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Légendaire, peut-être – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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Légendaire, peut-être

Pour cette nouvelle édition du Game Play, festival à la croisée des arts de la performance et des jeux vidéo, Eddie Kim et sa troupe reviennent avec Legendary, Maybe d’après l’Ab Urbe condita Libri de Live, histoire de revisiter l’Histoire, la grande cette fois-ci, sur grand écran et avec des consoles. Manière aussi de s’interroger sur une forme en devenir et sur les possibilités d’un théâtre numérique. Le résultat est pour le moins surprenant, mais il reste encore à préciser le trait.
Il faudrait, pour être tout à fait honnête, commencer par dire que la venue de l’EK Theater suscitait beaucoup d’enthousiasme de la part des habitués du théâtre et même (dans une moindre mesure cependant) chez ceux qui, comme moi, avaient simplement entendu parler de leur travail : un subtil mélange d’informatique et de storytelling. Depuis 6 ans déjà, la jeune compagnie conçoit des travaux à l’intersection du théâtre, des jeux vidéo et de la bande dessinée (Cathleen ni Houlihan, Niobe…). Elle fait sensation en 2010 pour la présentation de son Grand Theft Ovid, une adaptation multimédia des Métamorphoses dont les personnages sont issus de jeux aussi célèbres que World of Warcraft, Halo 3 et Grand Theft Auto. J’avais donc lu, et entendu dire, que la singularité du travail d’Eddie Kim reposait dans sa façon de réinventer l’art de la marionnette et de confronter des textes anciens aux plus récentes technologies. Mais pour l’inculte que je suis (en matière de culture geek j’entends), l’idée de porter un jour sur scène des jeux vidéo, ou de s’en servir comme matériau pour le théâtre, me paraissait à tout le moins farfelue, sinon extravagante. Je trouvais néanmoins la chose intéressante, et c’est dans cet état d’esprit que je me rendais au Brick pour assister à l’un des temps forts du festival.
« Le drame des distances »
Legendary, Maybe raconte un passage de L’Histoire de Rome depuis sa fondation selon Tite-Live, à partir des fragments qui nous sont parvenus (Livres I.LX – II.XIII) : le retour impossible de Tarquin le Superbe, dernier roi de Rome, condamné à l’exil après des années de pouvoir tyrannique et par la faute de son fils Sextus (la légende veut que le viol de Lucrèce provoque la fin de la monarchie et le début de la République). La pièce commence donc in medias res dès le bannissement du roi et obéit tout le long à ce même principe fragmentaire qui ne répond pas seulement à la disposition du matériau premier, à savoir le texte, mais qui permet aussi au metteur en scène et à son équipe de pouvoir naviguer entre les différents univers que lui offrent les jeux (Call of Duty, Mario 64, Assassin’s Creed, Minecraft…) ; chaque segment de l’histoire correspondant à un ou plusieurs jeux vidéo et permettant au spectateur de se repérer en fonction de l’environnement dans lequel évoluent les personnages – objets de métamorphoses eux aussi. De l’automate, de l’avatar, du personnage….il y aurait là plusieurs figures de jeu à interroger.
Le dispositif proposé semble être le même que celui des précédentes pièces. Plusieurs ordinateurs ainsi que de nombreuses manettes de jeu reliées par de longs câbles sont juchés sur une table au centre de la scène. Les joueurs/performeurs, dos au public, attendent l’arrivée des derniers spectateurs pour pouvoir commencer la partie. L’écran implique nécessairement un rapport frontal qui donne vite l’impression de se trouver dans une salle de cinéma bien plus qu’au théâtre. Il joue peut-être le rôle d’un cinquième mur que l’on s’efforce d’oublier un instant pour pouvoir s’identifier avec les protagonistes de l’action, comme par reflexe, mais sans jamais vraiment y parvenir. À moins que ce ne soit précisément l’objet du dispositif que de nous maintenir à distance puisque les points de vue adoptés alternent entre la première et la troisième personne, jouant de l’immersion du spectateur. Les seules choses « in », pour reprendre un mot du jargon et par là designer le caractère vivant du spectacle, comme on dit du théâtre qu’il est « vivant », sont -paradoxalement- la voix-off du narrateur qui raconte l’histoire et la présence effective des joueurs sur le plateau. L’action, elle, se trouve déplacée vers un ailleurs qui reste présent, in situ, mais qui ne correspond plus au hic et nunc des conventions théâtrales. L’occasion peut-être de déplorer une fois de plus les « drames » spatiaux-temporels qu’engendrent les technologies sur les arts du spectacle et la manière dont les écrans envahissent la scène, de se lamenter sur la nature d’un théâtre devenu un peu trop virtuel, sur l’absence de jeu des comédiens et leur perte de présence ainsi que celle du public…bref, une manière de (re)tenir le théâtre dans ses formes habituelles et reconnaissables, là où il serait peut-être judicieux de réfléchir aux limites du genre lui-même, à l’épreuve de ces nouvelles formes.
Machinima theater
L’on se rappellera alors que l’on fait l’épreuve d’une téléscène, du nom de ces nouveaux types de scènes à distance qui peuvent être des lieux numériques ou des lieux réels, ou bien encore la combinaison des deux, espaces physiques et virtuels, selon des modes et des procédés reconfigurables à l’infini (1). Après tout, le théâtre s’est bien accommodé de cela depuis des années et il en va ainsi de son histoire. Mais ce qui est réellement intriguant ici ce n’est pas tant d’être confronté à cet arsenal d’engins électroniques, c’est surtout de ne pas savoir de quoi l’on fait l’expérience. Car outre le fait d’inventer un nouvel art de la marionnette, « sans fils » pourrait-on dire, EK introduit dans ses créations des petits machinimas* qu’il réalise lui-même ou avec son équipe et qui donnent à leur travail une dimension encore plus hybride. Le spectacle oscille ainsi entre théâtre, performance, installation, cinéma et jeu vidéo. Un ovni théâtral qui se cherche encore une forme mais qui esquisse déjà des possibilités dramaturgiques intéressantes.
Réfléchissant alors sur les possibilités d’un tel théâtre, le spectateur que je suis aura eu la conviction un instant que le théâtre peut être le lieu de l’hybride par excellence. Autrement dit, le lieu où s’inventent et s’expérimentent de nouvelles formes. Et c’est, je crois, cette fonction presque maïeuticienne du théâtre, qui est contenue dans l’idée d’un ‘théâtre laboratoire’. Une chose enfin, me conforte dans cette idée : c’est l’âge moyen des performeurs qui est de 11 ans tandis la plupart des spectateurs ont entre 5 et 14 ans. Il est probable que cette génération produise un théâtre très diffèrent de celui auquel nous nous étions habitués…
* Le mot machinima est un mot-valise forme à partir de machine, cinéma et animation.
1. voir les Basiques : Digital Performances par C. Bardiot, OLATS/Leonardo
http://www.olats.org/livresetudes/basiques/artstechnosnumerique/basiquesATN.php
Legendary, Maybe – Four machinima theater pieces
Game Play Festival
Brick Theater, du 5 au 28 Juillet 2013