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Paranoïa… entre B et Z. – L'!NSENSÉ
Bienvenue sur la nouvelle scène de l'!NSENSÉ
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Paranoïa… entre B et Z.

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Présentés séparément, mais figurant les deux derniers volets d’un ensemble intitulé l’Heptalogie, les textes Paranoïa et L’Entêtement de Rafael Spregelburd, librement inspirés des Sept Péchés Capitaux de Jérome Bosch, sont joués à la salle Vedène-Espace Bardi dans une mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo et Elise Viger. Retour sur Paranoïa, ou 2H20 en immersion…
Spregelburd : une « toute » petite entreprise…
Visible au musée du Prado, les sept péchés capitaux de Jérome Bosch sont, au hasard d’une rencontre, à l’origine de l’Heptalogie de Spregelburd, né en 1970, à Buenos aires, auteur, metteur en scène et directeur de la compagnie El Patron Vazquez, depuis 1994
Composé de l’Inappétence, de la Modestie, de l’Extravagance, de la Connerie, de la Panique, de la Paranoïa et de l’Entêtement, l’essai poétique de l’auteur pourrait être assimilé à une sorte d’Odyssée pointant et soulignant les dérives de la fin du XXème siècle. Toutes les dérives qui, inspirées d’un art religieux qui traitait les sept péchés capitaux : « orgueil, avarice, colère, luxure, envie paresse, gourmandise » trouveraient de nouvelles traductions dans un monde moderne. Dérives et mutations donc où la valeur d’ordre viendrait à se régénérer sous d’autres formes, à commencer par le souci obsessionnel de l’origine, du centre, de l’Un… Idées et fondements de nouveaux ordres moraux mis en difficulté ces dernières décennies. Spregelburd développe alors ainsi : « Mon Heptalogie est personnelle et tente de témoigner de la chute de l’ordre Moderne qu’on croyait le nôtre ». D’où ces sept œuvres qui s’appellent et s’interpellent (…) à travers un réseau enchevêtré de grammaires et de références croisées cachées sous l’épiderme du langage. Mieux exprimé par un théorème de Gödel et que je modifie de mémoire : tout système fermé de formulations axiomatiques comporte une proposition non énonçable, indécidable, à partir des éléments de ce même système »
Et Spregelburd d’ajouter : « j’ai écrit ces œuvres comme si j’avais égaré moi-même le dictionnaire de la modernité. Alors, il se produit chez moi le phénomène recherché : l’étrangeté ».
Cette étrangeté n’est sans doute pas pour déplaire à son compatriote et ami Marcial Di Fonzo Bo. Acteur au cinéma, interprète de Picasso pour Woody Allen, formé auprès d’Alfredo Arias et ambassadeur du théâtre de Copi… Di Fonzo Bo aura trouvé au TNB une partie de sa formation, chez Claude Régy une rigueur d’acteur, mais c’est Matthias Langhoff qui, dans la cour d’honneur, en lui offrant le rôle de Richard III, le porte à une visibilité depuis jamais quittée. S’en suivent une dizaine de spectacles et dans le même temps le désir naissant de faire de la mise en scène. Pas qu’il franchit en créant le Théâtre des Lucioles. C’est cette bande-là que l’on retrouve dans le In d’Avignon.
Paranoïa… histoire courte
Indifférent au spectateur qui prend place lentement dans la grande salle de Vedène, sur un grand écran est projetée une vidéo de nageurs, prisonniers d’une sorte d’aquarium. Puis, parasitée, l’image floue d’un capitaine se substitue aux sirènes. Il s’agit du commandant du Sous-marin le « Chez –nous » où nous sommes désormais contraint de résider prévient « Mister Nemo ». L’heure est grave, la minute est à la bombe atomique, aux missiles et on y a croirait si, dans les coursives, petites femmes et matelots embarqués, soit une bande de ruskov avinés, ne semblaient fêter la nouvelle ère.
Première séquence d’une succession de tableaux, l’image du « bateau ivre » disparaît et fait place à un énorme module circulaire, à l’intérieur duquel, se joue un « plus belle la vie » chinois dont le scenario n’aurait pas tranché entre tradition et Manga.
Troisième séquence : sur le front de scène apparaissent les acteurs d’un drame mondial, appréhendé sous la forme d’un huis clos intime. En blanc, sorti d’on ne sait et ramassé par on ne sait qui, ces êtres sont les survivants d’un monde assailli par les « Intelligences » (alias et autres extra-terrestres) qui se nourrissent de Fictions. Il reste 24H00 au dépressif, au mathématicien, à l’écrivaine, à l’androïde plus humaine que nature, à un autre commandant pour sauver le monde et ses existences.
S’engage alors une course-poursuite contre la montre où notre club des Cinq, assemblé en équipe de tournage et scénaristes, fabrique une fiction qui doit obéir au bout goût des Intelligences.
Le spectateur suivra dès lors l’épopée de nos « sauveurs du monde » qui, « brainstormant » sur un récit, vont écrire une histoire, genre Telenovela aux multiples rebondissements comme le genre l’exige. Ou l’histoire de Brenda programmé pour être miss Venezuela (en fait une création génétique sabotée par les bistouris et quelques cliniques esthétiques) devenue psychopathe et seriel killer. Ou l’histoire d’un flic addict et boulimique mis au placard qui découvre le dossier Brenda et en fait sa seconde Chance. Ou l’histoire de la « procureure » en déficit de sexe qui veut que le flic nourrisse sa chatte (c’est le texte, à peu de chose près). Ou l’histoire du chirgurgien Branga, assassiné au couteau de cuisine par la Brenda… ou une série d’épisodes et de nanars où l’on croise aussi le coiffeur inquiétant, le chirurgien négligeant, un inspecteur des sixities clone de Serpico, Colombo, Hutch, Max la menace… Soit un ensemble, comme l’exige le genre Telenovela de « nouvelles » courtes où on suit les destins singuliers de personnages plats…mais tragiques of course.
Histoire qui, dans sa complexité, ne sera pas sans influencer en retour celle du Club des cinq à l’imagination débridée et à l’empirisme forcené. C’est à qui mieux mieux trouvera le prochain épisode qui doit les sauver des Intelligences. Résultat, le spectateur suit deux séries télévisées, puis le « Club des Cinq » finit par ressembler à ce qu’il invente.
Sur scène
Sur scène, les metteurs en scène Elise Vigier et Marcial Di Fonzo Bo auront fait le choix d’un dispositif scénique qui devait rendre la complexité traitée, l’emboîtement de ces histoires et l’enchevêtrement de ces récits. Aussi, le module circulaire sert-il d’écran et de vaisseau, selon qu’il s’ouvre ou se ferme pour diffuser le Telenovelas ou la vie à bord. Greffées à cette structure, deux cabines vertes de tournage divulgue les temps de réalisations de ce qui est projeté en temps réel sur l’écran. Le travail est à l’identique d’un studio de tournage et le montage d’images incrustées a tout à voir avec la production de ce genre de série télévisée.
Ce qu’ajoutent les metteurs en scène à ce processus qui est au plus près du réel des conditions de production, c’est un rapport à l’imaginaire dont la pratique théâtrale devait s’emparer. Aussi Viger et Di Fonzo Bo s’engagent dans une hybridation de l’image et des genres où le film d’animation se mêlent au genre qu’est la science fiction. Touches esthétiques qui n’est sans produire quelques nuances poétiques sur le propos que dessine Paranoïa. Propos critique, bien entendu, puisqu’en proposant ce travail, ils font la critique d’une pratique qui n’entretient avec la création qu’un rapport d’industrie. Paranoïa pointe alors les défaillances de ce système qui abreuve la planète d’histoires stériles dignes de celles disponibles chez Arlequin, de traductions bâclées qui rendent incompréhensibles et ridicules des dialogues déjà débiles, de techniques cinématographiques d’un autre âge, d’un jeu de l’acteur qui fait dans l’alimentaire et a abandonné tout travail, de plans filmiques qui n’occupent guère plus que ceux tournés dans une cabine d’essayage, de formats taylorisés, de séquences où le melting pot des genres sert à un faire croire à un rythme inaccessible….
Propos critique sans doute mais qui fait de Paranoïa un livre des recettes mis en scène sous la forme d’un spectacle de cabaret où le fait de retrouver la totalité de ces principes structurants produit un effet de saturation. Jeu mièvre, appuyé et sans relief. Loft story scénique, diction naturaliste…
Au comble, alors que Fonzo BO n’est pas étranger à l’univers iconoclaste de Copi, qu’il mesure vraisemblablement l’intérêt de l’esthétique du Kitsch et l’influence de Jodorowski sur la distanciation que l’on peut entretenir avec l’esprit critique… Marcial Di Fonzo Bo livre un Paranoïa qui patine… Pour la seule raison qu’à vouloir être au plus proche de son objet, Paranoïa tend trop à lui ressembler. Ou l’histoire d’un théâtre qui est entré par la petite porte dans celle du cinéma et ses classements. A défaut d’être un spectacle d’auteur, d’arts et essais… Paranoïa se situe aux alentours d’une série B, au risque de tomber plus bas dans l’alphabet des séries Z. Dommage.
le 14 juillet à 22H00, les 13 et 15 à 14H30, salle Vedène-Espace Bardi,