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Le syndrome de Down et le théâtre – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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Le syndrome de Down et le théâtre


De multiples questions éthiques et esthétiques se lèvent quand on parle de l’art des handicapés mentaux, quoi qu’il en soit : peinture, théâtre, musique, écriture. A-t-on le droit de le traiter comme l’art « des normaux » mais différent? Est-ce qu’il représente un art à part entière avec le label «spécifique » ? Ou alors cette création ne présente-t-elle que le résultat de l’art-thérapie ? Une agitation à peine saisissable flotte dans la salle Benoît-XII. En attendant une représentation au festival d’Avignon du Disabled Theater, le 13 juillet, des spectateurs s’apprêtent à se retrouver face à face à ceux qui sont rejetés par la societé : acteurs en situation de handicap mental, notamment, qui ont le syndrome de Down. Participant au Theater Hora, fondé en 1993 à Zurich, ils sont des acteurs professionnels, ayant une pratique du théâtre et une expérience du public. Michael Elber, metteur en scène de ce théâtre, exécute des répétitions avec ses artistes, montant des spectacles d’après les pièces de Shakespeare, Conrad ou Fellini. Jérôme Bel, cherchant au cours de sa voie artistique de nouvelles formes d’art qui contiendraient un défi contre le régime économique et social, a été invité par Michael Elber pour diriger le travail des comédiens. Il a eu la pratique du théâtre « documentaire » avec des danseurs (Véronique Doisneau en 2004, Pichet Klunchun and Myself en 2005, Cédric Andrieux en 2009), dont empreintes se dévoilent dans le « Disabled Theater ».
Il propose aux handicapés des exercices simples basés sur l’improvisation sans aucune obligation d’endosser le rôle. Par conséquent, la structure de la pièce est élémentaire, les acteurs ne présentant qu’eux-même.
Il y a onze chaises sur le plateau nu, onze bouteilles de Cristaline au côté de chacune. Une femme (Simone Truong) devant un ordinateur se trouvant près des coulisses annonce qu’elle va être interprète pour le public, les acteurs ne parlant que suisse allemand. Elle invite le premier comédien – la confrontation démarre. Il s’agit d’entrer sur la scène et rester là dans le silence pendant une minute. En ce moment-là on regarde fixement les acteurs entrer chacun à son tour sur le plateau, essayant d’approprier l’altérité ou de déceler des ressemblances avec nous.
Cette première action devient une sorte de rencontre initiale afin d’introduire légèrement des acteurs dans la situation de représentation. Toutes les autres seront réalisées avec une sincérité totale et absolue. Une certaine gêne s’établit, le public se transformant en un voyeuriste contre son gré. Ces acteurs ne savent pas mentir, n’ayant aucune notion de la simulation. D’ailleurs, on doute parfois de leur nécessité du public : quelques-uns ne ressentent aucune relation avec la salle, chaque comédien possédant sa situation particulière de handicap.
Une autre tâche : dire son nom, âge et profession, ensuite, raconter son handicap, qui devient le moment le plus émouvant et dur à entendre. Leurs révélations prononcées basculent notre état paisible et met en valeur une distance insurmontable entre les spectateurs et les handicapés. Il semble que certains acteurs ne se rendent pas compte de leur situation, ils ne profitent que d’une possibilité d’être devant le public afin de montrer leurs talents, la sincérité des autres accentuent un abîme entre eux et nous. Voici quelques citations :
Un garçon, 20 ans : « Cela me dérange pas, tout simplement je suis plus lent que les autres et ma maman est parfois fâchée » ;
Une fille, 23 ans : «J’ai la trisomie 21, c’est-à-dire, j’ai une chromosome de plus que vous tous, normaux, dans la salle » ;
Une femme, 41 ans : « Je suis mongoloïde, putain de mongoloïde. Et cela me fait mal » ;
Une fille, 19 ans : « J’ai le syndrome de Down et je suis désolée ».
En outre de ces confidences les acteurs présentent leurs danses qu’ils ont inventées selon leur propre chorégraphie, accompagnées d’une musique choisie à leur goût. Presque tous ont préféré des chansons rythmiques sauf un homme qui a eu l’engouement pour le jazz. Certains ont révélé des capacités extraordinaires de la sensation du rythme et des talents de copier et reproduire minutieusement des mouvements de danse qu’ils auraient dû voir dans des clips vidéos. Certes, on ne pourrait aucunement les comparer avec des danses professionnelles, pour autant cette expérience scénique constitue un moyen de communication pour les comédiens du Theater Hora, voire la possibilité de l’adaptation à la vie ordinaire.
Des spectateurs applaudissent afin d’encourager les artistes, sourient et rient mal à propos, au même temps quelques-uns n’arrivent pas à se retenir de pleurer. Un sentiment ambigu ne me quitte pas : comment est-ce qu’on doit réagir ? Faudrait-il qu’on fasse semblent d’être heureux et amusé tout en compatissant et en comprenant notre impuissance de corriger leur situation ? De l’autre côté, nos larmes ne sont pas non plus très attendues, surtout si des acteurs aspirent à partager pleinement la vie « des normaux ». De nouveau, un aveu franc remet en question une réaction rieuse du public: « Je ne sais pas comment traiter cette pièce. Mes parents n’ont pas aimé. Après le spectacle ma soeur a pleuré dans la voiture. Elle a dit que nous sommes comme des bêtes dans le zoo ».
Il est possible que cette pièce vise à rendre la société plus charitable, à démasquer sa sensibilité, à faire appel à son humanité. En plus, on déterre le fameux problème de la tolérance exigeant de « faciliter la vie des handicapés tout en les sociabilisant ». Néanmoins, tant qu’on réfléchit sur l’aspect éthique de ce type de représentation, on se permet de poser une question : est-ce que la révélation au grand public de l’art des handicapés mentaux est légitime par rapport à eux-mêmes dans le sens du secret médical? Leur création étant le résultat d’un organisme malade ne doit-elle pas être gardée confidentielle ?
Pourtant, tout exposé plus haut porterait, probablement, une pointe de rhétorique, car notre époque de dérives des repères ne trouverait pas bientôt une réponse claire et déterminée à ces interrogations.