme un élan collectif intense. Aussi, lorsque les participants chantent en mettant dans la bataille toutes leurs tripes, c’est le groupe qu’ils donnent à voir en même temps qu’eux-mêmes. L’image est saisissante lorsque les corps se tendent et se soulèvent en un même mouvement, tel un poumon qui reprend son souffle vital.
L’équilibre qui permet de voir à la fois l’individu et le collectif repose également sur un agencement spatial qui n’est pas laissé au hasard. L’espace est littéralement distribué. Au même titre que dans un théâtre de texte on distribue un rôle, dans We Can Be Heroes, on répartit l’espace pour chacun. À partir du plateau nu, le formateur – souvent Arnaud Pirault lui-même – place les héros les uns après les autres. L’instant est solennel. De longues minutes s’écoulent entre chaque placement qui déterminera les dynamiques visuelles. Il s’agit de choisir et d’évaluer la bonne distance, la bonne orientation du micro, le bon écart entre les uns et les autres. La figure finale obtenue est toujours un carré. Celui-ci est tracé au gaff noir une fois que le dernier participant est entré dans l’aire de jeu. Remarquons que c’est l’espace qui s’adapte au groupe et non l’inverse. Par ailleurs, le quadrilatère aux quatre côtés équidistants travaille du côté d’une égalité de tous au regard du public qui est libre de se répartir autour de l’ensemble de la figure.
D’emblée, dans We Can Be Heroes, l’artificialité, la tricherie et le faire-semblant induits habituellement par le playback sont assumés, affichés et revendiqués puisque les héros donnent du souffle sur la voix de quelqu’un d’autre. Aussi, ce sont l’engagement corporel et l’investissement émotionnel qui, en plus du désir de se rassembler et de s’amuser, produisent la tension nécessaire à la re-présentation et permettent à la relation salle/scène de recouvrir un rapport d’authenticité. Si We Can Be Heroes a pour vocation de se produire au sein de l’espace public, c’est pour mieux ramener l’art au milieu de la vie. Sur le béton, les trottoirs et les places arpentés quotidiennement par les passants, le groupe de héros convoque des forces vives et rappelle qu’elles sont à la portée de tous. Chanter par-dessus une bande son au milieu de la jungle urbaine, c’est porter au regard de tous un acte intime, c’est se dévoiler pour mieux se rassembler.
[1] Extrait du dossier de présentation disponible en téléchargement sur www.groupenfonction.net
[2] Ibid
[3] Ibid.
http://www.groupenfonction.net

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