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Libres pérégrinations du regard – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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Libres pérégrinations du regard

La plasticienne propose au Théâtre de l’Échangeur à Bagnolet sa dernière création, Lignes de fuite. Entre proposition plastique et performance visuelle, l’artiste contredit le rythme d’hyperproduction contemporaine des images et nous invite à de libres pérégrinations du regard où chaque image surprend par sa beauté volatile et mouvante.

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Vous connaissez ces instants où, autour de soi, l’espace semble animé soudain par une matérialité différente, comme accentuée ? Lorsque son regard s’oublie sur des horizons que ne bloquent plus les façades d’immeubles, sur le sourire d’une personne qui marche, perdue dans ses pensées et qu’on se prend à sourire aussi, ou encore sur une maison usée qu’on aurait oublié de détruire et qui trône au milieu d’immeubles modernes et clinquants. Autant de lignes de fuite qui s’ouvrent à partir d’un détail, d’une légère incohérence dans le déroulement de l’existence. Des arrêts sur image qui, loin de figer le paysage, le mettent en mouvement autrement. Moments suspendus d’une poésie au quotidien dirait l’autre, une poésie ne cherchant pas à rendre le monde meilleur ou à le transcender mais qui s’impose au regard silencieux du témoin anonyme.
Ce sont de telles expériences poétiques de regard que nous propose l’artiste Marie Marfaing dans sa dernière création, Lignes de fuite, présentée au Théâtre de l’Échangeur à Bagnolet en mars 2017. Arpentant le plateau de sa silhouette fine et noire sur de hauts talons elle place, déplace et fait tourner des projecteurs vidéo parfois capricieux et compose moins des images que des espaces de regard. Espaces entravés par ces énormes ballons suspendus qui reflètent, décalent ou obstruent la lumière, comme ces billes avec lesquelles on jouait enfant, entre ses doigts, pour en découvrir toutes les couleurs. Elle mélange images fixes et images mouvantes, ajoute ou retire avec un soin minutieux des caches de couleur, branche un ventilateur dont la durée de vie sera aussi courte que celle d’une fleur.
« Un homme qui lit au ralenti dans la gare de Nancy – une loupe à la main – tournant les pages par paquets – marchant dans une tout autre temporalité de ses contemporains.
Une rue à Istanbul où suivant sur trois étages un câble électrique et révélant une triplette se balançant dans le vide au milieu de la rue en suspend une triplette ménagère abandonnée.
Des vitrines de Noël à Paris – des marionnettes monstrueuses en guise de Père-Noël – vitrines qui se succèdent et donnent la nausée.
Un merle joyeux picorant sur une tombe. Et bondissant hors champ.»
[/Marie Marfaing,
extrait du texte de présentation du spectacle/]

Les images construites par Marie Marfaing s’entremêlent en échappant à toute narration possible. Nul besoin de chercher à produire du sens, ou de la pensée. Là n’est pas la question. Ce que la plasticienne nous offre, ce n’est précisément pas une question, mais un espace pluriel pour prendre le temps de regarder. Pour laisser son regard déambuler avec elle entre ces murs qu’elle habille d’images en mouvement, pour se placer avec elle à l’avant d’un bateau et observer les nuages bas qui semblent sur le point de se confondre avec l’eau. On se surprend à sourire lorsqu’au milieu des images projetées du manège monstrueux des marionnettes colorées aux yeux globuleux, tout ce que l’on parvient à voir c’est ce panneau de sens interdit qui reste étrangement fixe. Ou encore lorsque, le spectacle étant achevé depuis une heure déjà, trotte encore dans la tête cette mélodie entêtante que Marie Marfaing avait enfermé dans une balle en mousse noire et qu’elle faisait rouler sur le plateau. Une heure pour s’autoriser à rêver à d’autres lignes de fuite, sans qu’il soit question d’aller quelque part, pour le seul plaisir d’une pérégrination du regard.
Henri Cartier-Bresson parlait de l’instant décisif pour désigner la fraction de seconde au cours de laquelle le photographe capture l’image sur le point de naître et de mourir. Marie Marfaing, avec Lignes de fuite, préfère suspendre cet instant et nous laisser le temps de voir apparaître et disparaître des images qui ne se figent jamais. Des images volatiles qu’elle met en scène par des assemblages plastiques faits de bric et de broc souvent, et dont la beauté vient nous toucher entre deux sourires amusés et surpris. Comme ce visage apparaissant et disparaissant derrière un rideau de pluie ou cet escargot qui décide, au milieu de son trajet, de sortir du champ par une ligne de fuite détournée.