Cette page requiert que JavaScript soit activé pour fonctionner correctement. / This web page requires JavaScript to be enabled.

JavaScript is an object-oriented computer programming language commonly used to create interactive effects within web browsers.

How to enable JavaScript?

Mademoiselle la Vierge, est-ce que vous pouvez vous boucher les oreilles ? – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
illustration article

Mademoiselle la Vierge, est-ce que vous pouvez vous boucher les oreilles ?

Jardin de la vierge du lycée Saint-Joseph, Sujets à vif. Du 19 au 25 juillet à 18h00, le programme D combine « Son son », un concert de chansons composées et interprétées par Nicolas Maury, accompagné au piano par Julien Ribot, et « Scum rodeo », spectacle mis en scène par Mirabelle Rousseau à partir du manifeste rédigé par Valérie Solanas en 1967 interprété ici par Sarah Chaumette.

A jardin, le buste d’une licorne en plastique rose avec une crinière bleu ciel, genre Mon Petit Poney. Au lointain le grand portrait d’un jeune enfant en pleurs. Un arbre auquel est accroché, sur un cintre, un T-shirt représentant le visage poupin de Naomi Watts. Sur la corniche d’une colonne, une canette de Heineken. A cour, le clavier de Julien Ribot. Décor ambivalent : la chambre d’un homme-enfant ? Nicolas Maury arrive en Arlequin contemporain : pantalon saumon, chaussures assorties, polo à losanges de couleurs vives, bavoir intégré à rayures blanches et bleu ciel de style Petit bateau. Première chanson au bord du plateau, en guise de présentation :
Je n’ai que bonjour à vous dire.
Pas une grande tirade héroïque.
Pas de grandes phrases sur la philosophie et la métaphysique.
Moi je viens dire et juste dire ‘bonjour’.
J’ai perdu mon bonnet et c’est un drame.
Ca vaut tous les discours.
Pour l’acteur que je suis, Nicolas Maury. C’est un drame.
Et c’est pour ça qu’il n’y a pas de drame.
Ou alors tout est drame.
D’un ton badin, avec le timbre enfantin qui caractérise sa voix, la moue parfois boudeuse qu’on lui connaît, Nicolas Maury souffle au spectateur des mots légers comme des bulles de savon. Pour la troisième chanson, il troque son polo contre le T-shirt de Naomi Watts : « Les ‘I love you’ de Naomi, qu’ils soient vrais ou faux je m’en moque. Je les répète à l’envi. » Déclaration d’amour à la licorne rose : « I love you ». Nicolas Maury parle en chantant ou chante en parlant, un peu comme Bénabar, sauf que ça n’a rien à voir. « Help me » en mode hurlements. Nicolas Maury parle, chante, crie, danse, emplit la scène de sa présence magnétique, joue avec le public. Il s’éloigne, se ravise, revient à l’avant-scène : « Merci pour la musique du téléphone », dit-il, taquin, au spectateur dont la sonnerie de portable a retenti de façon intempestive pendant la chanson. « Et maintenant, une chanson sur la fellation ». On rit de l’incongruité du discours dans ce décor enfantin rose et bleu. Nicolas Maury poursuit à l’adresse de la statue de la vierge à l’enfant, qui donne son nom au lieu : « mademoiselle la vierge, est-ce que vous pouvez vous boucher les oreilles ? » Il entame sa cannette de bière, que Julien Ribot terminera : « Y aura-t-il de nouveaux amis, je te le demande Julien ? » La dernière chanson, « C’est ça », déclenche un nuage de fumée blanche qui envahit progressivement le plateau, engloutit Julien Ribot à son piano, Nicolas Maury assis en bord de scène, un petit clavier sur les genoux pour retraiter sa voix, jusqu’au public qui finit par disparaître aussi, comme dans un rêve. Un concert simple et joyeux, où chacun retrouve l’enfant qu’il a été sans pour autant regretter l’adulte qu’il est devenu, où chacun est invité à assumer ses ambivalences.
Mais la vierge du jardin n’a pas fini de devoir se boucher les oreilles puisque le second volet de ce Sujet à vif consiste en une mise en scène du manifeste féministe radical « SCUM » écrit par Valérie Solanas à New York en 1967. Pendant l’installation du nouveau dispositif, un pupitre et un micro au milieu du plateau, on distribue aux spectateurs le texte de ce manifeste imprimé en rose et bleu –fil de couleur fortuit qui se tisse entre les deux volets du Sujet à vif – à l’image de l’auteur qui le distribuait dans les rues de la Big Apple :
La vie dans notre société étant tout au mieux d’un ennui sans nom et aucun aspect de cette société n’étant adapté aux femmes, il ne reste plus à celles qui sont responsables, aux intrépides dotées d’une conscience citoyenne, qu’à renverser le gouvernement, éliminer le système monétaire, mettre en place l’automatisation et détruire le sexe masculin.
A la tribune, Sarah Chaumette se lance dans une tentative de définition : SCUM comme racaille, rebut, la lie, la crasse, comme « Society for Cutting Up Men » où le cut-up n’a rien à voir avec la technique de William Burroughs (dont Mirabelle Rousseau a déjà mis en scène des textes). La comédienne présente ses excuses par avance : le manifeste a été coupé pour respecter la contrainte temporelle du sujet à vif et ne pas excéder 30 mn. « Le mâle est un accident biologique : le gène Y (mâle) n’est qu’un gène X (femelle) incomplet ». Et encore : « Le mâle a fait du monde un gigantesque merdier ». Deux hommes dans le public, crâne dégarni, commentent à mi-voix chacune des phrases polémiques, donnant dans une surenchère faussement détachée :
« Les SCUM, leur règne n’est toujours pas arrivé.

 Certes, mais il ne faut pas désespérer. »
Un spectateur à cheveux blancs descend ostensiblement les gradins, s’arrête au bord du plateau et lance à la comédienne : « A poil ! » Elle, de rétorquer : « Vous partez trop tôt… » Il part trop tôt en effet pour prendre la pleine mesure de l’ambivalence qui, là aussi, comme dans le premier volet du Sujet à vif, caractérise le dispositif. Le spectacle donne à réentendre ce manifeste, selon une démarche chère à Mirabelle Rousseau qui a déjà monté des manifestes dont ceux de Gertrude Stein, Elfriede Jelinek, Christophe Tarkos ou encore Jean-Patrick Manchette. Son « sextrémisme » résonne avec force dans ce contexte d’interventions récurrentes des FEMEN sur la scène politique, tout en faisant l’objet d’une distanciation humoristique.
« Maman veut le meilleur pour ses enfants » : regard appuyé en direction de la Vierge à l’enfant sous le patronage bienveillant de laquelle se déroule le spectacle. « Le sexe est le refuge des idiots ». Débandade du micro qui, jusque-là dressé vers la bouche de la comédienne, se met à pendre tristement vers le sol. Sarah Chaumette décline alors l’identité asexuelle des SCUM : « il faut avoir beaucoup baisé, à voile et à vapeur, pour se libérer de la servitude du sexe, se libérer du respect du mâle et du qu’en dira-t-on. D’ailleurs, le conflit n’est pas entre les mâles et les femelles, mais entre les SCUM et les fifilles à papa. » L’oratrice s’enflamme, monte debout sur le pupitre devenu piédestal, ses longs cheveux blonds électrisés, droits sur sa tête, auréolant son visage, le regard illuminé tourné vers les vitraux de la chapelle à cour. Ainsi la SCUM asexuelle se hisse à la hauteur de la statue de la Vierge dont elle propose un contrepoint caricatural en nouvelle Folle de Chaillot. Le lieu fait ironiquement retour sur l’origine étymologique du terme « manifeste » qui, de déclaration publique, deviendrait presque manifestation de la volonté divine. Mais pas plus que sa théorie extrême, qui préconise de s’opposer « au système dans son entier, de tuer, piller, foutre la merde jusqu’à ce que le système argent-travail n’existe plus », la SCUM ne parvient à convaincre qu’elle tient debout. Le PAM (Personnel Auxiliaire Mâle) qui a installé le dispositif, y a placé la comédienne et a donné le départ du spectacle, en décrète la fin, faisant irruption sur le plateau pour faire descendre la comédienne de son estrade. Elle s’exécute de bonne grâce après avoir chanté La Jeune fille et la mort de Schubert, épilogue musical, dernier chant du cygne-utopie. Et revient saluer en compagnie de son fils, dont l’intérieur du bras droit est tatoué des lettres SCUM.
Avec la complicité de Sarah Chaumette, qui sert remarquablement bien le projet, Mirabelle Rousseau réussit son pari : rendre hommage à la forme du manifeste, au geste politique qu’il implique, affirmer la nécessité politique, artistique, de l’utopie tout en la mettant à distance. Ce n’est pas au Festival d’Avignon, né de l’utopie vilarienne, lieu des utopies contemporaines (comme le clame le sous-titre du documentaire de Nicolas Klotz créé pour cette 67e édition, Le Vent souffle dans la cour d’honneur) que l’on viendra dire le contraire…