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Le Chaos Macaignien – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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Le Chaos Macaignien

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En lieu et place du Cloître des Carmes, Vincent Macaigne livre sa première création avignonnaise : une libre adaptation de « Hamlet ». Spectacle de 3h30 avec entracte, « Au moins j’aurai laissé un beau cadavre » est le résultat d’un désir, celui de dialoguer avec les grands dramaturges ; d’une urgence, celle de clamer son désaccord avec le système en perdition ; d’un appel, celui de la révolte et de la lutte artistique.
De la partition, magmatique…
Sur le terreau du tragique shakespearien Macaigne orchestre des états de chaos.
A commencer par la partition textuelle qui est un enchevêtrement de couches disparates. Si le metteur en scène choisit de travailler à partir de la traduction de François-Victor Hugo, ce n’est certainement pas pour la respecter à la lettre. Scènes et actes sont coupés et triturés. Des passages de la chronique originale écrite par le moine Saxo Grammaticus au XIIIe siècle y sont insérés. Les langues du XVIe et du XIIIe sont accolées à celle du XXIe. Macaigne écrit lui-même des scènes étrangères à la fable, des rajouts, des sketchs, des réinterprétations ou des déplacements de certains épisodes. S’y donne un langage cru et vulgaire, oral, où la ponctuation se fait à coup de « merde » et de « putain ». Un langage d’urgence ; le langage des « intranquilles », des furieux, de ceux qui sont en perte de pouvoir ; le langage de ceux qui n’ont plus la place, la possibilité, la capacité de s’exprimer et qui le font en hurlant des « Ferme ta gueule ! ». A cet amas textuel, il faut ajouter les emprunts faits par Vincent Macaigne aux auteurs qui l’ont inspiré, ou du moins en faire l’hypothèse. Nietzsche est vraisemblablement dans les parages… Un passage – déformé ? – de Manque de Sarah Kane semble également s’être engouffré dans la bouche d’Ophélie déclarant son amour à Hamlet. Etc. La partition est un véritable magma. D’autant qu’elle est également très visuelle. De nombreuses images fonctionnent comme des épisodes à part entière s’ajoutant à la partition ou supplantant le texte.
Macaigne tire librement les ficelles du mythe pour suivre les lignes directrices qui l’intéressent. Le burlesque est ainsi un des axes qui domine toute la première partie. Claudius, le roi, y apparaît déguisé en banane. Véritable fou furieux, trublion, il prêche la joie et la « fête » à outrance tel un pathétique jet-setter. Grotesque également le traitement du spectre qui devient un furet empaillé. La troupe de théâtre, quant à elle, est incarnée par Roger Roger, un pervers sexuel et libidineux qui traîne avec lui un théâtre classique et poussiéreux.
La chair est l’autre motif particulièrement prégnant de la fable macaignienne. Les jeux érotiques entre Gertrude (reprenant le « Happy birthday Mister President » de Marilyn Monroe tout en faisant un strip tease) et Claudius font glisser les corps jouisseurs jusque dans la fosse boueuse où baigne le cadavre d’Hamlet père. Image de stupre par excellence. Presque trop évidente. Plus inattendu en revanche : le viol à demi consenti d’Ophélie par Claudius. Incarnation charnelle de l’humiliation subie par la jeune fille et de son autosacrifice sur l’autel du mensonge et du pouvoir (cf. château gonflable).
La chair c’est avant tout la matière : le sang qui gicle, l’eau putride et souillée qui éclabousse et déborde, l’herbe ravagée, les alcools déversés, les cigarettes allumées, les musiques tonitruantes, les coups de feu éclatant… le vivant, selon Macaigne.
Le cloître des Carmes assiégé
Champ de foire puis champ de bataille, le Cloître des Carmes est littéralement envahi.
D’abord par les spectateurs sommés par le comédien Sylvain Sounier de monter, avant même que le spectacle ne commence, sur le plateau. Réalisant un véritable tour de force, le « chauffeur de salle » réussit à faire grimper plus d’une cinquantaine de spectateurs sur le plateau pour un moment de liesse et de rassemblement populaire où tout le monde chante, frappe des mains, et semble avoir oublié le regard des autres. Où chacun, le temps d’une bonne vingtaine de minutes, s’est affranchi du rapport scène / salle.
L’invasion c’est bien sûr l’abondance des objets et des particules hétéroclites de décors, des projecteurs et des rampes de lumière qui surplombent l’enceinte religieuse du XIIIe siècle. Les moindres recoins sont investis. Utilisant la hauteur du lieu, Macaigne place au dessus des arcades une cabine vitrée avec volets roulants. Une tribune royale aux allures de construction préfabriquée surmontée d’une enseigne lumineuse de fête foraine qui indique « Il n’y aura pas de miracles ici ». Une vitrine de magasin dans laquelle les personnages deviennent des figurines, des mannequins, des objets de mode. Image du superficiel qui ne manque pas de faire écho aux posters des deux frères affichant d’un côté un Claudius play boy James Bondien et, de l’autre, un Hamlet 1er encapé et ringard. Clin d’œil à la peopolisation des représentants du pouvoir ? Camouflet aux hommes du bling-bling ? Dans tout les cas, la cabine est bien une vigie, une fenêtre ouverte sur le royaume pourri du Danemark, sur la trahison et le mensonge.
L’accumulation des débris – notamment des serpentins tirés par les canons de feu d’artifice et dans lesquels les acteurs s’engluent constamment – mêlée aux matières répandues, ajoutée à la vue des éléments hétérogènes en tout genre – distributeurs automatiques de boissons, collection de trophées, têtes d’animaux empaillés, croix, crânes, piano, etc. – fait régner le désordre et le chaos sur le plateau. Volontairement montrée au public, l’utilisation des artifices est récurrente et va crescendo. L’artillerie spectaculaire s’emballe particulièrement sur l’épisode de la souricière. Pour mettre en œuvre la pièce dans la pièce, pour exécuter le plan d’Hamlet – représenter, grâce au théâtre, le meurtre de son père par son oncle Claudius afin de faire éclater le vérité – Vincent Macaigne a recourt aux fumées, aux musiques inquiétantes, aux litres et aux litres de faux sang. Il atteint le summum avec l’utilisation de souffleries qui érigent un énorme château gonflable ensanglanté du massacre qui vient d’avoir lieu (château qui sera réutilisé pour le viol d’Ophélie).
La souricière, séquence de basculement de la tragédie, nœud dramaturgique, est traitée dans la démesure et l’outrance contrairement à la tuerie finale représentée de manière sobre, réfléchissant ainsi une violence sourde et profonde. Cela arrive après la folie d’Ophélie, elle aussi, finement traitée. Les personnages, à commencer par Gertrude nue et ensanglantée, vont alors s’immerger, un à un, dans un aquarium se remplissant progressivement d’eau et de rouge pour former une communion de corps morcelés. Dans une ultime image, Hamlet contemplera les cadavres laissés, enlacés dans la tragédie de la vérité.
Pulsionnel et physique, le théâtre de Vincent Macaigne s’envisage du côté de la performance. La partition qu’il demande à ses acteurs – et à ses techniciens ! – est redoutable. L’accident d’ailleurs est redouté. Le metteur en scène fait travailler son monde dans la logique de l’épuisement. Il carbure à la rage et à la colère obligeant à crier, courir, patauger, exploser !
Après avoir passé presque dix ans sur plusieurs versions de son Requiem, après avoir revisité Dostoïevski avec Idiot !, le jeune trentenaire affiche ses ambitions en s’attaquant à Hamlet. Un passage – obligé ? – qui semble pouvoir, ou non, inscrire un artiste dans la cour des grands.
Dans la cour des Carmes, en tout cas, le jeune Vincent réalise ses rêves et propose sa vision très personnelle. « On n’a pas pu m’enlever mes rêves parce que j’en recrée tout le temps. Je vais plus vite que ce que le système veut imposer. »[1] confiait-il à Jean-Louis Perrier en octobre 2010. L’homme entend entrer en résistance par le biais de l’art. Sa très libre version d’Hamlet égratigne la société, le fameux « système ». Incompréhension générationnelle, perte d’autorité et de re-pères, échec du dialogue mais aussi peur de l’étranger, consommation forcenée, pouvoir d’achat, privilèges des puissants, dictature du divertissement, aveuglement politique…
« Rien n’est jamais donné à personne. Tout travail est ce que tu en fais. » clame l’acteur Polonius aux abords de la fin du spectacle. Une invitation à retrouver et surtout à chercher en soi les forces vives pour lutter. Au risque de rater et de laisser, par-devers soi, un beau cadavre…
[1] « L’écorcheur écorché » in Mouvement n°58, janvier-mars 2011, p.62.
Au Cloître des Carmes à 21h30, du 9 au 19 juillet 2011, relâche le14.