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McBurney: Le Maître enchanteur – L'!NSENSÉ
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McBurney: Le Maître enchanteur


Une adaptation visuelle du roman fantastique Seize chaises inoccupées. Deux micros en avant scène crépitent d’impatience. Lorsque vingt-deux heures retentit dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, quelques spectateurs retardataires rejoignent rapidement leur place. Les minutes passent puis, comme par enchantement, une lignée d’acteurs entre en scène. La lumière du public s’assombrit alors peu à peu. Les comédiens s’assoient sur leur chaise. Juste le temps d’une respiration et nous voilà lancés pour l’ouverture du 66 festival d’Avignon le 7 juillet 2012. Dans une mise en scène foisonnante de mots et d’images, Simon Mcburney nous donne à voir une adaptation fidèle du roman de Mikhaïl Boulgakov. Le maître et Marguerite nous transporte dans différents lieux, différentes époques à travers différents styles de jeu. L’artiste avec humour, surprise et émotion réalise un spectacle dont la beauté des images nous illumine. Sur fond de critique sociale, Simon McBurney partage sa vision d’un monde infini, d’une longue et entraînante histoire.
L’image imaginée comme travail créateur
McBurney fonde sa compagnie Complicite à Londres en 1983 au coté d’Annabel Arden et Marcello Magni. Au coté de seize comédiens, le metteur en scène demeure un des pionniers du théâtre multimédia. Dans A disappearing Number (2007), il créé un spectacle multitemporel et multidimensionnel entre science et mémoire grâce à de nombreux procédés visuels. En scène, il utilise les technologies comme preuve du développement humain qu’il perçoit comme des outils de communication. Tout comme le metteur en scène québécois Robert Lepage, Simon Mcburney se sert du multimédia comme moyen de raconter une histoire. Le travail de McBurney investit également une importante dimension sonore. Ses différentes créations témoignent de l’importance auditive du spectateur. Il monte une pièce radiophonique pour la BBC To the weeding (1997) ainsi qu’un opéra Dog’s heart (2010). Acteur lui-même au théâtre et au cinéma, le jeu des comédiens dans ses productions théâtrales est toujours mis en avant. C’est pourquoi le théâtre de McBurney peut être perçu comme un art pluridisciplinaire. Ses spectacles visuels et sonores témoignent également d’un engagement littéraire soutenu par le jeu d’acteur. Simon McBurney se forme en tant qu’acteur à l’école Jacques Lecoq à Paris. C’est là qu’il saisit l’importance de créer, d’imaginer et de raconter des histoires. La notion d’imagination en tant que muscle défendu par Jacques Lecoq ne quitte jamais McBurney: « Parce qu’à la fin, le théâtre n’existe que dans l’imagination du spectateur1 ». En tant que metteur en scène, il guide ses comédiens dans la quête de cette propre imagination pour trouver une façon propre à soi de s’exprimer. L’identité artistique de ses comédiens fait de sa compagnie une force éclectique. McBurney réalise également un théâtre de fouille qui questionne l’être humain dans toutes ses cultures, notament le théâtre asiatique. Pour cela il s’engage au près d’acteurs d’horizons et d’identités différentes. Mcburney est un scientifique qui cherche des réponses. Héritage d’un père archéologue, il est tenté de répondre à de grands mystères humains. Simon Mc Burney aime mélanger les outils scéniques et techniques. Chaque nouveau moyen de communication est une façon d’inventer et de créer du spectacle : marionnette, caméra, projections, écran etc. A 16 ans, McBurney découvre le texte de Boulgakov dont il ne cerne pas directement tous les enjeux sociaux. Plus tard, il monte une nouvelle de cet auteur (Dog’s heart) et se replonge dans Le maître et Marguerite après avoir côtoyé le milieux russe à l’école d’art de Stanislavski. Boulgakov écrit Le Maître et Marguerite sous le régime totalitaire de Staline entre 1928 et 1940, année de sa mort. Publiée à titre posthume en 1966, cette œuvre peint la société Russe des années 1920. Mélange des styles d’écritures, ce roman historique et fantastique met en parallèle trois histoires, celle de Ponce Pilate et Jésus, celle de Ivan l’écrivain de cette nouvelle, et celle de l’histoire d’amour entre le Maître et Marguerite. Woland, figure fantastique de Satan, semble surplomber toutes ses histoires. « Ce roman maudit » car jugé presque impossible à monter voit à la cour d’Honneur son sort corrompu.
Tourbillon de sensations et d’illusions dans un monde chaotique
Le maître et Marguerite de McBurney donne vie à un montage endiablé. Un rythme scénique dynamique qui mélange humour, tragédie et burlesque. Les récits se croisent, se décroisent, s’emmêlent, se prolongent. L’essentiel de la fable de Boulgakov est préservée et nous donne à entendre un texte littéraire adapté au théâtre mais fidèle. Le metteur en scène préserve la superposition des récits et le mystère qui naît de cette écriture. Sur le plateau, la présence ou non du quatrième mur donne à voir des moments de narration, d’interaction avec le public et de dialogue joués parfois de manière cinématographique. Les scènes comme les parties du roman s’emboîtent à la perfection. Comme par magie, sans même que le spectateur s’en aperçoive, le décor change, se transforme. Un clignement de paupière suffit pour nous trouver dans un lieu différent. La douce métamorphose des lieux dépose une poésie corporelle dans l’espace. Les acteurs déplacent les chaises, les tables, une cabine. Ils vont au ralentit, miment, dansent presque. Le sol leur permet de glisser, de virevolter, d’évoluer dans un monde en suspension. De cet aspect naît une fluidité narrative exaltante. L’univers aérien présent dans ce spectacle se confronte avec l’ univers terrien voire souterrain d’une sombre société russe, de ses ombres malfaisantes. Le metteur en scène tout comme Boulgakov décrit une Russie violente, étouffante, avide d’argent, de ragots et quelque peu hystérique. Un univers de contrôle dans lequel le portrait de Staline projeté deux fois sur les mur du Palais des Papes confirme la présence d’un pouvoir autoritaire. La pensée unique devient un sujet important quand ceux qui s’éloignent d’une littérature de masse ou ceux qui osent prononcer « I hate this city! » sont jugés fou et enfermés dans un hôpital psychiatrique. La population elle même est violente. Le présentateur du théâtre des Variétés se fait jeté par dessus la fosse par un comparse de Woland, figure de Satan, sans même que les spectateurs réagissent. La critique de la société du passé est accompagnée d’une critique de la société d’aujourd’hui. Cette comparaison s’ établit grâce à l’image du public filmé en direct et celle d’un public de théâtre d’autrefois. Ces deux images sont projetées tour à tour face à nous et interrogent le spectateur. Le public et le théâtre même deviennent le sujet d’étude de Woland : « Les citoyens ont-ils changé à l’intérieur? » La lumière sur le public marque une coupure avec la fiction et redouble l’inquiétante étrangeté de Woland dans son long costume noir. La masse a des valeurs positives et négatives. Elle oscille sans cesse entre le bien et le mal. Comme un coup de révolte de la part de l’artiste et une sombre projection du passé, McBurney projette en parallèle des soldats Nazis sur les murs de la cour d’honneur, embryon d’un engagement politique. Cependant McBurney insiste d’avantage sur le coté poétique et fantastique de l’histoire. Il cherche à amuser le spectateur et fait parfois de quelques scènes un vrai show soutenu par des musiques pop (Mig Jegger). McBurney se sert de la présence de caméra sur scène pour filmer et projeter en direct des images du plateau. Ce processus peut rappeler certains jeu de télé-réalité. Ce jeu d’images visuelles accentue également le mystère et l’enchantement du roman. Par son immensité, son toit cosmique, sa valeur historique et religieuse, le Palais des Papes met en lumière la force spirituelle et mystérieuse du roman de Boulgakov. Ces deux monuments créent une poésie fantastique étonnante. L’utilisation complète de l’espace, les murs, les fenêtres et l’attente du Chat et de Belhémoth tout en haut à jardin ouvrent les spectacle sur l’infini. Pendant la représentation le public peut être lié à des éléments naturels. Les bruits sourds qui ponctuent le texte résonnent comme les coups de tonnerre de l’orage qui annoncent le chaos futur sur la ville de Moscou. Dans la seconde partie de la pièce comme celle du roman tout s’enflamme, les manuscrits brûlent. Les flammes bleus, rouges ou oranges, projetées sur les murs du théâtre illuminent les yeux des spectateurs.
McBurney nous donne à voir et à imaginer des lieux, des temporalités, des sensations: la ville de Jérusalem et sa chaleur, la ville de Moscou grise et terne, le ciel d’une nuit étoilée, les moucherons qui se glissent sous la peau de Jésus. Des jeux d’ombres viennent prolonger ses jeux de lumières et renforcer l’aspect onirique irréel et fantastique du texte.
Des images fortes se côtoient : Jésus nu crucifié sur le mur du Palais des Papes, le regard diabolique et tourmenté de Ponce Pilate… Dans ce tourment, la pensée humaine n’est pas au repos. L’homme se questionne sur le vrai, le faux, la vérité, le bien et le mal, la croyance. Marguerite, qui passe un pacte avec Woland, vole. Assis sur le plateau, une caméra filme la comédienne et projette l’image à la verticale sur l’immense mur du Palais des Papes. Les images qui défilent derrière elle donnent une impression vertigineuse et Marguerite qui se relève sur le plateau se fait ensuite porter de façon presque enfantine par d’autres comédiennes. Beauté d’une image surréaliste, l’illusionniste McBurney nous emporte dans ce voyage céleste. Il abolit les frontières entre fiction et réalité. Dans ce tourbillon de tableaux, les éléments naturels se déchaînent. Deux sphères comme deux globes terrestres projetés représentent les deux mondes : celui de l’eau, celui du feu, celui du mal, celui du bien. Cette pensée à première vue manichéenne s’analyse différemment suite à la phrase citée dans le spectacle et inscrite au début du roman de Boulgakov : « Je suis une partie de cette force qui éternellement, veut le mal, et qui, éternellement, accomplit le bien » citation qui à la fin nous permet d’analyser le passage d’un même comédien de Satan à Jésus.
Après la mort de Juda et la chute de tous les autres comédiens, il s’agit de la chute du Palais. Déjà sur le fond de scène, le mur s’est fissuré au mot « Compassion ». La liberté que donne l’écrivain à son oeuvre, le metteur en scène à son oeuvre et à l’histoire est trop grande. Elle provoque la fin d’un monde mais annonce le début d’un autre dans lequel notre imagination ne s’éteindra jamais et où les hallucinations deviendront images.