Laterna magica et le courage d’une vie à soi
Laterna magica, de la Cie STT (Super Trop Top) se jouait au 11 Gilgamesh Belleville dans le Festival OFF d’Avignon 2019 à 10h30. Enfin un théâtre qui ne ment pas.
Laterna magica traverse la vie d’Ingmar Bergman à partir de son texte du même nom. Il constitue une sorte d’autobiographie qui parcourt les souvenirs et les troubles dès son enfance. Se dessine quelque chose qui fait sauter l’ordre moral d’aujourd’hui car nous apercevons bien de quelles complexités nous sommes faites, quelles pulsions obscures sont à l’œuvre en nous ; et les nier serait le plus grand mensonge que nous pourrions nous faire.
Laterna magica est une invitation à dénouer nos existences, à tirer au clair l’indicible et à tenter de vivre sa propre vie, même si, au final, « il faudra bien qu’on se débrouille tout seul ». Nulle place est fait à un romantisme, ni dans la création, ni dans les relations. Ingmar Bergman regarde la vie avec une précision clinique et déniche les tensions et contradictions, les bêtises infinies que nous commettons tous les jours. C’est par exemple son père qui doit découvrir et constater à la fin de sa vie, en lisant le journal de sa femme défunte, que malgré qu’ils aient partagé une vie commune durant 50 ans, que cette femme lui était inconnue. C’est par exemple Ingmar Bergman lui-même avec qui il ne prendra pas plus de gants qu’avec les autres, qui d’abord fasciné et en adoration de Hitler, finit par découvrir l’existence des camps de concentration. La honte et le mépris contre lui-même lui fait dire : « Plus jamais de politique », mais d’avouer en même temps que ce n’était sûrement pas le bon choix… C’est le courage d’un parler vrai de soi-même qui nous touche dans ces temps de démagogie, de mensonge, de lâcheté.
Fabien Coquil porte cette voix avec simplicité et l’adresse au public sans chichi. Le théâtre ici n’a pas besoin de recourir à des illusions ou à la représentations d’espaces fictives. Il est là et déplie cette vie dont surgit une pensée pour la vie. Les espaces changent. Une femme est là, parle parfois. Un autre homme déplace les plantes, les projecteurs, sur l’ordre du réalisateur immense que fut Ingmar Bergman. Le théâtre se montre nu ici, et dans sa fabrication. Un rectangle blanc au fond, puis une tuile, puis six grands rectangles en CP accrochés au plafond qui flottent et tournent sur eux-même, déclinent quelque chose du cinéma. Des écrans peut-être, le tuile pour une incrustation dans l’image. C’est peut-être pour dire qu’au final, c’était une vie dédié à son œuvre, à son travail, sans qu’il ne soit jamais séparé de sa vie entière et intime. Et le travail serait ici la mise en place de ces différents outils et objets, « l’organisation pédante de l’indicible » et la tentative d’en tirer quelque chose à la clarté.
Et aussi douloureux et difficile son chemin peut nous paraître, jamais on s’enfonce dans des passions tristes. C’est que, comme Strindberg avant lui, il n’a jamais pu « prendre rien au sérieux, même ses plus grands chagrins. » Et de voir là, en même temps, le masque qui filtre et qui permet de travailler et le masque qui ment, qui nous empêche d’avoir des visages, de se parler, de parler à sa propre mère « comme à une amie ». Mais dans tout cela, les bastions avec son père, les disputes avec sa mère, les désamours et les haines de ses comédiens, malgré cette vie dans « ce tas de merde » qu’est le monde, malgré qu’on ne nous a appris que péché, culpabilité et punition, on n’a jamais impression que cette vie ne soit pas joie. Et pensant alors à un de ses premiers film, Vers la Joie, et se dire à quel point sa vie est restée fidèle à ses œuvres ou l’inverse, ne sachant plus, comme il le dit lui-même, ce qui est plus réel : sa vie ou ses fictions. Rarement la douleur de vivre est si bien nommée et la joie malgré tout.